Audits de licences : Oracle condamné par le TGI de Paris

Le Tribunal de grande instance de Paris déboute Oracle dans une affaire de licences logicielles. L’éditeur est critiqué par la cour pour ses audits agressifs visant à pousser ses clients à signer de nouvelles affaires.

Et maintenant la justice s’en mêle. Dans un arrêt datant du 6 novembre dernier, repéré par nos confrères de 01Net, le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris envoie Oracle sur les roses pour ses pratiques commerciales. Pratiques qui horripilent plus d’un client aujourd’hui (Lire par exemple notre article Oracle tancé pour ses audits agressifs et ses licences complexes), étant donné le poids pris par LMS (License Management Services), le département responsable des audits de licences chez Oracle.

Car l’éditeur manie l’arme de l’audit pour pousser ses clients à lui acheter de nouvelles licences. Et, cette fois, c’est la justice qui le dit, dans le cadre d’un litige opposant l’éditeur américain à l’Afpa ! « L’usage répété par la société Oracle France de la pratique de l’audit précédant les appels d’offres démontre que celle-ci fait pression sur son interlocuteur pour obtenir de nouveaux contrats et à défaut use de l’action en justice pour obtenir paiement de sommes importantes de l’ordre dans le cas d’espèce de 12 millions d’euros en « dédommagement » », écrit la 3ème chambre du TGI de Paris.

Pas de marché, alors un audit

Le litige porte sur l’installation de l’ERP Oracle E-business Suite au sein de l’Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) au début des années 2000, projet pour lequel cet organisme public avait acquis 475 licences de l’application Financials via son intégrateur, Sopra. Quelques années après la livraison de ce projet Mosaic, Oracle avertit son client d’un audit, le 7 juillet 2008. Suspendu un temps, alors que l’Afpa publie un nouvel appel d’offres visant à développer la solution de gestion des achats, l’audit reprend quand Oracle apprend qu’il ne remportera pas ce nouveau marché. Mis en œuvre en mai/juin 2009, l’inspection se focalise sur les licences E-business Suite. Le litige porte précisément sur l’utilisation de 885 licences de la solution Purchasing d’Oracle qui, selon l’éditeur, n’était pas couverte par l’accord de licences signé.

Après deux ans de négociations infructueuses, Oracle saisit la justice réclamant plus de 13 millions d’euros à l’Afpa et à Sopra (en licences et maintenance), la désinstallation des logiciels litigieux et le droit d’exercer un nouvel audit de contrôle. Le tout évidemment assorti d’astreintes pour l’Afpa. Solidaires, l’Afpa et Sopra demandent à la justice de débouter l’éditeur.

Sèchement, le TGI de Paris renvoie Oracle dans ses buts, considérant d’abord que le litige en question ne relève pas d’une éventuelle contrefaçon du droit d’auteur, mais de la bonne exécution du contrat. Pour la 3ème chambre, le différend porte uniquement sur le fait de savoir si les licences de Purchasing sont comprises dans l’offre Financials installée par Sopra, et pour laquelle l’Afpa a déboursé quelque 570 000 euros de licences. Or, remarque le TGI, l’éditeur a fourni le logiciel Purchasing sur le CD remis à l’association à l’occasion de ce projet. De ce fait, la justice estime qu’Oracle « entretient un doute et une confusion ». « Soit ce logiciel Purchasing est inclus dans la suite Financials et il entre dans le périmètre du contrat sans même qu’il soit nécessaire de l’identifier et il ne peut exister aucune inexécution du contrat ; soit il n’entre pas dans la suite logicielle Financials mais les sociétés Oracle l’ont elles-mêmes inclus dans les logiciels à installer pour répondre aux spécifications du bon de commande (…) », admettant par là même que ce logiciel entrait dans le périmètre du contrat. Au passage, on apprend que l’Afpa bénéficiait d’un taux de remise de 85,79 % sur les prix publics des licences.

Un dédommagement pour exclusion d’un appel d’offres ?

Par ailleurs, la cour remarque que les licences Purchasing figuraient déjà dans un précédent audit de l’éditeur, centré lui sur les bases de données et serveurs d’application, sans qu’Oracle ne s’en indigne. La « contestation n’est apparue que lors du second audit et après que le choix se soit porté sur un autre candidat lors de l’appel d’offres consacré au marché « solution achats » », écrit la 3ème chambre. Autrement dit : l’audit a ici été utilisé comme moyen de pression « pour obtenir de nouveaux contrats ». Faute d’avoir obtenu satisfaction sur ce point, Oracle « use de l’action en justice pour obtenir paiement de sommes importantes de l’ordre dans le cas d’espèce de 12 millions d’euros en « dédommagement » de l’exclusion de l’ appel d’offres ». La charge est (très) sévère pour la société de Larry Ellison, qui se voit condamner à verser 300 000 euros à l’Afpa et autant à Sopra au titre des frais engagés par ces deux organisations.

Par contre, l’Afpa se voit débouter de sa demande de saisine de l’Autorité de la concurrence pour examiner un éventuel abus de position dominante de la part d’Oracle, faute d’avoir pu démontrer un éventuel préjudice autre que le procès proprement dit.

Oracle a, comme il fallait s’y attendre, fait appel de ce jugement. La décision de la cour d’appel sera scrutée avec soin, d’autant que les pratiques d’audit visant à tordre le bras des entreprises utilisatrices ne sont pas limitées au seul Oracle, mais touchent la plupart des grands éditeurs.