Jérôme Boyer, Continental : « Pourquoi la voiture va embarquer Ethernet »

Il n’y a pas que sur Internet que les réseaux saturent face à l’explosion des données. A l’intérieur même des voitures, c’est aussi le cas, explique ce responsable d’un centre R&D de l’équipementier Continental, qui plaide pour l’adoption de la norme Ethernet dans l’automobile.

En amont de la conférence ERTS (Embedded Real Time Software and Systems) qui se tiendra à Toulouse du 5 au 7 février, rencontre avec Jérôme Boyer, responsable du pôle développement logiciel couches basses de Continental. Basé dans la ville rose, où l’équipementier automobile allemand dispose d’un centre mondial de R&D sur les logiciels couches basses, ce dernier nous détaille les enjeux de la croissance du volume de données à l’intérieur des véhicules. Information, divertissement, aide à la conduite, connexion aux réseaux mobiles : la voiture de demain a besoin de bande passante. Pour ce faire, Continental milite pour l’installation d’un backbone de communication Ethernet dans les véhicules. Une vision aujourd’hui partagée par les plus grands constructeurs automobiles dans le monde.

Jerome Boyer ContinentalSilicon.fr : Pourquoi évoque-t-on aujourd’hui l’arrivée des réseaux Ethernet dans les voitures ?

Jérôme Boyer : Les tendances dans l’automobile – autour de la sécurité, du respect de l’environnement, de la conduite intelligente ou du lien avec d’autres moyens de transport – poussent les constructeurs à innover dans trois directions : infotainment (information et divertissement à bord, NDLR), connectivité à des infrastructures ou entre véhicules et systèmes d’aide à la conduite. Ces nouveaux besoins nécessitent d’échanger de multiples données. De ce fait, les constructeurs commencent à constater la saturation des réseaux internes aux véhicules, comme par exemple les réseaux CAN (un bus série très répandu dans l’automobile, NDLR) reliant les calculateurs.

Face à cette problématique, l’Ethernet fournit une réponse en associant performances, fiabilité et coûts bas. Cette norme permet l’apport de l’innovation dans les véhicules sans le frein de la saturation des réseaux internes. Aujourd’hui, on parle de débits de 100 Mbit/s, et demain de 1 Gbit/s.

Est-ce que certains constructeurs ont déjà recours à l’Ethernet ?

BMW l’utilise pour répondre à un besoin très précis : la reprogrammation des calculateurs. Un véhicule comme la Série 7 en embarque plus de 80. Les reprogrammer au travers d’un réseau CAN  s’avère très long, passer à l’Ethernet permet de paralléliser les tâches, donc de gagner beaucoup de temps dans la procédure de mise à jour des calculateurs. BMW cible une mise à niveau des quelque 80 calculateurs en environ 30 minutes. Un second usage, chez le même constructeur, concerne les données remontées de caméras permettant d’avoir une vision à 360° de l’environnement du véhicule. Ethernet est ici exploité pour véhiculer les données entre les caméras et le calculateur central.

Au-delà de ces usages spécifiques, la perspective, à terme, est bien d’utiliser Ethernet comme le backbone de réseau, la colonne vertébrale reliant différents domaines au sein du véhicule et transportant des données exploitées par des services aussi bien de divertissement que d’assistance à la conduite. Cela ne veut pas dire que tous les autres bus disparaîtront : les bus série CAN et LIN continueront probablement à relier les calculateurs et certains capteurs, du fait de leurs coûts très bas.

A quelles contraintes spécifiques doit s’adapter Ethernet pour s’embarquer dans une automobile ?

La première contrainte concerne la compatibilité électromagnétique : il faut veiller à ce que les réseaux ne perturbent pas le fonctionnement du véhicule et qu’à l’inverse, ces derniers ne soient pas perturbés par les ondes magnétiques créées par d’autres éléments. Pour des raisons de coûts et de poids – les deux ennemis dans l’automobile -, nous avons choisi des paires torsadées sans blindage. Des partenaires au sein de l’alliance industrielle Open Alliance* ont développé des switchs spécialisés en traitement du signal pour filtrer les interférences.

Un autre défi réside dans la consommation énergétique des calculateurs qui fonctionnent sur batterie. Ce qui implique donc de les plonger dans un mode de veille très profond tout en étant en mesure de les ‘réveiller’ rapidement, en moins de 2 secondes et dans le respect des  usages des conducteurs. Ces derniers ne comprendraient pas en effet d’avoir à attendre les équipements électroniques pour démarrer leur voiture. Dans la perspective du backbone Ethernet, cela signifie qu’il faut épurer la norme. Notamment enlever le dialogue portant sur la vitesse d’échange des données à l’initiation d’une communication Ethernet.

D’autre part, les calculateurs automobiles amènent d’importantes contraintes en termes de consommation mémoire. Il faut donc optimiser les couches basses du logicielles d’Ethernet. Sans oublier le challenge qui attend les industriels de l’électronique sur le prix des composants. Ou encore celui touchant à la refonte des trames circulant sur le réseau. Comme le backbone Ethernet sera mutualisé entre plusieurs usages, il faudra imaginer un protocole de communications centré sur le service et capable de gérer des priorités, des contraintes d’acheminement particulières. D’autres travaux concernent les formats audio et vidéo, l’allumage partiel des calculateurs en fonction du contexte… Tous ces chantiers de normalisation prendront environ 5 ans (BMW prévoit par exemple une utilisation de backbone Ethernet dans ses modèles à partir de 2018, NDLR).

Les constructeurs automobiles, qui travaillaient traditionnellement avec leurs propres normes, sont-ils aujourd’hui prêts à s’aligner sur un standard commun ?

Les choses changent en la matière. Auparavant, chaque calculateur avait son propre OS, sa propre spécification du fonctionnement d’un réseau. Des travaux ont été menés pour standardiser ces systèmes autour d’une norme (comme OSEK) ou probable future norme (AUTOSAR), incluant les services de transfert de données s’y rattachant, tel AUTOSAR COM. Pour la gestion du réseau, une évolution est nécessaire pour couvrir tous les nouveaux besoins des divers constructeurs. Mais il suffit de voir les noms des constructeurs présents dans les divers groupes de travail concernés par l’utilisation d’Ethernet dans la voiture pour réaliser que le mouvement est bien enclenché. On y trouve Daimler, GM, BMW, Hyundai, Jaguar, PSA, Renault, Toyota, Volkswagen et Volvo pour ne citer que les constructeurs les plus en pointe sur le sujet.

Pour un équipementier comme Continental, Ethernet est-il déjà une réalité en terme d’offre ?

Notre division (Interior Body & Security, qui propose aux constructeurs de l’électronique pour habitacle, NDLR) travaille déjà sur 3 calculateurs Ethernet. Le premier, un BCM (Body Controler Module), intègre pas moins de 150 fonctions (dégivrage, accès mains libres…). Le second est une passerelle vers les bus LIN et CAN. Le troisième est un module d’antenne intelligent, positionné sur le toit de certains véhicules sous la forme d’un aileron de requin. Ce module regroupe jusqu’à 7 média (téléphone, GPS, radio…). Jusqu’à présent, plusieurs câbles coaxiaux véhiculaient l’information jusqu’aux calculateurs dédiés, avec toutes les difficultés que cela suppose en termes de conception. L’usage d’Ethernet va nous permettre, à l’avenir, de n’utiliser qu’un seul câble.

* alliance d’industriels de l’automobile et des semi-conducteurs travaillant à l’utilisation d’Ethernet dans les véhicules (site web).


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