Comment Chorus Pro veut généraliser la facture électronique

Le grand soir de la facture électronique ? A partir du 1er janvier 2017, les 80 000 entités publiques devront accepter les factures électroniques. L’obligation sera étendue progressivement aux entreprises travaillant avec la sphère publique. C’est le projet Chorus Pro, qui devrait traiter, à terme, 90 millions de factures par an.

Prêt à encaisser le choc ? A partir du 1er janvier 2017, l’Etat entend donner un sérieux coup d’accélérateur à sa politique de dématérialisation de factures. Avec, pour levier, l’achat public. Et surtout l’obligation faite aux 80 000 entités publiques de France d’accepter les factures dématérialisées dès le 1er janvier, comme le stipule un décret du 2 novembre confirmant une ordonnance de juin 2014. L’obligation de dématérialiser s’étend également au secteur privé travaillant avec l’Etat, les collectivités et autres organismes publics. Soit près d’un million de fournisseurs de la sphère publique. Mais au 1er janvier prochain, seules les grandes entreprises de plus de 5 000 personnes seront concernées. Les autres bénéficient d’un calendrier étalé sur 3 ans pour entrer dans le dispositif, sur la base d’un principe simple : plus la société est petite, plus elle dispose de temps pour se préparer.

Le calendrier :

– 1er janvier 2017 : obligation pour 200 grandes entreprises françaises de plus de 5 000 salariés et 80 000 entités publiques ;
– 1er janvier 2018 : obligation pour 45 000 entreprises de taille intermédiaire (ETI) de 250 à 5 000 salariés ;
– 1er janvier 2019 : obligation pour 136 000 petites et moyennes entreprises (PME) de 10 à 250 salariés ;
– 1er janvier 2020 : obligation pour les très petites entreprises de moins de 10 salariés.

L’ensemble du dispositif repose sur un nouvel outil développé par l’AIFE (Agence pour l’informatique financière de l’Etat, rattachée au ministère des Finances) : Chorus Pro.

Certes, en matière de dématérialisation, l’Etat français ne part pas de zéro, puisque depuis 2012, il propose Chorus Factures. Mais cet outil se limite à l’administration centrale, alors que son remplaçant s’étend à toutes les entités publiques. Y compris les écoles, les hôpitaux, les offices HLM ou les petites communes. La date du 1er janvier fait donc figure de moment clef pour la dématérialisation, étant donné les volumes qui seront en jeu et les quelques cafouillages que pareille transition ne manque jamais de produire. L’AIFE s’attend à terme à traiter 90 millions de factures par an dans Chorus Pro. Et à un volume atteignant 25 % de ce total dès 2017. Soit un rythme déjà près de 20 fois plus soutenu qu’avec les seules factures de l’Etat.

70 % de connexion à 90 jours de l’échéance

Régine Diyani, la directrice de l’AIFE, se veut rassurante sur cette transition, préparée depuis des mois : « Dès juillet, une première version de Chorus Pro a été mise à disposition de 18 entités publiques pilotes afin de tester le dispositif. L’expérimentation a été menée de bout en bout, de l’émission des factures, à leur paiement puis aux retours d’information dans Chorus Pro, à destination des fournisseurs. Par ailleurs, début septembre, Chorus Factures a basculé dans la nouvelle solution, y apportant un historique de plus de 2 millions de factures  issues de quelque 30 000 fournisseurs. En même temps, nous avons lancé une campagne de mails d’initialisation des droits d’accès des entités publiques concernées par l’obligation et continué à raccorder des fournisseurs au dispositif. »

Aujourd’hui, l’AIFE assure que, sur les 176 000 comptes d’entités publiques concernées par la réforme, 120 000 se sont déjà connectés au moins une fois à la plate-forme. « A un mois et demi de l’échéance, afficher 70 % de taux de connexion, c’est une satisfaction, explique Régine Diyani. Nous sommes plutôt en avance par rapport aux jalons que nous nous étions fixés. » Par ailleurs, le portail Chorus Pro fonctionne déjà en régime de croisière pour les services de l’Etat, en lieu et place de Chorus Factures. 200 000 factures ont ainsi été reçues depuis la bascule.

Chorus Pro via des API

Surtout, comme le souligne l’AIFE, une large part des entités publiques se connectera au portail… sans le savoir. « Les plus petites d’entre elles ne connaîtront pour la plupart Chorus Pro que via une solution logicielle tierce, communiquant grâce aux API mises à disposition, explique Régine Diyani. Nous venons arrimer notre solution à une infrastructure existante. » Même si l’AIFE souligne que de toutes petites collectivités peuvent aussi décider de travailler en direct sur le portail Chorus Pro. C’est par exemple Le Monêtier-les-Bains, un village des Hautes-Alpes comptant quelque 1 000 habitants.

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Régine Diyani, directrice de l’AIFE.

Reste la réelle inconnue du projet : l’appétit des fournisseurs pour la dématérialisation des factures, qui va entraîner des coûts du fait des adaptations des systèmes d’information en place. L’AIFE rappelle que la concertation avec les entreprises – notamment avec la Medef ou la CGPME – a démarré dès 2013. Pour l’agence, plusieurs arguments militent en faveur de l’adhésion des entreprises. « Tout d’abord, en dehors même de la baisse des coûts qu’entraîne la dématérialisation, la solution apporte de la transparence. Dans Chorus Pro, la date de dépôt est claire – le fournisseur reçoit un accusé de réception horodaté certifié par le ministère des Finances – et l’avancement des factures est indiqué. Une fois cette transparence instaurée, on peut discuter des délais de paiement. C’est l’avantage n°1 de la solution tant pour la grande entreprise que pour le petit fournisseur de l’administration », plaide la directrice de l’AIFE.

Les sous-traitants aussi

Les grandes entreprises, tout au moins celles facturant largement les administrations, devraient donc être au rendez-vous, estime l’agence dépendant de Bercy. « Deux des plus gros fournisseurs de l’Etat, l’Ugap (la centrale d’achat public, NDLR) et EDF, sont enthousiastes car cette réforme se traduit pour eux par la possibilité de rentabiliser des projets qui peuvent s’avérer coûteux », assure Régine Diyani. Davantage d’incertitudes planent sur la réaction des TPE et PME. L’AIFE note d’abord que celles-ci auront à leur disposition des options simples, comme la saisie de leurs données de facturation dans le portail ou l’envoi de fichiers PDF. L’approche technique de Chorus Pro vise à offrir le maximum d’options tant aux émetteurs qu’aux récepteurs, en masquant la complexité de la dématérialisation avec un format pivot facilitant l’intégration dans les systèmes d’information des destinataires. Afin de limiter les résistances. Par ailleurs, l’AIFE souligne l’intérêt pour les sous-traitants, aujourd’hui soumis aux diktats des titulaires de marchés dans la plupart des cas. « Chorus Pro va gérer la sous-traitance et la co-traitance et donnera à ces fournisseurs des dates effectives de paiement », relève Régine Diyani.

Restent quelques angoisses des PME, comme la nécessité de proposer une piste d’audit fiable pour les factures transmises via des PDF non signés. « Mais, en réalité, cette obligation s’applique déjà aux factures papier !, souligne la directrice de l’AIFE. La seule façon de l’éviter est de passer aux PDF signés ou à l’EDI (échange de données informatisé, NDLR). » En réalité, comme avec la facturation papier, la bonne foi de l’entreprise sera appréciée au moment du contrôle fiscal. « Remarquons quand même qu’il est peu probable que des escroqueries à la TVA soient lancées dans le portail de Bercy. Avec Chorus Pro, on instaure un climat de confiance. » L’AIFE estime que d’ici à 2020, une jurisprudence du contrôle fiscal sur des factures non signées se sera dégagée.

710 millions d’économies par an

Si l’AIFE affiche sa confiance dans le dispositif mis en place pour entraîner l’économie française dans une dématérialisation croissante des factures – la sphère publique devant pousser le secteur privé à généraliser la pratique, y compris quand l’administration n’est pas concernée -, la législation laisse une porte entrouverte, pour échapper à l’obligation. Un plan B, sous-entendu par le décret n°2016-1478 du 2 novembre. Dans son article 4, ce dernier précise : « Lorsqu’une facture lui est transmise en dehors du portail de facturation, la personne publique destinataire ne peut la rejeter qu’après avoir informé l’émetteur […] et l’avoir invité à s’y conformer en utilisant ce portail ». Autrement dit, si l’entité publique peut rejeter la facture papier, elle peut aussi… continuer à l’accepter.

Malgré tout, l’AIFE voit dans cette rédaction une victoire, puisque la facture papier pourra être retournée au fournisseur et signalée comme non conforme. « Il ne s’agit pas d’une seconde voie d’échange de factures laissée ouverte par la législation, assure Régine Diyani. Mais plutôt d’une possibilité laissée ouverte pour régler des exceptions ou des urgences, comme les cas où la trésorerie d’une PME est sous tension. »

Au total, l’administration estime que la généralisation de la dématérialisation qui découle de Chorus Pro générera une économie de 11 500 équivalents temps plein à partir de 2021, soit 710 millions d’euros par an. Ces gains seraient répartis entre toutes les entités concernées : 356 millions pour les collectivités territoriales, 114 millions pour l’Etat et les établissements publics nationaux et 335 millions pour les fournisseurs. Chorus Pro devrait coûter 25 millions d’euros (coût de construction et deux ans de fonctionnement), si on se fie au tableau de bord des grands projets informatiques de l’Etat que publie la Dinsic.

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