La Cour de comptes pointe les lacunes de l’État plateforme

Pour faire des services publics numériques un véritable levier de modernisation de l’État, la Cour des comptes recommande de prioriser la part des budgets informatiques qui leur sont consacrés et d’intégrer tous les informaticiens de l’État au sein d’un corps interministériel.

La mise en place en 2015 d’une DSI de l’État élargie – la Dinsic (Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication) –, au sein du SGMAP (Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique), constitue une étape clé « dans la construction du projet de modernisation numérique de l’État », note la Cour des comptes dans un rapport publié le 4 février. « Néanmoins l’effet concret de cette évolution, sur l’administration comme sur les usagers dans leur relation avec elle, demeure encore limité ». Les usagers « ne font pas du numérique leur mode d’accès privilégié aux services publics » et l’administration n’a pas tiré « tous les bénéfices du développement des services en ligne ». Et ce constat se confirme « à plusieurs niveaux du fonctionnement des services ».

Pour la Cour des comptes : « l’affirmation de l’existence d’un système d’information unique, la définition de référentiels et le lancement de projets transversaux structurants (autour de la notion d’État-plateforme) forment un ensemble cohérent ». Mais « son déploiement souffre de lacunes, cinq ans après l’engagement de cette démarche », dont l’absence à ce jour d’un « véritable suivi budgétaire »,  ainsi que « la prééminence des grandes directions dans les ministères et la faiblesse des secrétariats généraux ministériels ».

Sous-investissement dans le service public numérique

« Alors même que les téléprocédures sont identifiées comme constitutives d’un enjeu important de compétitivité internationale, les lacunes en termes de mesure et de suivi budgétaire et économique de la dépense informatique sont patentes. Les choix budgétaires sont ainsi peu documentés en matière informatique et conduisent généralement à privilégier une approche de court terme qui se traduit par un sous-investissement en matière de service public numérique », souligne la juridiction indépendante dans son rapport. Et les budgets informatiques diminuent « du fait de la contrainte globale ». Dans ce contexte, « la part consacrée à la maintenance et à la mise à jour réglementaire des applications de gestion interne à l’administration étant prépondérante, il reste peu de moyens pour l’investissement et notamment les services numériques de relation à l’usager », explique la Cour.

Une gestion des compétences à revoir

Parallèlement, les sages de la rue Cambon pointent un autre écueil dans la chaussure de la Dinsic, « la part de la dépense en personnels augmente, en continuant de privilégier des compétences qui sont amenées à disparaître du fait du développement du numérique ». Et « la gestion des informaticiens reste éclatée dans les corps de chaque direction d’administration, sans mobilité ni rénovation des critères de recrutement. Une réforme récente devrait apporter un peu plus de caractère interministériel à cette gestion mais elle est trop limitée pour porter tous ses effets, dès lors en particulier qu’elle ne concernera ni les agents déjà en poste ni la totalité des employeurs publics ».

Un levier de transformation de l’État, malgré tout

« Malgré ces constats critiques, les conditions sont pourtant réunies pour faire des services publics numériques un levier de transformation de l’État. L’équipement et les pratiques des usagers d’une part, l’engagement de projets structurants d’autre part (relatifs à l’identification et l’authentification des usagers [avec France Connect], à l’échange de données entre administrations…) permettent d’envisager une généralisation du recours aux services en ligne ». Pour y parvenir, la Cour recommande notamment de :

  • renforcer les actions de l’administrateur général des données (Henri Verdier qui dirige la Dinsic) par la constitution d’un réseau de responsables de la donnée au sein des ministères ;
  • annexer au projet de loi de finances un document de politique transversale sur la transformation numérique de l’État ;
  • mieux identifier et prioriser la part des budgets informatiques consacrée aux services numériques de relation avec les usagers ;
  • intégrer toutes les équipes d’informaticiens de l’État au sein du corps interministériel des ingénieurs des systèmes d’information et de communication ;
  • traiter et stocker les données des usagers dans des serveurs informatiques sécurisés conformes aux normes de l’Anssi et localisés sur le territoire national ;
  • faire à terme du portail service-public.fr le mode d’accès unique aux démarches administratives et à leurs informations.

L’objectif est de « faire du numérique le mode d’accès de droit commun aux démarches administratives », car « c’est de cette généralisation que dépendent largement l’efficacité et l’efficience de l’investissement consenti », souligne la Cour des comptes. De ce point de vue, « le passage progressif à un régime d’obligation paraît le seul à même de produire les effets attendus. La décision récente de rendre obligatoire la télédéclaration pour l’impôt sur le revenu en 2016 va dans ce sens ». Surtout, insiste la Cour, la confiance dans le dispositif passe par la prise en compte dès l’amont des projets « du respect des standards et normes en matière de sécurité des SI, mais aussi de garantie des libertés publiques ».

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