Contre le FBI, les experts en chiffrement soutiennent (presque tous) Apple

Même si Adil Shamir – le S de RSA – fait entendre une voix discordante, les experts en chiffrement se rangent plutôt aux arguments d’Apple. Selon eux, le déblocage de l’iPhone demandé par le FBI créerait un dangereux précédent.

Hier, le FBI et Apple ont présenté leurs arguments respectifs au Congrès américain dans le différend qui les oppose sur le déblocage d’un iPhone ayant appartenu à un des auteurs de la tuerie de San Bernardino, en décembre dernier. Les deux camps campent sur leurs positions, montrant peu de volonté de compromis dans la bataille de communication qu’ils se livrent depuis la mi-février.

Globalement, Apple peut compter sur l’appui des spécialistes du chiffrement. Même si le sujet crée tout de même quelques lignes de fractures, comme l’a montré un débat organisé dans le cadre de la RSA Conférence (qui se tient en ce moment à San Francisco). Ainsi, Adil Shamir, un pionnier de la cryptographie et co-développeur de l’algorithme RSA, s’est plutôt rangé du côté du FBI, estimant qu’Apple avait fait une erreur en n’anticipant pas les demandes légales d’accès aux données que la firme n’allait pas manquer de recevoir.

Pour lui, la demande de la justice, concernant un unique terminal, n’est pas déraisonnable, contrairement à ce que claironne Apple. Même si Adil Shamir note que le cas de la tuerie de San Bernardino constitue la « situation idéale que le FBI attendait » pour avancer ses pions. De facto, le contexte de l’affaire a tout pour faire basculer l’opinion dans le camp des autorités. « Mon conseil [à Apple, NDLR] est qu’ils se conforment à la demande cette fois et qu’ils attendent une affaire plus favorable pour se battre, une affaire qui ne pencherait pas aussi clairement dans le camp du FBI », explique Shamir.

Conséquences « stupéfiantes »

Mais si le S de RSA prend ses distances avec la position de Cupertino, le R (Ron Rivest) lui offre, eux, son appui ! Il estime ainsi qu’il s’agirait là d’un dangereux précédent et si Apple venait à accéder à la demande de la justice, les conséquences seraient « stupéfiantes ». « Ce que le FBI demande ne concerne pas uniquement ce téléphone en particulier […]. Ce débat appartient au Congrès des Etats-Unis. Ce dernier doit créer une loi qui nous guide à l’avenir, en définissant de meilleurs équilibres », dit Ron Rivest.

Appuyé par les deux gagnants du prix Turing 2016, Whitfield Diffie et Martin Hellman – les inventeurs des systèmes de cryptographie à clefs publiques -, Ron Rivest estime que « le chemin vers l’enfer commence avec une backdoor ». « Je peux voir pourquoi le FBI est frustré et avoir de la sympathie pour eux, dit de son côté Martin Hellman, professeur à Stanford. Mais le directeur du FBI Jim Comey fait fausse route. »

Un iPhone essentiel à l’enquête ou un prétexte ?

Pour Moxie Marlinspike, le pseudonyme d’un chercheur en sécurité qui a fondé la société Open Whisper Systems à l’origine de la messagerie sécurisée Signal, la manœuvre du FBI vise surtout à poser des jalons pour l’avenir. A préparer un monde où les services de sécurité seraient sûrs de pouvoir accéder à toutes les données. « De façon détournée, ils nous demandent de préparer un monde où cela serait possible. Et ce n’est pas un monde dans lequel j’ai envie de vivre », martèle-t-il, pointant par ailleurs le fait que le terminal que le FBI demande à Apple de débloquer n’est pas un téléphone privé (il a été fourni par l’employeur d’un des auteurs de la tuerie de San Bernardino) et ne renferme probablement aucune information essentielle pour l’enquête. Le tueur de San Bernardino, Syed Farook, a détruit deux iPhone privés avant de commettre ses meurtres, laissant le terminal retrouvé par le FBI dans un tiroir.

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