Axelle Lemaire : « le .vin, j’en fais une question de principe »

La ministre espère une position commune de l’Union européenne sur la gouvernance d’Internet ce jeudi. Et une résolution amiable du conflit avec l’Icann sur le .vin.

Intervenant dans le cadre de l’Assemblée générale de la CNAOC (Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie à Appellations d’Origine Contrôlée), Axelle Lemaire, la secrétaire d’Etat au Numérique, a affirmé avoir bon espoir que les Etats européens s’expriment d’une seule voix sur la gouvernance de l’Internet, lors du Conseil « Télécoms » qui se tient à Bruxelles jeudi 27 novembre. « J’ai demandé que la présidence italienne se saisisse de cette question en priorité », assure la ministre. Au centre des débats : la réforme de l’Icann, l’organisme en charge de l’adressage IP et de l’attribution des noms de domaine génériques, que la France, mais aussi un certain nombre d’autres pays européens, appelle de ses vœux.

Rappelons qu’en juin dernier, Axelle Lemaire et son ministre de tutelle d’alors, Arnaud Montebourg, avaient publié un communiqué très sec où ils affirmaient que « l’Icann n’est plus aujourd’hui l’enceinte adéquate pour discuter de la gouvernance de l’Internet ». En cause : le refus de cet organisme – en réalité une société de droit californien placée sous la tutelle du département du Commerce des Etats-Unis – de prendre en compte les mesures d’exception voulues par la France concernant les extensions .vin et .wine. La cause de la fronde française ? Ces nouveaux noms de domaines seraient opérés par leur possesseur – le registrar américain Donuts – selon la règle du premier arrivé, premier servi. Autrement dit, un champagne.vin, un volnay.wine ou un chateauneufdupape.vin pourraient n’avoir rien à voir avec les AOC correspondantes.

Un casus belli pour les viticulteurs français, qui assisteraient alors au contournement des règles des appellations d’origine. « J’ai le sentiment de voir ressurgir une bataille commerciale qui se jouait auparavant devant des instances comme l’OMC. Ce que certains pays n’ont pu obtenir là, ils cherchent désormais à le faire revenir via une instance très technique », dit Axelle Lemaire. Et pas besoin de pousser la ministre dans ses retranchements pour qu’elle désigne les pays à la baguette. « En juin dernier, au sein du GAC (Government Advisory Commitee de l’Icann), les pays qui ont bloqué les propositions de la France sont ceux qui sont proches économiquement et culturellement des Etats-Unis », explique la ministre, citant l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada et évidemment le Royaume-Uni. En Europe, la France devra donc convaincre ce dernier. « C’est entre mon homologue britannique et moi que va se jouer la négociation », assure même Axelle Lemaire. Comprendre la publication d’une position commune sur la réforme de la gouvernance d’Internet. Et la ministre de regretter le manque « d’allant » de ses interlocuteurs britanniques sur le sujet : « j’attends avec impatience le processus de délégation du .cheese, car ils seront alors directement impactés ».

Yes, Wicann

La France arrive à la table des négociations avec, dans sa musette, une proposition de directive européenne, qui fait suite au rapport des sénateurs Gaëtan Gorce et Catherine Morin-Desailly, publié en juillet dernier. Un texte opportunément adopté par la commission des affaires européennes le 5 novembre, puis par la commission des affaires étrangères le 19. Ce texte vise à « rendre plus démocratique » la gouvernance de l’Internet, aujourd’hui dominée par les intérêts américains, et à transformer l’Icann en Wicann (World Icann). Un organisme « de droit international ou, de préférence, de droit suisse sur le modèle du Comité international de la Croix Rouge, afin qu’une supervision internationale du fichier racine des noms de domaine se substitue à la supervision américaine », précise la proposition de directive.

La France pourra compter sur le soutien d’un certain nombre de pays européens. En Europe, l’Italie et l’Espagne, qui possèdent tous deux des secteurs vinicoles importants, la soutiennent. Les viticulteurs de plusieurs régions américaines, dont la Nappa Valley, ont également rejoint le combat de la CNAOC. « Jamais l’Icann n’avait été inondé d’autant de courriers venus du monde entier. Une campagne menée dans la transparence, ce qui contraste avec l’opacité qui prévaut dans cette institution », tacle encore la ministre.

Contentieux : « à la Commission Européenne de jouer »

Bloquée depuis juillet dernier par deux procédures amiables (l’une de l’industrie du vin, l’autre de la Commission européenne), la délégation des .vin et des .wine à Donuts fait l’objet de longues négociations avec l’Icann. La CNAOC et les autres organismes engagés dans ce combat (Champagne, Bordeaux, Cognac, la Fédération européenne des vins d’origine, Nappa Valley) seraient sur le point de s’entendre avec l’Icann sur la liste des noms à protéger et sur les organismes qui pourraient les exploiter. Reste que le directeur de la CNAOC, qui affirme subir d’importantes pressions pour faire aboutir ces négociations, n’exclut pas un échec des discussions, entraînant alors un contentieux qui devrait être tranché par la justice californienne. « Cette procédure coûterait quelques centaines de milliers d’euros, voire un million. Nous estimons que ce serait à la Commission européenne d’engager cette action », plaide Pascal Bobillier-Monnot.

Une éventualité que préfère écarter Axelle Lemaire. « Des avancées ont été faites de part et d’autre, assure-t-elle. La procédure engagée par la CNAOC peut permettre d’envisager une sortie par le haut sur ce dossier. Je ne crois pas que les parties prenantes aient intérêt au contentieux », affirme la ministre, qui explique qu’une telle procédure pourrait avoir un impact sur les négociations du traité de libre-échange transatlantique. De facto, la ministre est en contact régulier avec Fadi Chehadé, le CEO de l’Icann. Dans une lettre datant du 22 octobre dans lequel il fait état de conversations passées ou à venir avec la ministre, ce dernier assure que « les parties impliquées travaillent à la mise au point d’un mécanisme offrant une protection à une série de noms réservés (comprendre les AOC, NDLR), qui seraient contractuellement protégés via les accords de registres de l’Icann ». Ces règles seraient supervisées par l’Icann, précise Fadi Chehadé. Ce qui lui permettrait de conserver le rôle central de son organisme.

Le vin représente 60 % environ de l’excédent commercial du secteur agro-alimentaire français.

A lire aussi :
L’Icann face aux AOC : comment le .vin a tourné au vinaigre
L’Icann, régulateur technique d’Internet, veut s’affranchir de la tutelle américaine