Altice-SFR et la fibre : « Laissez-nous faire notre boulot »

Pour Altice-SFR, déployer son propre réseau très haut débit sur tout le territoire relève d’une stratégie économique sensée. Ses dirigeants s’expliquent.

Altice-SFR a tenu à faire le point avec la presse suite à l’annonce, la semaine dernière, de sa volonté de déployer en propre la fibre sur 100% du territoire. Une initiative « qui fait couler un peu d’encre », ironise Michel Combes, PDG du groupe télécoms en France. A l’heure où se multiplient les débats sur le retard du pays dans l’accès au très haut débit (THD) et les moyens d’accélérer son déploiement, l’annonce de l’opérateur a fait l’effet d’une bombe. Ou d’un pétard mouillé pour certains. Nombre d’acteurs du secteur considèrent en effet comme irréaliste, voire farfelue, la stratégie d’Altice-SFR de vouloir investir des milliards d’euros seul dans une infrastructure optique nationale.

2,5 millions de prises FTTH par an

Pour Michel Combes, le projet est au contraire très concret. D’abord sur le calendrier. Rappelons qu’Altice-SFR a annoncé vouloir apporter la fibre à 80% des logements français (soit 25 millions environ) d’ici fin 2022 et à 100% d’entre eux (33 millions de foyers) pour 2025. Fort d’une infrastructure câble historique avancée et rénovée pour le 1 Gbit/s (Docsis 3), le groupe devrait revendiquer 11 millions de prises THD (terminaisons câble et fibre) pour la fin de l’année. Il faudra donc accélérer les déploiements. « Nous déploierons autour de 2,5 millions de prises par an contre 1,8 million aujourd’hui, indique le responsable. Une augmentation de 20% de notre rythme qui ne me semble pas un effort gigantesque. »

Côté méthodologie, l’opérateur s’appuiera sur l’expertise de Portugal Telecom, également propriété d’Altice, qui déploie le FTTH (fibre optique à domicile) depuis 2006 et a développé un processus industriel présenté comme bien rodé. En France, Altice-SFR fera appel à une nouvelle société, Altice Infrastructures, opérationnelle à partir de septembre prochain, et à des installateurs internes au groupe (Altice Technical Services) et externes. « Plusieurs milliers de personnes contribuent au déploiement du réseau dans le groupe », assure de son côté Michel Paulin, directeur général d’Altice-SFR.

2 milliards d’euros d’investissement annuel

Côté financement, les dirigeants s’en sont tenus aux précédentes annonces, soit environ 2 milliards d’euros par an sur l’infrastructure, fixe et mobile, sur les trois prochaines années au moins. Un financement qui sera notamment soutenu par le désengagement progressif du réseau cuivre de l’opérateur historique. « Nous versons 800 millions d’euros par an à Orange pour dégrouper l’ADSL, explique Michel Paulin, une dépense qui va baisser rapidement jusqu’à zéro. » Car Altice-SFR a bien l’intention de profiter du THD pour être « propriétaire à 100% de [son] infrastructure » et en ouvrir l’accès aux concurrents. Sur ce point, le directeur général évoque un coût de 15 euros mensuel par ligne en moyenne. « Nous avons intérêt à agir le plus vite possible pour changer le modèle économique et améliorer la compétitivité de l’entreprise », complète le PDG.

Y compris dans les zones peu denses des collectivités locales, qui font aujourd’hui appel à des opérateurs d’infrastructures délégataires de service public (DSP) pour construire des réseaux d’initiative publique (RIP) et les exploiter à dans le cadre d’une concession de plusieurs années. Si Altice-SFR est engagé dans de nombreux projets RIP, et restera de fait exploitant du réseau pour plusieurs années, Michel Combes entend « discuter avec les collectivités pour modifier les contrats et détenir les infrastructures ». Altice-SFR confirme donc son intention de construire son propre réseau en parallèle des RIP dans les projets de DSP où son offre n’a pas été retenue. Quitte à venir concurrencer les RIP en cours de déploiement. « Nous déploierons notre réseau sur 100% du territoire », a martelé Michel Combes. Y compris auprès des foyers les plus reculés qui seront alors « étudiés au cas par cas ».

Le modèle obsolète du Plan France THD

Pour lui, le modèle du Plan France Très haut débit, qui répartit les déploiements sur trois zones (denses, moyennement denses, et peu denses), avec autant de modèles économiques, « est aujourd’hui obsolète ». « Le retour sur investissement est meilleur si j’investis moi-même. Notre part de marché est suffisamment large aujourd’hui pour nous le permettre. » Altice-SFR préfère donc faire une croix sur les subventions (environ 500 euros par prise) amenées par l’Etat aux collectivités pour déployer le réseau dans les zones rurales. « On demande juste à ne pas être freiné, poursuit Michel Paulin. Empêcher l’arrivée d’Altice-SFR dans les régions serait une erreur. Nous faisons baisser le coût des infrastructures pour les collectivités et proposons d’aider à déployer plus vite [qu’à travers les RIP]. Laissez-nous faire notre travail ! »

Malgré cette initiative privée dans les zones d’infrastructures « publiques », Michel Combes n’en reste pas moins certain de la rentabilité du projet. « En 12 ans, Altice-SFR aura rentabilisé son infrastructure », conclut-il. Les collectivités qui n’ont pas encore engagé les travaux se laisseront-elles séduire ?


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