CITÉ DES SITES : Internet, éternité, même combat

Internet est le doublet allitératif d’éternité. Je le pense, je l’espère et je le souhaite. Tout ce qui est dans Internet le sera encore dans des centaines d’années pour la plus grande joie de nos lointains descendants.

Dans des temps très anciens les chroniques étaient rarement contemporaines des faits. Ainsi les Évangiles furent écrits entre 75 et 120 après Jésus-Christ, mort en 33. Ainsi la Chanson de Rolland qui relate la bataille de Roncevaux (778) fut écrite à la fin du XIème siècle. C’était, déjà, du français, dit-on. Extrait : «

Co sent Rollant que la mort li est pres: Par les oreilles fors s’e ist li cervel. De ses pers priet Deu ques apelt, E pois de lui a l’angle Gabriel.» Traduction, quand même : «Roland sent que la mort est proche pour lui: par les oreilles sort la cervelle. Pour ses pairs, il prie Dieu, il le prie de les appeler; pour lui-même, il prie l?ange Gabriel.» ( in www-rohan.sdsu.edu/dept/frenital/chanson.htm#128) Les récits sont très souvent postérieurs aux événements. Certes Molière, dans le Misanthrope, Les Femmes savantes, L’École des Femmes, Les Précieuses ridicules, peint admirablement le siècle de Louis XIV. Et puis la presse existe depuis Théophraste Renaudot, bien élémentaire mais qui va s’épanouir sous la Révolution et surtout au XIXème siècle : la rotative, vers 1830, permet enfin des tirages importants. En France la presse quotidienne connut son apogée entre les deux guerres et semble être victime actuellement, en dépit de tous ses efforts, d’un certain déclin. Soyons heureux que tout soit conservé grâce au dépôt légal. À la Bibliothèque Nationale. Depuis qu’elle a «intégré» le site François Mitterrand, tous les périodiques sont là, plus besoin d’en faire venir de Versailles, mais la consultation n’est pas une petite affaire. Heureusement est né Internet ! Jean-Noël Jeanneney, dont le grand-père, Jules, fut ministre de Clemenceau, présida à Vichy le Congrès qui confia le pouvoir au maréchal Pétain puis, à la Libération, devint ministre du général de Gaulle; dont le père, brillant professeur de droit, fut rival de Mendès France et plusieurs fois ministre, Jean-Noël Jeanneney, naguère secrétaire d’État, est président de la Bibliothèque Nationale de France. À ce titre, il vient de publier un grand article dans Le Monde. Je reprends quelques-uns de ses passages dans lemonde.fr : «Il nous revient à présent d’assurer la mémoire d’Internet. Rude affaire ! « La mission régalienne de la Bibliothèque nationale de France s’organise selon des rythmes singuliers. Depuis François 1er, il lui revient de servir la mémoire de la collectivité en prolongeant le très long cours du recueil et de la conservation de tout ce qui est imprimé, puis de le mettre à la disposition de la connaissance et du civisme. Rien qui soit, apparemment, plus serein et presque paisible. « Mais il lui faut affronter d’autre part un violent défi, au plus vif de notre modernité, celui des technologies contemporaines ; il lui faut assurer, pour que notre temps soit intelligible aux générations futures, la sauvegarde de ce que la Toile transmet désormais d’essentiel, au jour le jour, entre nos concitoyens. Faute de quoi disparaîtraient, dans le futur, bien des clés nécessaires pour comprendre notre époque. » « Rude affaire ! Car il faut affronter le vertige de l’immensité. En France, le seul domaine « .fr » comporte aujourd’hui près de 250 000 sites publics et peut-être 100 millions de pages – en croissance exponentielle – tandis que les sites personnels offrent, innombrables, une foule de richesses. « Comment affronter cela ? Vouloir tout conserver, dans cet univers de la fugacité, serait illusoire et délétère. Le temps n’est plus, dans ce champ, à l’exhaustivité. Y prétendre conduirait à s’étouffer comme une baleine sur une plage – tuée par son propre poids. « La Bibliothèque ne négligera certes pas l’avantage de partager son effort, avec d’autres institutions nationales. Les Archives nationales assumeront, selon leur vocation, la préservation de l' »intranet » administratif et des sites gouvernementaux. Il reviendra à l’INA de « moissonner » les sites animés par les entreprises de l’audiovisuel en prolongement de leurs antennes (en y joignant, éventuellement, ceux de la presse spécialisée dans ce secteur). Nous n’en savons pas moins que la tâche nous incombera pour l’essentiel.» Actuellement existent quatre milliards et demi de pages Web ‘directement accessibles’ et ce chiffre croît démesurément chaque jour. Grâce aux moteurs de recherche comme Google on retrouve tout très facilement. Mais, en fait pas tout. Ainsi son site adjacent, intéressante revue de presse, news.google.fr/, ne cite jamais Le Canard enchaîné en direct. Pour la simple raison que l’hebdomadaire satirique du mercredi, menant un combat d’arrière-garde, n’a pas de site Internet digne de ce nom. Et, comme Google n’ouvre jamais un journal papier, seul compte pour lui ce qui est consigné dans Internet. Du même coup, quand un document n’est plus proposé sur Internet par son initiateur ou qu’il est soumis à péage, il disparaît corps et bien de Google ! Ne pourrait-on pas dans l’intérêt de la MÉMOIRE conserver ce qui, souvent, disparaît trop vite ? Tout est important et souvent le moindre détail. On souriait autrefois lorsque les «anciens de Verdun» «réégrenaient» leurs souvenirs et pourtant ils étaient la mémoire. Sait-on qu’autrefois on achetait le beurre à la motte qui était débitée avec le fil à couper le beurre que personne n’avait inventé ? Se souvient-on qu’au début du siècle dernier les femmes ne portaient ni soutien-gorge ni culotte et que, pourtant, elles étaient caparaçonnées ? Que toutes les gares de France étaient desservies par le chemin de fer mais qu’il fallait douze heures pour aller de Paris à Marseille ? Que les voyages en avion étaient aussi chers que dangereux ? Qu’il fallait en 1950 plus de deux ans pour avoir le téléphone ? Que l’absinthe hier tuait plus que le tabac aujourd’hui ? Etc., etc. Mille choses qui nous ont été transmises verbalement. Le cinéma est parfois un bon vecteur. La Fille du puisatier, tourné à l’époque, nous retrace très exactement l’atmosphère de l’année 40 avec, même, une réelle allocution du maréchal Pétain. La Bataille du Rail, de René Clément, Jéricho, d’Henri Calef sont d’autres exemples contemporains de l’action, mais il faut se méfier des reconstitutions sauf, peut-être, de La Ligne de démarcation de Claude Chabrol. Il viendra bientôt le temps où l’on verra des téléphones portables sous la Révolution française. D’ici-là il serait peut-être utile d’établir la liste exhaustive des films témoins. Avant la guerre existait une publication qui manque aujourd’hui, le Larousse mensuel illustré, qui traitait l’actualité au jour le jour de façon encyclopédique. Depuis 1974, nous avons désormais Universalia, de l’Encycloædia Universalis, qui dresse splendidement chaque année le bilan de l’année précédente /www.memodoc.com/article_livre_de_raison_montvalon.htm nous offre le livre de raison de Casimir de Barrique de Montvalon notable et académicien aixois (1774-1845) que préface Sylvie Mouysset : «Lorsque Casimir de Montvalon prend la plume pour rédiger ce qu’il nomme lui-même son « Livre de Raison« , il commente son geste en ces termes : « J’ai cru devoir transmettre à mes descendants, si le Ciel m’en destine, les détails qui pourront servir à régler leur conduite? « . Plus loin, il ajoute : «  La loi que je me suis imposée de dire la vérité dans une notice de ma famille qui pourra devenir utile un jour à mes descendants me soumet à une obligation cruelle, celle de chercher les défauts essentiels « . « L’objet principal de cet épais manuscrit de près de quatre cents feuillets, élaboré en grande partie à l’heure où il est temps de faire le compte de sa vie, semble être effectivement de léguer une expérience unique et extraordinaire à ses enfants, tel un bien patrimonial transmissible. La mémoire paternelle ainsi délimitée par l’écriture en un parcours personnel entre Ancien Régime et temps nouveaux devra alors guider les descendants de Casimir de Montvalon tout au long de leur existence. « C’est ainsi que l’auteur présente son ?uvre, sorte de testament philosophique dans lequel il choisit de se dépeindre sans détour ni complaisance, et rappelle de temps à autre l’obligation qu’il s’est fixée de ne « mêler aucune description à ce simple récit des actions de ma vie« ». Un de nos amis, qui souhaite garder l’anonymat – il dirige un organisme important – a eu sa jeunesse éblouie par le livre de raison de son arrière grand-père, victime du Second Empire, judicieusement édité en fac-simile par sa famille. Et, familier d’Internet, il a ouvert un site répertorié par Google mais qu’il m’a demandé de taire. Il a cinq enfants nés d’une femme adorable et il raconte au fil des années la vie de cette famille sympathique. Depuis 1999, chaque année a droit à son chapitre et les petits-enfants des enfants actuels retrouveront au cours du XXIIème siècle des informations qui les amuseront, les émouvront ? car il n’y a pas de raison que la chaîne Internet s’interrompe ou se casse. Ce que font mes amis S. chacun peut le faire et il n’y aura plus besoin de faire des recherches généalogiques.