Comment le SGBD Ingres roule-t-il au GPL ?

Éric Soares, directeur général d’Ingres en France et vice-président pour
l’Europe du Sud, nous peint le portrait d’un éditeur passé en zone libre, depuis
son indépendance retrouvée par rapport à Computer Associates en novembre 2005.
Une interview franche et sans violons?

Pourquoi la mouche de l’open source a-t-elle piqué Ingres ? Etait-elle si peu rentable chez CA ?

En fait, la reprise de notre indépendance s’inscrivait dans un réel projet d’entreprise mené par Terry Garnett, ex-directeur marketing d’Oracle dans les années 90, qui connaît donc parfaitement le secteur. Oracle domine un marché des bases de données d’environ 17 milliards de dollars avec une part de 50 %, tandis que les bases de données Open Source ne représentent que 250 millions de dollars. Une situation qui offre une opportunité, puisque les analystes estiment que ce montant croîtra jusqu’à près 4 milliards de dollars en 2010.

Et justement, Ingres bénéficie d’atouts majeurs pour se positionner avec 25 ans d’expertise et d’expérience, et près de 10.000 clients dans le monde. Enfin, les DSI cherchent en priorité à travailler autrement et à réduire leurs coûts. Or, le modèle open source permet de répondre à ces deux préoccupations : économies d’échelles (pas de coût de licences) et innovation par la contribution communautaire (validée par l’éditeur).

L’open source est-il réservé à Linux et Windows ? Comment organisez-vous l’activité d’éditeur et la collaboration avec la communauté ?

<< Éric soares, directeur général d'ingres en france et vice-président pour l'europe du sud

L’open source concerne toutes les plates-formes comme AIX, Solaris, divers Unix, Linux, Windows, VMS, etc. Une caractéristique primordiale, car nos clients sont surtout des grands comptes qui disposent de systèmes informatiques hétérogènes et nécessitent donc d’un maximum d’ouverture et de plates-formes.

La communauté Ingres ?uvre d’ailleurs sur toutes ces plates-formes. Nous effectuons le portage de chaque apport de la communauté que nous validons. Ainsi, nous proposons les mises à jour sur toutes les plates-formes. Bien entendu, cette démarche valorise la base de données Ingres, puisque la validation est effectuée par les développeurs maison.

La communauté apporte de multiples propositions en périphérie, tandis que nous améliorons le c?ur de la solution.

Chez Ingres, nous poursuivons trois objectifs stratégiques. Premièrement, Ingres perpétue son métier d’éditeur, en consacrant 30 % de son chiffre d ‘affaires en recherche et développement pour améliorer sans cesse ses solutions. Ces améliorations concernent actuellement deux axes : les performances du moteur transactionnel (capacité en volume et temps de réponse), et la haute disponibilité (en évitant ou limitant les arrêts de la base pour l’exploitation, par exemple).

Second objectif, Ingres fait bénéficier ses clients (800 en France) des apports de la communauté open source avec une validation interne. Troisième point : développer la collaboration avec les éditeurs et SSII pour leur faire adopter Ingres. Une démarche facilitée par notre modèle économique. En effet, dans le cas des études et de l’intégration, le coût des licences logicielles de SGBD peuvent représenter jusqu’à 30 % du coût.

De quels moyens disposez-vous aujourd’hui pour générer des revenus ?

Il est vrai que la question est légitime, puisque tout internaute peut télécharger gratuitement notre solution complète Ingres Community en licence GPL et sans limites, même s’il ne souscrit à aucun support. La version Ingres Enterprise concerne les clients du support, et se différencie par le fait que seules les modifications validées par nous y sont intégrées, et que la solution est packagée. Et lors de chaque validation, toutes les plates-formes et solutions (gratuites ou non) sont remises à niveau.

Notre modèle économique est celui d’une distribution open source, et nous tirons nos revenus de plusieurs sources.

Première source de revenus, la vente de souscriptions au support est très lisible : un support 24×7 par téléphone et en français, ou éventuellement par mail. Le tarif dépend ensuite du niveau d’engagement souhaité par le client. Avantage concurrentiel : la plupart de nos 10 ingénieurs (dont 5 au support) disposent d’une expérience de 8 à 10 ans sur Ingres, et certains sont chez nous depuis le lancement de la société.

Autre source de revenus, nous intervenons en consulting à divers stades des projets de nos clients, en direct ou avec nos partenaires : audit, validation d’architecture, conseil?

Nous proposons aussi des formations aux clients et aux partenaires : DBA, SQL, Performances? Toutes ces formations sont dispensées en français. Un travail est en cours de réflexion pour mettre en place des certifications, réclamées par nos partenaires et clients.

Enfin, notre Service Premium répond à la demande d’assistance lors de projets critiques nationaux ou internationaux. Cette proposition combine le conseil et le support technique pour un accompagnement sur mesure. Nous dédions alors trois spécialistes au projet et à l’environnement du client. Ces ingénieurs peuvent également participer aux réunions de projets, y compris les week-end.

Un réseau d’intégrateurs devient stratégique, y compris pour adresser les grands comptes. De plus, les partenariats avec d’autres éditeurs offrent des opportunités supplémentaires. Où en êtes-vous sur ces deux points ?

La crédibilité de notre solution passe inévitablement par les intégrateurs, qui conseillent et assistent des entreprises pour lesquelles le SGBD incarne le c?ur névralgique du système informatique. Nous disposons déjà de partenaires historiques et d’autres, héritées de Computer Associates. Nous continuons à développer nos contacts.

Aujourd’hui, les intégrateurs ont tous créé un département open source, pour lequel le SGBD représente une brique fonctionnelle fondamentale. De plus, les économies de licences réalisées leur permettent de dégager de meilleures marges. Par ailleurs, les entreprises réclament des solutions alternatives aux leaders du marché.

L’intégration du SGBD Ingres permet aux éditeurs de logiciel indépendants (ISV ou Independant Software Vendor) d’économiser entre 20 % et 80 % sur leur développement ou intégration, d’autant qu’il est disponible sous de multiples plates-formes. De plus, l’éditeur peut générer des revenus en revendant notre offre support. En intégrant notre solution dans son produit, une politique de revenu-sharing peut bénéficier à tous.

Un ISV peut travailler avec Ingres Community pour développer et tester son produit dans un premier temps, et faire valider son modèle par nos spécialistes chez un client ou lors de la maquette. Une limite de la prise de risque financier appréciable, d’autant que la version gratuite d’Ingres n’est pas limitée. Cette ‘faisabilité zéro risque’ peut même déboucher par la suite sur un accord commercial, comme cela s’est déjà produit avec le spécialiste du datawarehouse DatAllegro par exemple. Ces accords favorisent une ouverture commerciale vers d’autres domaines comme l’ERP avec Infor, le middleware avec BEA, le décisionnel avec Business Objects?

Pourquoi choisir Ingres face aux autres SGDB Open Source ?

La qualité et la pérennité de notre solution nous permettent de concurrencer sans complexe Oracle ou Microsoft SQL Server. De plus, avec nos 25 ans d’expérience et notre disponibilité sous de multiples plates-formes, nous bénéficions d’une avance technologique sur MySQL ou Postgres. Composant majeur du système d’information, le SGBD nécessite un support très évolué, surtout chez les grands comptes. Et là encore, nous avons une longueur d’avance. En revanche, sur les projets non stratégiques, nous nous retrouvons à égalité.

Toutefois, l’objectif n’est pas de chercher à concurrencer les SGBD open source, mais plutôt de proposer une alternative aux bases de données propriétaires, afin de gagner de grignoter leurs parts de marché. C’est pourquoi nous souhaitons essentiellement attaquer ce marché. Pour l’exercice achevé en décembre 2006, nous avons dépassé nos objectifs, et enregistré une forte migration vers Ingres 2006.

Nos commerciaux ont également vite pris le pli, car ils ont compris l’apport de valeur ajoutée. D’ailleurs, les rendez-vous avec les DSI s’obtiennent facilement, et se multiplient.