Les carnets de campagne de Guy Mamou-Mani : cinq années pour rien

En exclusivité pour Silicon.fr, l’ex-président du Syntec Numérique décortique les enjeux numériques de la présidentielle. Et dresse le constat accablant du manque d’attrait des candidats à la Présidentielle pour la question du numérique.

J’appelle depuis longtemps les candidats à la magistrature suprême à concrétiser leurs engagements. Leurs programmes, ceux d’hier et d’aujourd’hui, fourmillent d’idées en matière numérique. L’expérience toutefois m’a appris à douter de leur volonté réelle de faire effectivement la révolution numérique qu’ils promettent à leurs électeurs.

Certes, me direz-vous, les promesses des hommes politiques, surtout les plus radicales, celles qui entraînent de vrais chamboulements comme ceux qui résulteraient d’une « rupture » numérique profonde, n’engagent que ceux qui les reçoivent. Une fois aux affaires, ils sont capables de déployer une force d’inertie que nous ne soupçonnions pas.

Au terme des « décryptages » auxquels je me suis livré ces derniers mois pour remplir ce « carnet de campagne numérique » que Silicon.fr a voulu offrir à ses lecteurs, il se vérifie que mes craintes d’hier étaient bien fondées.

Un remake de 2012 ?

Pour mémoire, voici ce que j’écrivais en toute fin d’année 2016, dans mon premier billet : « Cinq années ont passé. Fleur Pellerin et Axelle Lemaire, en charge du numérique au gouvernement, n’ont pas ménagé leur peine : Grande école du Numérique, Industrie du futur, loi sur le numérique. Leur travail au sein de l’équipe gouvernementale a conduit à plus de maturité chez nos hommes et femmes politiques. Ils restent malgré tout à distance. Il faut tout faire pour que les élections de 2017 ne soient pas un remake de celles de 2012 avec des programmes faméliques pour ce qui concerne le numérique et la mise en place d’un nouveau collectif qui s’époumonerait en vain »

Les candidats à l’actuelle élection présidentielle n’ont pas tiré les leçons du passé, loin s’en faut. Sans vraiment se rendre compte de l’aveu d’impuissance que trahit leur déni de la réalité, ils nous parlent tous sans exception de notre futur sans parler du numérique, sinon à titre anecdotique, dans les toutes dernières pages de leurs livres programmatiques, comme Jean-Luc Mélenchon, quand ils ne l’occultent pas comme Nathalie Arthaud, candidate Lutte Ouvrière, qui a totalement évacué le numérique de son programme.

Aucun des candidats d’hier – et pas davantage ceux d’aujourd’hui – ne se situe à la hauteur des enjeux du numérique. Force est dès lors de constater qu’en dépit des efforts que nous n’avons pas ménagés pour faire bouger les lignes, rien n’a vraiment changé depuis cinq ans. Le monde se convertit au numérique, pas notre pays. D’où le titre de ce dernier billet : « 5 années pour rien ».

La posture de champion du numérique

La campagne n’est pas tout à fait terminée et peut encore nous réserver des surprises. Il n’est pas interdit de croire aux miracles comme il s’en est produit un avec la santé dont la thématique s’est immiscée subrepticement dans le débat présidentiel contre toute attente, avec même quelques incursions timides – mais bien réelles – dans le champ de l’e-santé.

On peut toujours faire de la rhétorique, souhaiter par exemple que la France devienne une « smart nation » (François Fillon), vouloir préserver sa « souveraineté numérique » (Nicolas Dupont-Aignan) ou encore prétendre faire basculer l’Etat dans l’ère numérique avec 100% des démarches administratives en ligne à l’horizon 2022 (Emmanuel Macron). C’est même la loi du genre en politique, et personne n’en fera grief aux candidats. En tout cas, certainement pas moi.

Ce qui par contre est moins compréhensible de la part des candidats, quel que soit leur bord, c’est de ne pas s’exprimer sur des questions d’actualité en lien avec le numérique. Le faire les rendrait plus crédibles que la posture de champion du numérique qu’ils prennent tous.

Alors que nos PME, qui sont les véritables poumons de l’économie et de l’emploi en France, souffrent du poids des prélèvements fiscaux et sociaux qui les frappent, l’absence de réaction des candidats à la publication par le Conseil National du Numérique (CNNum, dont Guy Mamou-Mani est le vice-président, NDLR) du Rapport sur la transformation numérique des PME est une preuve supplémentaire de leur autisme : aucun d’entre eux n’a en effet estimé opportun de faire connaître son sentiment sur les mesures préconisées par le CNNum pour assurer la pérennité de ces entreprises qui forment pourtant l’ossature industrielle de nos territoires et sont le plus souvent sources d’innovations majeures.

Le numérique, combien d’électeurs ?

On aurait pu logiquement s’attendre à ce que nos candidats se saisissent de ce sujet s’il avait revêtu à leurs yeux une quelconque importance. C’était pour eux une aubaine. Or, depuis le 8 mars 2017, date de la remise du rapport à Michel Sapin, rien. Le silence des uns et des autres est éloquent pour ne pas dire dramatique quand on sait l’importance que revêt la survie des PME pour l’avenir de notre pays et le soin qu’apportent à leur développement les autres pays européens.

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La remise du rapport du CNNum au ministre Michel Sapin et à la secrétaire d’Etat Martine Pinville.

Ce silence sur l’importance du numérique est aussi révélateur d’autre chose, de nature politique cette fois. Il témoigne du fait que le numérique n’est pas un sujet populaire électoralement parlant. Aucun des candidats n’en fait le coeur de sa campagne car parler du numérique ne leur apporte pas de voix supplémentaire. C’est donc de manière délibérée qu’ils ont décidé d’en faire un non-sujet. 

Le seul à avoir véritablement effleuré la question, c’est Benoît Hamon à propos de la raréfaction du travail. Mais s’il aborde le sujet, c’est en le détournant, par le biais du “revenu universel” et de la “taxe robots”. Rares sont d’ailleurs les candidats qui, à l’exception d’Emmanuel Macron et de Benoît Hamon qui en possèdent tous deux les codes, semblent avoir une maîtrise réelle du sujet. Lors du grand débat sur TF1, le 20 mars, ils sont les seuls à avoir, à quatre reprises, prononcé le mot “numérique” dont trois négativement comme je l’ai fait observer dans un tweet post débat.

Service minimum chez Macron

Et ce ne sont pas les efforts déployés par le Syntec Numérique lors de son point presse du 23 février pour obtenir des candidats qu’ils affichent une “ambition numérique”, ni ceux du collectif France Numérique 2017 (composé des huit principales associations représentatives de l’écosystème numérique : Cap Digital, Fevad, France Digitale, Renaissance Numérique, SNJV, Syntec Numérique, Systematic et Tech in France), qui les a invités le 9 mars à participer à un Colloque sur “les présidentielles et le numérique”, qui changeront leur logiciel.

L'idée était pourtant bonne, il s’agissait d'offrir aux candidats la possibilité de faire connaître le volet numérique de leur programme. Seul hic, mais de taille, aucun d'entre eux ne s’est déplacé. Le seul à avoir fait un effort pour faire connaître ses idées programmatiques en la matière, à défaut de s’être libéré pour être présent physiquement, c'est Emmanuel Macron qui a envoyé tout exprès une courte allocution vidéo. C'est mieux que rien.

Des choses ont été dites malgré tout sur le numérique par les porte-paroles des candidats, mais avec circonspection. Rien de vraiment d’essentiel n’est ressorti de cette opération qui, sur le papier, se présentait pourtant sous les meilleurs auspices, avec une belle ambition de départ, mettre le numérique au cœur de la présidentielle.

Tribune de la dernière chance le 28 mars

Tout cela pour arriver à un résultat inverse à celui recherché. Un vrai fiasco que n’ont pas pu éviter les organisateurs du colloque qui pensaient, contrairement aux candidats, notamment de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen qui avaient décliné leur invitation, qu’il est « suicidaire de ne pas positionner le numérique au coeur du débat ».

Mesdames et Messieurs les candidats, ressaisissez-vous ; il n’est plus temps d’attendre. Terminez cette campagne en beauté avec le numérique en tête, tant en termes de vision que de priorité.

Je veux croire qu’ils auront à cœur de défendre personnellement leur programme numérique dans la dernière ligne droite de la campagne (il ne leur reste plus que 26 jours « utiles »). France Digitale, l'Acsel, CroissancePlus et Syntec Numérique leur offrent une tribune de rêve en leur proposant de venir en débattre le 28 mars prochain, au Théâtre des Variétés à Paris.

Mes décryptages sont aussi une opportunité pour les candidats (ou leurs représentants officiels) de réagir. Le seul pour l’instant à avoir pris la peine de prendre la plume pour s’expliquer, c’est Alexis Villepelet, responsable du programme présidentiel de Nicolas Dupont-Aignan.

Ce dernier a tenu à m’indiquer, dans un courriel daté du 13 mars, que Debout la France était « très loin de se cantonner aux problématiques de souveraineté numérique » et que NDA souhaitait « doter la France d'une véritable stratégie industrielle à l'horizon 2050 » sur ces questions « numériques scientifiques » (sic). Qu’il soit ici remercié pour les éclaircissements qu’il a bien voulu m’apporter.

Les précédents carnets de campagne de Guy Mamou-Mani :

Nicolas Dupont-Aignan, le prisonnier du souverainisme

Jean-Luc Mélenchon ou le numérique sombre

Emmanuel Macron, chantre du numérique… aphone

François Fillon, plus qu’un simple technophile ?

Manuel Valls, un bilan et un (petit) programme

Le cas Benoît Hamon