Cazeneuve : le premier cyberflic de France donne un bon point aux géants du Net

Le ministre de l’Intérieur se réjouit du niveau de coopération des acteurs du Net, américains y compris, dans la lutte contre la propagande djihadiste.

« C’est une guerre, une guerre totale. Et nous la gagnerons ». De passage au Forum International de la Cybersécurité (FIC) ce mardi 26 janvier, le ministre de l’Intérieur n’a pas donné dans la périphrase pour qualifier la lutte que mène la France contre le terrorisme, et particulièrement contre Daesh. « La force de nos ennemis réside dans le croisement entre un terrorisme de proximité, qui recrute directement dans les pays qu’il entend frapper, et l’évolution technologique, avec le développement de l’Internet 2.0 permettant de constituer des communautés virtuelles », martèle le ministre. Le message est clair : pour l’Intérieur, les technologies de l’information sont consubstantielles de Daesh. D’où le plan d’action détaillé par Bernard Cazeneuve : « au-delà de l’aspect sécuritaire, il faut intervenir en amont, sur Internet, pour briser le continuum de radicalisation ».

En la matière, la France a pris les devants, si on se fie au ministre. La plate-forme de signalement Pharos a ainsi été musclée pour être en mesure de traiter davantage d’alertes : en 2015, celle-ci a traité 188 000 signalements, dont 32 000 liés au terrorisme, contre 124 000 en 2014. Dans le même temps, les services de police ont traité plus de 1 000 demandes de déréférencement et de retrait de contenus, et mis en œuvre le blocage administratif de 283 sites. Des mécanismes que le ministre aimerait bien voir se généraliser au sein de l’Union européenne. « Je défends la mise en place d’une unité semblable au niveau de l’Union, vouée au signalement d’infractions et au déréférencement des contenus illégaux. »

« Je remercie les opérateurs »

Le ministre se félicite également de la coopération renforcée avec les acteurs privés d’Internet. « Je remercie les opérateurs pour la mobilisation à nos côtés et pour la promptitude de leur réponse aux demandes du ministère », lance Bernard Cazeneuve, citant notamment leurs réponses dans les heures et jours qui ont suivi les attentats du 13 novembre dernier. Selon l’Intérieur, le traitement par les acteurs privés des réquisitions des services de police et de gendarmerie, sur la base de signalements Pharos, a abouti à près de 90 procédures judiciaires pour des faits de terrorisme. Ce satisfecit du ministre tranche avec le ton employé aux lendemains des attentats de janvier 2015, où Bernard Cazeneuve n’avait pas hésité à pointer le laxisme des acteurs d’Internet et à faire appel à leur « responsabilité morale »

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Bernard Cazeneuve relisant son discours. Au fond, le préfet Jean-Yves Latournerie.

Ce bon point, délivré tout juste un an après, est aussi l’occasion pour le ministre de rappeler que c’est lui-même qui a initié le mouvement en partant à la rencontre des grands acteurs du numérique, en février dernier lors d’un déplacement outre-Atlantique. « Nous sommes ainsi parvenus, dans le respect du droit existant, à nous mettre d’accord sur une plateforme de bonnes pratiques, que nous avons collectivement adoptée, le 23 avril dernier, lors d’une réunion au ministère de l’Intérieur », rappelle le ministre. Selon lui, le travail a consisté tant à améliorer les demandes adressées aux acteurs privés par les services de police et de gendarmerie – « nous avons adapté nos logiciels et nos circuits de validation pour tenir compte de leurs besoins » – qu’à obtenir chez les grands noms du Net un traitement spécifique des requêtes de la France. Qualifié de « partenariat particulièrement fructueux », ces échanges se développent aujourd’hui au travers d’un groupe de contact qu’anime le préfet Jean-Yves Latournerie, par ailleurs en charge de la lutte contre les cybermenaces. Ce groupe réunit, deux fois par trimestre, l’Intérieur, la Justice, le secrétariat d’Etat au Numérique et les représentants de sociétés françaises et américaines.

Le ministre retourne dans la Silicon Valley

Le ministre y voit une démarche pionnière : « Notre audace a payé, dit-il. Aujourd’hui, les Etats-Unis ont à leur tour affirmé vouloir travailler avec les opérateurs pour contrecarrer l’activité des terroristes sur Internet. » Bernard Cazeneuve n’entend d’ailleurs pas en rester là et prévoit de retourner aux Etats-Unis le mois prochain pour « actualiser le niveau de coopération » avec les géants du Net. Il s’entretiendra par ailleurs avec Jeh Charles Johnson (le ministre de l’Intérieur américain) et Loretta Lynch (la ministre de la Justice).

Cette démarche de partenariat avec les acteurs privés n’empêche pas le ministre de réfléchir à un énième tour de vis législatif, musclant les prérogatives des services de sécurité. Un projet de loi « renforçant d’une part la lutte contre le crime organisé et son financement, et d’autre part l’efficacité et les garanties de la procédure pénale », selon les mots du ministre, sera présenté en conseil des ministres le 3 février. Rappelons que les idées les plus jusqu’au-boutiste ont circulé lors de la préparation de ce texte. Lors de son discours au FIC, Bernard Cazeneuve n’a pas été très prolixe sur les dispositions que contiendrait son texte. Il précise toutefois que le projet de loi intégrera « des dispositions visant à faciliter le travail des enquêteurs, notamment dans le cas d’enquêtes complexes telles que celles concernant le cyberespace. En particulier, l’adoption d’un nouveau critère de compétence territoriale permettra désormais à la justice française de connaître des faits commis en dehors du territoire national, dès lors que la victime de cyber malveillance réside en France ». On peut donc s’attendre à voir les enquêtes cyber des policiers et gendarmes tricolores ne plus être limitées aux seuls équipements hébergés dans l’Hexagone.

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