Apprivoiser le Big Data ? Développez la culture analytique (tribune)

Même si de nombreux dirigeants ont déjà réalisé les limites de la seule intuition pour la prise de décisions, force est de constater que les capacités analytiques actuelles de bon nombre d’organisations, souvent insuffisantes, les empêchent d’être véritablement pilotées par les données, explique Martine George, professeur à l’Essec.

Le business analytics est devenu si important tant pour la prise de décision que pour la découverte de nouvelles idées, que de nombreux dirigeants d’entreprises voudraient maintenant l’étendre à l’entreprise toute entière. De nombreuses organisations renforcent leurs ressources technologiques pour devenir plus analytiques et adaptent leurs politiques de recrutement afin d’attirer davantage de talents dans ce domaine. Malgré ce désir grandissant d’adopter l’analytique par le biais de nouvelles technologies et de compétences, on constate une réelle difficulté pour les entreprises à créer un véritable impact durable sur la prise de décision à partir des données. Ces organisations n’auraient-elles tout simplement pas encore développé une culture analytique ?

Qu’est-ce qu’une culture analytique ?

Les comportements manifestés dans une culture analytique découlent d’une croyance fondamentale que, lorsqu’elles sont correctement analysées, les données contiennent une vraie valeur business. Cette croyance se manifeste dans les organisations analytiques par de hauts degrés de partage des données, de transparence, une philosophie de rémunération axée sur les résultats et la volonté de suivi de l’activité par l’analytique.

Qu’il s’agisse de start-ups qui s’appuient sur analytique depuis leur création ou de grandes entreprises existantes qui se déplacent vers le haut de la courbe de maturité analytique, une culture analytique comporte des attributs communs qui permettent de faire prospérer l’entreprise et d’attirer de nouveaux talents.

Ces entreprises ont une culture qui favorise et cultive :

  • la curiosité,
  • la résolution de problème,
  • l’expérimentation,
  • le changement,
  • la décision sur base des faits,

Les organisations qui prônent la curiosité encouragent leurs employés à poser des questions, à apprendre, à s’améliorer continuellement et à tisser des liens transversaux aussi bien en interne entre les différents processus, qu’avec les clients et fournisseurs.

La curiosité combinée à la résolution de problèmes est une recette puissante qui permet aux équipes de collaborer, de faire partager leur domaine d’expertise, d’identifier et de résoudre des problèmes business ou d’exploiter de nouvelles fenêtres d’opportunité pour générer de nouvelles sources de valeur pour l’entreprise.

Favoriser la curiosité donne également la possibilité à l’organisation d’expérimenter et d’essayer de nouvelles idées. Cela permet de penser hors des sentiers battus , de poser des questions, de défier les hypothèses établies, d’accepter des vues contradictoires et une pensée divergente et arborescente qui peut mener à l’innovation de rupture et à la création de valeur.

Cela signifie également que l’organisation doit être capable de tolérer l’échec parce que l’expérimentation ne donnera pas toujours lieu à des gains immédiats et productifs pour l’entreprise. Cependant, les leçons tirées des échecs passés doivent être partagées de façon méthodique et objective par l’entreprise pour lui permettre d’apprendre pour de futures expériences.

Le retour d’expérience contribue également à développer la capacité de l’organisation à raconter des histoires inspirantes. La narration est clé pour répandre l’analytique dans l’organisation. Identifier et appliquer des approches analytiques utilisées dans d’autres domaines ou industries est un autre axe de réflexion et d’apprentissage pour les organisations.

À aucun moment dans l’histoire le business n’a été aussi rapide, concurrentiel, incertain et global qu’aujourd’hui. La seule constante est que le changement est toujours présent et que les entreprises doivent institutionnaliser leur agilité pour s’adapter au monde changeant qui les entoure. Cela signifie que les organisations doivent passer d’organisations rigides, hiérarchiques à des structures plus organiques, auto-organisés qui embrassent et capitalisent sur les changements.

Dans ces organisations, les décisions basées sur les traditions, sentiments et l’intuition laissent la place à celle basées sur les faits, sur la collecte et l’analyse systématique des données. Il ne s’agit pas d’attendre d’avoir toutes les données pour prendre des décisions mais plutôt d’utiliser les meilleures données disponibles à un moment donné pour prendre la meilleure décision aussi rapidement que possible et continuer à apprendre et à s’améliorer avec de nouvelles données.

Ces mêmes organisations sont convaincues de la nécessité de former tous les membres de l’organisation à l’analytique, afin qu’ils comprennent comment synthétiser et faire confiance aux données pour prendre des décisions à tous les niveaux de l’organisation. Au fil du temps, cette formation devrait éveiller l’organisation aux possibilités et à la façon dont les données permettent de créer un véritable avantage concurrentiel.

Comment créer une culture analytique ?

La transformation de l’organisation vers une culture analytique consiste à développer en parallèle de nouvelles pratiques dans différents domaines : la gestion des talents, les valeurs et les comportements adéquats, le leadership et la manière de prendre des décisions. Cette transformation est supportée par une série d’interventions de développement des organisations. Ces interventions peuvent être réalisées au niveau individuel, au sein d’un groupe (ex. le management, un département, une équipe fonctionnelle) ou au niveau de l’organisation. Il s’agit par exemple d’ateliers sur la manière de prendre des décisions (en anglais « meta-decision analysis »), de coaching individuel pour les managers, d’une revue avec le management des valeurs existantes de l’organisation qui favorisent la culture analytique et celles qu’il faudrait ajouter et cultiver, de formations pour développer la capacité des experts analytiques à mieux communiquer leurs résultats d’analyses vers le reste de l’organisation ou pour apprendre à construire des histoires convaincantes à partir des données (en anglais « story telling with data »)… Ces interventions permettront petit à petit de mener à bien cette transformation culturelle.

En route vers une culture analytique

A la lecture de ces lignes et si vous êtes aujourd’hui occupés à des projets Big Data au sein de votre organisation, quels sont, selon vous, les valeurs et comportements de la culture actuelle de votre organisation qui catalysent l’adoption durable du Big Data et quels sont ceux qui Martine Georgelimitent cette adoption? Enfin, si vous pensez qu’une transformation culturelle est nécessaire, nous ne pouvons que vous recommander de vous y mettre rapidement car ce type de transformation prend du temps.

Par Martine George est docteur en sciences et directrice Talent Development de la chaire Accenture Strategic Business Analytics de l’Essec.

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