CITE DES SITES : Le Canard ne veut pas s’enchaîner à Internet

Petit détour chez nos confrères de la presse satirique, auprès d’un hebdomadaire du mercredi qui fêtera bientôt ses 90 ans…

Dans Universalis, Christine Leteinturier fait une excellente analyse du Canard enchaîné : «

Principal hebdomadaire satirique français, Le Canard enchaîné, a été créé le 10 septembre 1915 par Maurice et Jeanne Maréchal, en riposte à la censure de la presse, à la propagande et au bourrage de crâne imposés par la guerre et ses difficultés. Mais il ne démarre vraiment que le 5 juillet 1916, s’annonçant comme « vivant, propre et libre ». Il va s’attaquer « à la guerre, à la censure, aux politiciens, aux affairistes, aux curés, au pouvoir, à la guillotine ». Originellement antimilitariste, il se situe délibérément à gauche, sans renoncer pour autant ni à son indépendance ni à son esprit critique. Ses premiers collaborateurs sont Anatole France, Tristan Bernard, Jean Cocteau, Henri Béraud, les dessinateurs Laforge et Gassier. Après la guerre arrivent Henri Jeanson et Roland Dorgelès. Critique vigilant du monde politique et économique, le journal soutient néanmoins le Front populaire et dénonce la montée des régimes totalitaires.« Il suspend sa parution en 1940 pour reparaître le 6 septembre 1944. Maurice Maréchal est décédé en 1943. Son épouse, Jeanne, reprend la direction de l’hebdomadaire avec Treno, Gabriel Macé, Roger Fressoz (alias André Ribaud), Yvan Audouard, Morvan Lebesque, les dessinateurs Lap, Escaro. L’arrivée du général de Gaulle en 1958 va donner un nouvel élan au journal avec la création par Moisan et André Ribaud de «la Cour». En décembre 1969, à la mort de Treno, Roger Fressoz prend la direction de l’hebdomadaire. C’est sous sa direction que Le Canard évolue vers la dénonciation des scandales divers qui vont éclabousser le pouvoir : l’affaire Aranda, l’affaire Boulin, les «micros du Canard»… et l’affaire des «diamants» de Valéry Giscard d’Estaing, ce qui permettra au journal d’atteindre un tirage de 850 000 exemplaires. À l’origine de cette nouvelle stratégie d’agitation politique reposant sur la publication de photocopies, on trouve Claude Angeli. «Fou du roi et garde-fou de la République», selon le mot d’André Ribaud, Le Canard ne sera jamais interdit. Après 1981, il éprouve quelques difficultés à s’adapter à la victoire socialiste.» De « L’Homme libre » à « L’Homme enchaîné » Le Canard s’affirme enchaîné par allusion à « L’Homme libre » de Clemenceau qui, interdit fin septembre 1914, reparut quelques jours plus tard, plus ou moins clandestinement sous le titre « L’Homme enchaîné« . Mais il faut ajouter que le Canard enchaîné ne l’est pas le moins du monde, et ne l’a jamais été. Il est le seul périodique à ne pas avoir la moindre ligne de publicité, affichant ainsi une totale indépendance. L’hebdomadaire satirique paraissant le mercredi ? c’est ainsi qu’une périphrase le désigne souvent ? s’imprime mardi au début d’après-midi ce qui l’empêche de donner son impression sur ce qui se passe le mardi après son ?impression. Je n’ai jamais compris que le Canard n’ait pas trouvé une imprimerie qui puisse assurer sa sortie mardi à minuit comme celle de tous les quotidiens parisiens du matin. Depuis quelque temps on peut dans la soirée de mardi prendre connaissance de la « une » du Canard. Sur Internet – www.canardenchaine.com/ – il propose donc cette page, mais seulement cette page qu’on ne peut pas agrandir. Si on veut la lire, il faut une vraie loupe et, j’ai essayé, on ne peut pas la copier/coller. En revanche, on peut copier/coller cette déclaration d’intention : «Non, en dépit des apparences, « Le Canard » ne vient pas barboter sur le Net. Ce n’est pas faute d’y avoir été invité par des opérateurs plus ou moins bien intentionnés, et parfois par des lecteurs qui aimeraient bien lire en ligne leur hebdomadaire préféré. Et surtout, par les canetons expatriés, qui ne reçoivent parfois leur journal, à l’autre bout du monde, que plusieurs jours après la parution. Mais notre métier, c’est d’informer et de distraire nos lecteurs, avec du papier journal et de l’encre. C’est un beau métier qui suffit à occuper notre équipe. Ce site officiel du « Canard » se limite donc, pour l’heure, à donner quelques informations pratiques, et aussi à occuper les adresses que des escrocs ont parfois tenté de détourner, en se faisant passer pour nous. Petit à petit, nous nous efforcerons d’enrichir le contenu, avec une rubrique historique, et, peut-être, un accès aux archives.» Dommage pour les archives, absentes en ligne Cette dernière affirmation est pleine de promesses et comme on serait heureux de pouvoir retrouver l’essentiel de ce qu’a fait et qui a fait le Canard depuis 90 ans, si l’on veut bien écarter l’Occupation ! Mais, pour l’instant, le Canard, lui qui déteste la publicité, se sert d’Internet pour ?sa publicité. Toutes indications sont données pour les abonnements mais on ne peut pas s’abonner en ligne? On a accès aux dernières « une » et aux couvertures des Dossiers. On peut copier celles-ci et non celles-là. Le site du Nouvel Obs est toujours en mouvement et je ne pense pas que cela puisse faire perdre à ce journal un seul lecteur-papier. Le Canard craint-il qu’il n’en soit pas de même s’il avait un site actif à chaque instant ? Il est vrai que le Nouvel Obs est aidé financièrement par les publicités nombreuses dans son site? Anti-féministe et machiste? On sait que le Canard est anticlérical ?certes pas à la manière de La Calotte et autres brûlots du 19ème siècle ? ce qui lui assure la clientèle de nombreux prêtres eux aussi anticléricaux. Mais sait-on que le Canard fut également accusé d’antiféminisme voire de machisme ? Sous le titre « Canard Déchaîné et Poules Enchaînées : les premiers actes civiques des femmes au regard de la caricature satirique (1944-1946)« , Bruno Denoyelle s’exprime sur https://clio.revues.org/ : «Ayant toujours immodérément usé de la caricature au fil de son entreprise d’iconoclastie politique, le Canard Enchaîné reste l’un des prismes les mieux adaptés à l’étude des représentations sociales de la femme et du politique. Des recherches antérieures menées sur l’émancipation politique féminine au travers de la presse française de la Libération1 permettent de souligner ici la contradiction résidant en cette traditionnelle prétention contestataire du Canard Enchaîné et l’archaïsme d’alors de ses représentations de l’acte de vote au féminin. Nulle exaltation lyrique entre avril 1945 et octobre 1946 alors que la Française rencontre, pour la première fois, les urnes lors de neuf scrutins décisifs ! Bien au contraire, le Canard Enchaîné, par ses caricatures, renchérit de façon systématique sur cette incapacité quasi-biologique de la femme à se mouvoir dans le champ du politique, incompétence nous renvoyant sensiblement aux lieux communs de la IIIe République. « Il y a une tripartition fonctionnelle de l’incompétence politique féminine au travers de ces caricatures satiriques. Prostituées, religieuses et ménagères sont les archétypes récurrents sujets aux attaques du Canard. L’expérience politique quelque peu graveleuse des premières souligne en négatif l’incompétence bêtifiante des autres. Toutes ces figures féminines caractérisent ostensiblement l’image peu valorisante, comme peu valorisée, d’une femme égarée dans les domaines nouveaux du politique en actes. Le Canard Enchaîné va instrumentaliser cette incompétence présumée afin de nourrir son habituel irrespect des choses du civisme, afin de pouvoir jouer dès les premiers temps de la Libération avec des valeurs politiques tenues désormais pour sacrées. « Cette instrumentalisation contemptrice passe essentiellement par un travestissement de la gestuelle du vote au féminin, par une parodie des sacrements religieux : l’urne se transforme en tronc d’église, le « a voté ! » en « a dévoté ! », le Nom du Seigneur en non référendaire? Le célèbre anticléricalisme du Canard Enchaîné renforce une représentation idéal-typique de la femme assujettie aux intérêts de son Église : nonnettes et dévotes font écho aux prophéties séculaires de Michelet? D’autre part, la ménagère n’est présentée qu’en état de sujétion, soumise au joug matrimonial, sujétion justifiée par une candeur politique proche de la stupidité. La prégnance des pôles socialisateurs du mari comme du prêtre souligne cette incompétence féminine supposée aux choses du civique. Enfin, la prostituée ne fait que renforcer cette dévalorisation du politique en y associant une image peu laudative aux compétences ambiguës, image qui renforce la vacuité civique des « honnêtes femmes». Et les escrocs? Je suis allé à la quête des prétendus escrocs qui auraient tenté de détourner le Canard et je n’ai trouvé que https://www.electriccafe.org/Canard/ qui écrit, sûr de son innocence : «La Crème de Canard ferme définitivement. Cette fermeture fait suite à une plainte portant sur la mise en ligne d’informations nominatives concernant une mise en examen. La peine encourue étant très importante, je ne peux me permettre en tant que particulier de prendre le risque de me faire attaquer à tout moment. L’instruction suit son cours. Je maintenais la Crème de manière bénévole et désintéressée pour permettre au plus grand nombre et notamment à ceux qui n’ont pas la possibilité d’accéder au journal papier, soit pour des raisons politiques, soit pour des raisons géographiques. Je remercie tous ceux qui m’ont soutenus durant ces cinq années. Je suis aussi désolé que vous de la fin d’une belle aventure mais la loi ne me permet pas de poursuivre cette activité.» In memoriam J’ai bien connu deux collaborateurs du Canard aujourd’hui disparus : Yvan Audouard qui tenait la rubrique des « Étranges lucarnes » et Morvan Lebesque, qui assurait une chronique non remplacée jusqu’ici. «Nous sommes très bien payés», m’avait-il dit pour me montrer comment son journal était bien géré. Il collaborait à un mensuel que je dirigeais, où il était moins bien rémunéré. https://bzh.44.free.fr/personnages retrace en quelques mots sa carrière : «Morvan Lebesque (1911-1970) est né à Nantes. Morvan fait ses études dans sa ville natale où, un jour, une inscription sur la tour du musée Dobrée l’intrigue « AN DIANAV A ROG A C’HANOUN ». Quelqu’un lui apprend, que cette phrase est en breton et veut dire « L’INCONNU ME DÉVORE ». Ce moment fut pour le jeune Nantais une révélation sur son sentiment d’appartenance à la Bretagne. Un sentiment qui va grandir et le suivre jusqu’à sa mort. Morvan devient journaliste au Canard Enchaîné. Il publiera une série de reportages sur la Bretagne et un « Essai sur la démocratie française : comment peut-on être Breton » (repris par les Tri Yann dans « La Découverte ou l’ignorance« ). Il sera rédacteur en chef à l’Echo de la Loire en 1930, pigiste à « L’Heure Bretonne » et à « Je suis partout ». Il meurt le 4 juillet 1970 lors d’un reportage au Brésil. Son corps est rapatrié et enseveli au cimetière Miséricorde à Nantes. »