7 questions sur les conséquences d’un rachat de Bouygues Telecom par Numericable-SFR

Le rachat de Bouygues Telecom par SFR-Numericable risque de chambouler le paysage des télécoms français. Qui, quoi, comment ? Tour d’horizon en 7 questions.

Le conseil d’administration de Bouygues se réunira, probablement en fin d’après-midi, pour définir quelle réponse apporter à l’offre « non sollicitée » d’Altice/Numericable-SFR. Si l’opération est validée, elle entrainera une nouvelle série de questions sur la transformation du paysage des télécoms en France. Passage en revue des principales conséquences sur le marché qu’entrainerait ce nouveau mouvement de concentration.

1) Bouygues a-t-il intérêt à vendre son activité télécoms ?

« Oui, Bouygues a intérêt à vendre, car les indicateurs financiers de Bouygues Telecom ne sont pas très bons », estime Frédéric Pujol, analyste à l’Idate. L’opérateur est en difficulté depuis l’arrivée de Free sur le mobile en 2012. Et tous les protagonistes ont en tête un schéma à trois acteurs. C’est d’ailleurs un mouvement de fonds qui se constate dans le reste de l’Europe (en Allemagne, au Royaume-Uni mais aussi, très probablement, en Italie et en Espagne prochainement). De plus, si les 10 milliards d’euros évoqués par le JDD n’ont pas été confirmés, ni infirmés, par les intéressés, il s’agit « d’un bon prix qui devrait pouvoir passer », estime l’analyste. La nouvelle offre revalorise Bouygues Telecom de 25% par rapport aux 8 milliards proposés, informellement, par Altice en début d’année. Il est vrai qu’entre temps, Bouygues Telecom est passé à l’offensive dans le fixe, avec des forfaits Internet à moins de 20 euros. Une manœuvre « qui a bien marché » (l’opérateur affiche aujourd’hui 2,5 millions de clients dans le fixe et 11 millions dans le mobile), mais qui ne suffit visiblement pas à ébranler le marché. « Bouygues Telecom vaut plus cher qu’il y a un an, c’est le bon moment pour vendre, et pour acheter [avec les taux d’intérêt bas]. ».

2) Quels risques pèsent sur le niveau d’investissements ?

Les investissements des opérateurs ont reculé en 2014 face à la baisse de revenus provoquée par le sursaut de concurrence. Cette tendance s’accentuera-t-elle avec la consolidation sur un marché « apaisé » et des opérateurs qui chercheront avant tout à refaire leurs marges ? « Il y a eu un certain attentisme l’an dernier face aux opérations en cours [le rachat de SFR par Numericable, NDLR] d’où un effet sur les Capex (les dépenses d’investissement, NDLT), souligne Frédéric Pujol. Mais si on compare la situation des États-Unis à celle de la France, on constate que les revenus par abonné y sont plus importants et que les investissements sont deux fois plus élevés. Dans un jeu à trois opérateurs au lieu de quatre, la différence se fera sur la qualité du réseau mobile. » D’où les investissements auxquels devraient consentir les opérateurs pour soutenir la hausse du trafic mobile et la montée en très haut débit dans le fixe, afin de se différencier. De son côté, Numericable-SFR déclare avoir augmenté ses investissements de 20 % depuis le début de l’année. « Nous ferons donc la même chose si nous achetons Bouygues Telecom », déclare Eric Denoyer, le patron de Numericable-SFR, dans une interview aux Echos.

3) Altice ne risque-t-il pas le surendettement ?

« Attention à ne pas fonder un empire sur le sable de l’endettement », a déclaré Michel Sapin à l’AFP. Aujourd’hui endetté à hauteur de 30 milliards d’euros environ, Altice pourrait voir sa dette tendre vers les 40 milliards. Pas de quoi s’affoler pour autant. « Tout est une question de ratio, rappelle Frédéric Pujol pour qui, plus Altice rachète d’entreprises à des taux d’intérêts fixes, plus il peut en racheter en faisant financer l’endettement par les nouvelles entreprises. » De son côté, Altice évoque un taux d’endettement compris entre 4,2 et 4,5 %, et de 2,9 % pour Numericable-SFR au 31 mars suite à la hausse de 21% des revenus de l’opérateur sur le premier trimestre complet d’exercice pour le nouveau groupe. « Des taux d’endettement considérés comme raisonnables sur le marché, voire bas pour Numericable-SFR », soutient la holding télécoms. Les taux d’endettement des câblo-opérateurs varient actuellement entre 4 et 5%. « Tant qu’Altice est dans les ratios, tout va bien si la situation économique ne change pas, souligne le porte-parole de l’Idate. Patrick Drahi a, par le passé, prouvé sa capacité à faire briller des entreprises en péril dans le câble, pourquoi n’y parviendrait-il pas dans le mobile ? »

4) Quelles seront les conséquences sur l’emploi ?

« Je dis et répète que la consolidation n’est pas aujourd’hui souhaitable pour le secteur. L’emploi, l’investissement et le meilleur service aux consommateurs sont les priorités. Or les conséquences d’une consolidation sont à ces égards négatives, comme l’ont prouvé les cas récents en Europe », a martelé Emmanuel Macron, le ministre de l’Economie. Même crainte du côté des syndicats qui redoutent la suppression des équipes en doublon au niveau de la direction, du réseau, des services informatiques et du support. « Il y aurait eu 4 000 à 6 000 personnes en trop, sans compter les sous-traitants », déclarait Jean-René Fourtou, ancien président du Conseil de surveillance de Vivendi (ex-propriétaire de SFR), pour justifier l’an dernier le rejet de la candidature de Bouygues Telecom. Même après le départ d’un millier de salariés chez Bouygues Telecom et même si, parmi les 8 817 employés restant, un certain nombre sont repris par Orange (selon une hypothèse qui reste à confirmer), il risque bien d’y avoir une casse sociale si l’opération de rapprochement se fait. Les syndicats vont donc tenter de faire pression sur les opérateurs pour dégager certaines garanties. « La CGT-FAPT invite les salariés des groupes Numéricable-SFR, Free et Bouygues Telecom à se rapprocher de ses militants afin de débattre et décider ensemble des nécessaires réponses collectives pour faire face aux attaques sur leurs emplois, droits et garanties collectives, et exiger la réponse à leurs revendications », indique le syndicat dans un communiqué du 22 juin.

5) Les tarifs des forfaits vont-ils remonter ?

Du côté de Numericable-SFR, on promet que la consolidation n’aura aucune incidence sur les prix des services proposés aux consommateurs finaux. A cause (ou grâce) du garde-fou Free « qui continuera à agiter le marché ». Un sentiment partagé par l’Idate. « Free dans le mobile devrait rester logiquement agressif sur un plan tarifaire pour réduire l’écart de parts de marché : il ne représenterait qu’un peu plus de 7 % des revenus du secteur loin derrière Orange (43 %) et le nouvel SFR (avec un peu moins de 50 %), indique l’institut dans une note d’analyse. Dans le fixe, les parts de marché sont moins dispersées (respectivement 23,5, 41,5 et 35 %), mais la concurrence ne devrait pas disparaître. » Selon les intéressés, la hausse des revenus viendra de l’offre de nouveaux services, notamment dans la distribution de contenus, et de leurs différenciation. Ce n’est cependant pas l’avis des associations de consommateurs qui craignent ce retour à un marché à 3 opérateurs où « la concurrence sur les offres et sur les prix manquait de dynamisme », souligne le CLCV, association de défense des consommateurs. Rappelons que les opérateurs avaient alors été condamnés pour entente sur les prix. Une pratique illégale qui avait poussé l’Autorité de la concurrence à infliger une amende de 534 millions d’euros à Orange, SFR et Bouygues Telecom en 2005. L’histoire se répètera-t-elle ?

6) Le gouvernement peut-il s’opposer au rapprochement ?

A priori, seule l’Autorité de la concurrence peut s’opposer à la finalisation de l’opération, même si le gouvernement peut tenter de faire pression sur les dirigeants des entreprises concernées. Mais on a vu le résultat, l’an dernier, avec Arnaud Montebourg (alors ministre du Redressement productif) qui affichait haut et fort sa préférence pour Bouygues dans le rachat de SFR. Au passage, il est amusant de noter que celui-là même qui, arrivé au pouvoir, accusait Free de détruire des emplois sur un marché à 4 opérateurs est aujourd’hui contredit par son successeur à Bercy, qui redoute la casse sociale… sur un marché à 3 opérateurs. Néanmoins, Emmanuel Macron peut, en dernier recours, casser la décision de l’Autorité de la concurrence en justifiant, au regard de la loi, « des motifs d’intérêt général », notamment concernant l’emploi, le développement industriel ou la compétitivité des entreprises. Ce qui ne s’est encore jamais vu en France.

Mais plutôt que bloquer la fusion, l’Autorité de la concurrence devrait poser des conditions, notamment en imposant la cession d’actifs vers la concurrence. Iliad et Numericable-SFR ont déjà prévu le coup et ont officialisé des négociations en ce sens. Free pourrait notamment récupérer une partie de l’infrastructure du réseau mobile, un réseau de boutiques et, potentiellement, des fréquences. Si SFR pourrait être enclin à céder un lot de fréquences 800 MHz en doublon, la 4G du 1800 MHz de Bouygues Telecom, bien plus développée, pourrait également intéresser le trublion du secteur. La valeur de ces actifs pourraient aisément se chiffrer autour de 2 milliards d’euros.

7) Quelles conséquences sur la vente aux enchères des 700 MHz ?

La fusion SFR-Bouygues « pourrait rebattre un peu les cartes » des enchères programmées pour la vente des fréquences 700 MHz à la fin de l’année, estime l’Idate. Aujourd’hui, 4 opérateurs sont censés se partager 6 lots de 5 MHz duplex, soit 30 MHz de bande, à travers un système d’enchères ascendantes qui aurait permis de faire monter les tarifs et donc, de faire entrer plus d’argent dans les caisses de l’Etat. Demain, s’il ne reste que 3 opérateurs sur le marché, il y a de fortes chances pour qu’ils se partagent équitablement les 30 MHz avec 2 lots chacun laissant à l’Etat les 2,5 milliards d’euros attendus, mais pas plus. « Cela pose des questions sur la valorisation », estime Frédéric Pujol. Et devrait se traduire par un manque à gagner pour Bercy.


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