CITE DES SITES : Claudel aurait compris Internet, Internet le comprend

Certainement l’un des plus grands écrivains de notre époque, disparu il y a tout juste 50 ans, Paul Claudel, est présent sur la toile, bien que peu visible sur les moteurs de recherche (qui visiblement ne comprennent rien à la littérature !)

Si vous souhaitez trouver dans Internet le meilleur site consacré à Apollinaire, Prévert ou Queneau, Google vous le sert sur un plateau, en tête de sa liste. Le meilleur site consacré à Paul Claudel (

Paul-Claudel.net ) est par Google relégué dans des profondeurs abyssales. Yahoo même combat, c’est incompréhensible. Mais Yahoo vous propose ce site qui se présente comme le site officiel (sic !) de Paul Claudel et qui est une compilation de diverses citations. Renseignements pris, ce site devrait quitter bientôt la toile. Paul Claudel est incontestablement le plus grand écrivain de notre époque mais constatons qu’il a vécu 33 ans dans ce que, stupidement, Léon Daudet appelait le stupide 19ème siècle. Il a été le contemporain de Zola et de Maupassant qui nous semblent loin. C?est au 19ème siècle qu’il a écrit quatre chefs-d’?uvre : Tête d’Or ? curieux destin que celui de cette pièce créée en 1958 après la mort de Claudel par Jean-Louis Barrault, son premier spectacle à l’Odéon ; reprise en 1968 et ce fut le dernier spectacle de la Compagnie, avant l’ouragan de Mai,- La Ville, L’Echange et La Jeune fille Violaine qui n’appartiennent en rien à l’esthétique de l’époque. On célèbre cette année avec quelque faste le cinquantenaire de la mort de Paul Claudel, le mercredi des Cendres 1955 ; jour symbolique certes mais je ne suis pas sûr qu’il n’ait pas fait bombance la veille, jour du mardi gras. ( Paul-Claudel.net ) a, ai-je appris, eu du mal à démarrer. Il était en bonne voie et, patatras, changement d’ordinateur, tout disparaît et Didier Alexandre dut tout recommencer. Du coup le site est peaufiné et ses documents bien mis en valeur. Un chapitre s’intitule Réception de Paul Claudel ; il ne s’agit pas de l’Académie française mais de la manière dont Claudel est reçu, en France et dans le monde. L’auteur du Soulier de Satin a été plus qu’aucun autre vilipendé ; c’est peut-être inimaginable mais, même encore aujourd’hui, son attitude sous l’Occupation est sujette à critiques. Sous la signature de Jacques Houriez, on apprécie : «Il s’est souvent plaint, des silences bien plus que des attaques. Mais, dès son entrée en littérature, il a bénéficié d’articles enthousiastes qui l’ont auréolé de gloire dans les milieux intellectuels. Par ailleurs, parmi les plus hostiles, certains lui reconnaissent de la valeur. Ils finiront, à contrecoeur, par lui accorder du génie. Les attaques sont souvent liées au fait religieux. En décembre 1913, il relève dans son Journal « d’atroces calomnies […] à propos de l’internement de Camille« . Elles dénoncent « un crime clérical« . Mais il conclut : « C’est bien« . Le Corriere d’Italia l’accuse en 1916 du manque de respect à l’égard des textes sacrés et d’ostentation. En 1932, il relève encore : « Un journal italien m’appelle ‘le Gorille Catholique’ et dit [que] la Duse a été horrifiée par le caractère ‘fiero e crudele’ de ma religion » Mais dans l’entre-deux guerres, l’hostilité vient surtout de « l’école de l’Intelligence« , un groupe d’intellectuels proches de Maurras et plus ou moins affiliés à l’Action française. Antoine Rédier lance contre lui dans la Revue française une attaque personnelle perfide, Lasserre le prend à partie dans la Minerve littéraire, le « pion André Beaunier » dans l’Echo de Paris, Dubech, Bidou ne le ménagent pas. Souday dans Le Temps prend à partie son verset, sa « prose soufflée« , son habitude « de manier l’anathème contre l’alexandrin« , son admiration pour un Bossuet gallican. Mais, s’il lui reproche la laideur de sa matière, « un son qui n’est pas français« , s’il lui en veut de « n’être pas français« , d’avoir un juif, Darius Milhaud, parmi ses amis, s’il est « un barbare« , il lui reconnaît cependant une riche imagination et une espèce de génie. Marcel Anaîs le taxe de mauvais goût, de maladresse et de sottise. Alain Sanger, dans La République, lui reproche une haine cléricale à l’égard de l’Allemagne et de ne pas savoir écrire. Claudel dénoncera à plusieurs reprises la dimension antichrétienne, nietzschéenne de ces attaques. Mais les motivations politiques ne sont pas absentes, et elles s’affichent tout particulièrement à l’occasion du « glorieux échec » à l’Académie française. En avril 1935, la presse dans la mouvance d’Action Française, Candide, Je suis partout, est seule à s’en féliciter, mais le fait avec ostentation. Elle dénonce un Claudel « dans le sillage du bateau Briand-Berthelot, nuance chère aux arrivistes contemporains, celle du clérical-franc-maçon« . Pour Maurras, dans l’Action Française, cette « élection est la défaite à la fois de Claudel, du nonce, du Romantisme, du Populaire, des Nouvelles Littéraires, de l’Aube, des Jésuites pro-allemands et de Victor Hugo ! » Tel est le regard de cette mouvance sur lui (?)» Le site a une structure universitaire en collectant toutes les informations. Son analyse du Journal de Claudel, si différent de ceux de Jules Renard et d’André Gide, est particulièrement édifiante. «Le Journal constitue ainsi comme un réservoir d’idées, d’images et d’expressions, parfois aussi de boutades et de bons mots, où l’écrivain puisera pour nourrir ses ?uvres. « Au fil de ses lectures, de ses expériences et de ses réflexions, Claudel note également les sentiments que lui inspirent les événements, les personnages et les écrits, historiques ou artistiques, auxquels il s’est intéressé. Le Journal recueille et reflète alors, dans leur jaillissement immédiat, toutes ses idées politiques, littéraires, scientifiques, philosophiques et religieuses. On y voit l’aveu sans détours de ses goûts et de ses dégoûts, de ses amitiés et de ses inimitiés, de ses répugnances et de ses refus. On lira dans le Journal les jugements, souvent abrupts, portés sur les écrivains, les politiciens, les artistes et les penseurs, passés ou contemporains, qui ont déchaîné son admiration ou son indignation, excité sa verve ou sa vindicte. On y saisira sur le vif sa condamnation des hérésies religieuses, sa rancune envers les critiques universitaires, son horreur de l’hitlérisme et du communisme, son opinion, d’abord hésitante et rapidement arrêtée, sur le régime de Vichy, sa protestation contre les représailles allemandes et les exactions subies par les Juifs pendant la guerre. Le Journal permet ainsi de mesurer l’immense étendue de sa culture et la vivacité de l’intérêt qu’il portait aux événements et aux idées politiques, historiques, artistiques et philosophiques. (?) « Beaucoup plus développé que les notations succinctes des agendas de Chine auxquels il a succédé, plus spontané que la correspondance et les écrits destinés à la publication, plus précis que les souvenirs précieux mais parfois un peu distants des Mémoires improvisés, le Journal est un document capital offrant une somme inégalée d’informations sur la vie, la personnalité, l’?uvre et la pensée de Paul Claudel.» Dans la même rubrique, «Claudel par lui-même» le chapitre «Mémoires improvisés et enregistrements» n’est pas encore assuré. Il faut espérer qu’y entreront des extraits sonores significatifs empruntés aux très nombreux disques perpétuant la voix et les ?uvres de Claudel. Hélas ! je suis bien placé pour le dire, nombre de ces enregistrements ne se trouvent plus qu’au dépôt légal? Je pense qu’il faut aussi ouvrir une rubrique iconographique. Dans le site Gallimard, il y a seulement trois photos de Claudel – oblitérées par le sceau nrf. Chez le même éditeur, un ouvrage de M.J. Gillet-Maudot est un véritable Claudel par l’image. Pourquoi ne pas le scanner en partie ? Au long de sa carrière consulaire et diplomatique, Paul Claudel s’intéressa toujours de près aux problèmes techniques, industriels et commerciaux. S’il avait rencontré Internet, cela l’aurait passionné ? et il aurait tout compris. Il y a énormément de sites concernant Claudel. Certains sont savoureux. Ainsi celui d’un poète haïtien Glémaud, dont les prénoms sont Paul et Claudel. Il y a aussi celui d’une école maternelle de Tourcoing dédiée à Claudel dont les axes prioritaires sont «perfectionner la langue orale à travers des activités en BCD, développer les compétences langagières, responsabiliser par la pratique d’activités physiques, etc.». Il y a le site agréable de Claudel Lingerie, à Montréal et celui d’Aurélie Claudel. Vous pouvez emprunter la photo assez peu vêtue d’Aurélie pour avoir un fond d’écran. Elle est née en France en 1980. Son père était un notaire distingué qui aurait compté parmi les descendants (sic) de la sculpteuse (sic) française, Camille Claudel. À 13 ans elle rencontre au Jardin des Plantes un homme qui fait d’elle un top-modèle. Et depuis elle serait célèbre dans le monde entier. Mais l’histoire la plus adorable trouvée sur Internet est celle d’un monsieur qui prend sa retraite et dont le seul titre de gloire a été toute sa vie de s’appeler « Paul Claudel » ! La Fnac a un site permettant de retrouver n’importe quel auteur en un clic. J’ai cherché Paul Claudel et, en matière de livres, on m’a proposé seulement trois titres, Les âmes grises, Le bruit des trousseaux et Les petites mécaniques, trois romans de?Philippe Claudel? Redevenons sérieux. J’ai eu la bonne fortune de tomber sur le site de l’association Guillaume Budé d’Orléans donnant le compte rendu (décembre 1968) d’une conférence de Gérald Antoine, alors recteur de la Faculté d’Orléans qu’il avait fondée : « Claudel ou le génie familier (?) « Cette voix familière, on la retrouve partout dans son ?uvre, dans le salut à la terre de Combernon d’Anne Vercors, dans le célèbre dialogue d’Animus et d’Anima, et en particulier dans les Conversations dans le Loir-et-Cher, promenade à bâtons rompus, à la verve étonnante, dont la première se déroule «  sur une terrasse devant un petit château adossé à la forêt de Russy, près de Blois « . Qu’on relise, par exemple, ce poème à la France qu’est le Cantique de l’Intelligence? Ce «  génie familier  » se retrouve partout, aussi bien dans la bouffonnerie débridée du Protée que dans le lyrisme des Odes, que dans ce qu’on appelle le baroquisme de son théâtre « , pareillement à l’égard des mots. (?) Plus il va, plus il recherche le mot familier et la recherche se traduit par des phrases amusantes et cocasses. Et il y a l’étage des images, bien grossières, bien naïves apparemment. Les uns se scandalisent, les autres se régalent : pas question d’en juger. « L’harmonie imitative, nous voulons la posséder, dit le poète, comme un outil bien emmanché« . Le recteur observe ensuite que Claudel avait un côté célinien. Il n’aimait pas les professeurs, gardiens du bon usage. Le bon usage l’agace. C’est avec « toutes sortes d’ingrédients  » qu’il fabrique son comique. On trouve aussi chez Claudel «  des mots du terroir et des idiotismes« . Autre exemple : n’a-t-il pas écrit : « C’est la bonne femme qui boustiffe la boustifaille  » ; comment mieux exprimer qu’elle a faim ? La sensualité verbale vient s’incorporer à la sensualité charnelle et la réussite est complète. Dans sa syntaxe, il multiplie la phrase segmentée. Il s’amuse à casser ses phrases, parce que c’est comme cela que nous nous exprimons dans le quotidien. Puis, il y a l’intrusion des démonstratifs, destinés à rapprocher du lecteur l’objet qu’il évoque. M. Gérald Antoine en vient ensuite à la valeur de l’interrogation métaphysique : nous sommes des êtres qui nous interrogeons tous les jours… Pourquoi est-ce que Dieu a fait l’homme et la femme ? Dieu est sommé par le poète de donner la réponse… Et une preuve actuelle de l’existence de Dieu est peut-être la contestation… Le conférencier montre Claudel « dans sa manière de se gorger de victuailles verbales « , «  mettant Dieu dans sa poche « , alignant « tout ce qui est grandiose au niveau du quotidien « , «  se livrant maints télescopages syntaxiques « . En un mot, il est parti de la solennité lyrique pour aboutir à la familiarité dramatique. Comme il était en avance sur le temps que nous vivons ! – observe, en arrivant à sa conclusion, M. Gérald Antoine. Et le monde n’a pas fini de changer ! Nous sommes dans un monde très claudélien. On ne cesse de s’interroger et, au-delà de la réponse, il reste toujours une question?» Depuis, Gérald Antoine a été élu à l’Institut, après avoir écrit Paul Claudel ou l’Enfer du génie, une biographie qui fait autorité. Je garde un souvenir de Paul Claudel. C’était vers 1950, à la salle Gaveau. Il parlait, longuement, d’une ?uvre de sa s?ur représentant une femme assise et qui regarde le feu.