Airbus, Michelin, Safran, Vallourec… : pourquoi les industriels foncent sur l’IoT

Lors du salon Smart Industries, de grands industriels ont témoigné de leur intérêt pour l’IoT. Qui, grâce à des réseaux comme Sigfox ou Lora, permet de dépasser les limites du RFID. Et d’inventer de nouveaux usages.

En matière d’IoT, le temps des tests en laboratoire ou des prototypes apparaît bel et bien révolu. Place aux déploiements à l’échelle industrielle. C’est en tout cas le constat qui se dégage après le salon Smart Industries, qui se tenait la semaine dernière à Paris Nord Villepinte. Certes, les déploiements en masse, comme ceux de Décathlon et ses 700 millions de tags RFID à l’année, sont encore l’exception, mais plusieurs facteurs se combinent pour accélérer l’industrialisation.

A commencer, précisément, par les alternatives au RFID, alternatives ne nécessitant pas l’installation d’infrastructures pour récolter les données (comme des portiques). C’est par exemple ce qui a permis à Zimmer Biomet de proposer une traçabilité de ses implants médicaux sur toute la chaîne logistique, y compris au sein des hôpitaux. « L’objectif de ce projet est de s’assurer que les hôpitaux disposent de tous les éléments nécessaires au moment de leur intervention », résume Raoul Barthez, le directeur opérationnel de cette société américaine. Or, installer des portiques RFID chez l’ensemble des clients de la société était inenvisageable. Zimmer Biomet travaille aujourd’hui avec quelques hôpitaux et cliniques pilotes afin qu’ils intègrent les données recueillies à leurs logiciels internes.

Airbus mise sur un cocktail de réseaux

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Un Airbus A380 (photo via Eisenmenger, Visual Hunt).

« Avec l’IoT, on étend le champ des possibles sur toute la chaîne de valeur en matière de traçabilité, abonde Nicolas Monturet, architecte SI chez Airbus. Mais on peut aussi amener de nouveaux usages, modifier l’expérience des passagers. » Reste, pour un avionneur dont les produits parcourent le globe, à trouver une infrastructure de communication disponible partout dans le monde, ce qui, à ce jour, est encore un peu illusoire. « Il faut donc concevoir une architecture modulaire, car une seule technologie ne répondra pas à tous les besoins », dit Nicolas Monturet. Airbus a fait le choix de déployer une passerelle permettant de se connecter à différents réseaux.

Pour Jean-François Lecosse, directeur du CNRFID (centre national de référence sur la RFID), l’arrivée de nouvelles infrastructures, comme les réseaux Lora ou Sigfox, permet avant tout d’étendre le suivi des actifs, « un domaine où généralement, on a affaire à une personne avec un tableau Excel, une personne sait que ce que les données de ce tableau sont fausses et qu’elle va perdre environ 10 % des actifs suivis par an. » Avec le RFID, un suivi plus fin était limité aux contenus de grande valeur, du fait du coût d’installation des infrastructures. Des technologies comme Lora et Sigfox permettent de s’affranchir de cette contrainte, donc d’amener un suivi automatisé y compris sur des biens de valeur plus modeste.

Vallourec : des puces enfouies dans des tubes

tubes-vallourecOn retrouve même des projets IoT dans des environnements où on ne les attend pas forcément, comme chez Vallourec, fabricant de tubes en acier sans soudures et de solutions tubulaires spécifiques. « Contrairement à ce qu’on imagine, ce sont des produits de haute technicité. Tous les tubes sont marqués avec un code, le passage à l’IoT va faciliter un accès plus systématique aux données relatives à la vie du produit et nous permettre d’envisager de nouvelles optimisations », résume Renaud de Lapeyrière, le directeur du développement du groupe. Même si, évidemment, les contraintes inhérentes aux métiers de Vallourec, qui travaille beaucoup avec le secteur de l’énergie (gaz, pétrole), rendent le projet complexe. « Il faut intégrer des puces au sein de produits soumis à des contraintes élevées, sans entamer l’intégrité du produit et tout en garantissant la résistance à la manutention », ajoute le responsable de Vallourec. Un domaine finalement peu défriché où l’industriel a eu quelques surprises, dues notamment à l’environnement métallique où est intégrée la puce et à son encapsulation qui crée des décalages de fréquence. « Nous avons eu besoin de compétences externes. Probablement aussi parce que nous n’en sommes qu’au premier projet de ce type. Dans 10 ans, le constat sera peut-être différent », ajoute Renaud de Lapeyrière.

Tâtonner : un passage obligé pour Jean-François Lecosse. « Toutes les sociétés industrielles doivent entrer ce monde-là, car y aller tôt, c’est comprendre les enjeux colossaux qui y sont associés, quitte à essuyer quelques revers comme ce fut le cas avec le RFID », assure-t-il. Enjeux de transformation des produits en service (comme on le voit dans l’aéronautique où l’unité de compte devient l’heure de vol), enjeux de montée dans la chaîne de valeur (comme ce concepteur de bacs plastiques pour médicaments qui, via l’ajout d’un capteur de température, fournit un service de transfert de responsabilité à ses clients) ou de collaboration à l’échelle d’une chaîne industrielle. « Moins vous avez d’acteurs en amont et en aval, plus vous êtes capables de mettre rapidement en place une solution apportant des gains partagés à toute la chaîne de valeur », résume Jean-François Lecosse.

Safran : acquérir des données complémentaires

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Photo : Kiefer, via VisualHunt.com, CC BY-SA

A condition de savoir comment exploiter pertinemment les données recueillies. Si les technologies, notamment prédictives, sont là, le marché tâtonne encore en matière de nouveaux usages. « Un A380, avion ultra-connecté, cumule 800 000 paramètres, soit quelques Go de données par vol. Reste à savoir que faire de ces données, à développer les cas d’usage structurants qui vont apporter de la valeur à l’entreprise », dit Emmanuel Couturier, chef de programme innovation et business développement de Safran. Comme certains équipements (trains d’atterrissage, moteurs…) sont désormais loués et non achetés, l’industriel a besoin de mieux maîtriser le cycle de vie de ses produits pour se conformer aux termes de ses contrats. « On va alors se rendre compte qu’il nous manque certaines données ici ou là, précise Emmanuel Couturier. C’est là que l’IoT amène une réelle révolution, car il va nous permettre d’acquérir des paramètres complémentaires, grâce à des réseaux comme Lora ou Sigfox ». Safran mobilise une équipe de 20 à 40 data scientists sur ces sujets. « C’est important de maîtriser ces technologies en interne », assure Emmanuel Couturier.

roulement-billesLes enjeux de maintenance prédictive sont également au centre des réflexions de SKF, groupe suédois spécialiste des roulements à mécanique. « Interpréter ce qui se passe sur le roulement, c’est comprendre ce qui se passe sur la machine », veut croire Christophe Godel, le directeur de la BU Solutions & Services de SKF France. Pour l’industriel, les dernières technologies d’IoT lui permettent aujourd’hui d’intégrer la mesure au plus près du roulement proprement dit. « Nous avons commencé il y a trois ans dans le domaine de l’éolien. Nous savons aujourd’hui prédire que telle panne a tel risque de survenir sur telle marque d’éolienne », reprend le dirigeant. SKF espère désormais démultiplier le procédé et le simplifier pour l’adapter à des composants plus petits que ceux des éoliennes.

Michelin : les pneus connectés

Chez Michelin, l’IoT est avant tout vu comme un vecteur de services complémentaires. « Nous avons démarré sur des usages particuliers, en l’occurrence la mesure de pression et de température de pneus de camions exploités sur des installations minières, des véhicules qui doivent fonctionner en permanence pour ne pas arrêter la production. Nous avons donc vendu la remontée d’alertes comme un service supplémentaire. Aujourd’hui, les prix des capteurs et de la technologie ont baissé et on peut imaginer généraliser ce type de mesures à la voiture de Monsieur tout le monde. Reste à imaginer le service pertinent pour ces utilisateurs », explique Olivier Coulomb, le directeur informatique scientifique de la firme de Clermont-Ferrand.

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Eric Payan, DSI  et CDO de Bosch

La démarche est similaire chez Bosch : « La première finalité est d’apporter de nouveaux services ou des services de meilleure qualité aux utilisateurs de nos produits finis (réfrigérateurs, chaudières de marque elm Leblanc, etc. , NDLR), dit Eric Payan, le DSI et Chief Digital Officer de Bosch. Mais recueillir des données permet aussi de mieux connaître le cycle de vie de nos produits et d’entrer dans une démarche d’amélioration continue. » Un pas de géant par rapport aux pratiques anciennes, comme le confirme Olivier Coulomb de Michelin : « auparavant, notre connaissance était partielle ; les études demandaient des mois et restaient imprécise. Il suffit désormais d’équiper quelques centaines de camions pour récupérer une foule de données très précises ». Des informations qui, associées à la connaissance du produit que détient Michelin, se révèlent précieuses.

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