E-santé en dessous-de-table -ou l’histoire d’un fiaco à la sicilienne…

En Sicile, une carte de santé ‘high tech’ a fait flop. Ni
l’état civil, ni les hôpitaux n’étaient prêts. Mais quelques millions d’euros
ont néanmoins disparu dans la nature…

« Une compagne pour la vie » : c’est ainsi que l’avaient surnommée ses promoteurs. La Sicile s’était gaillardement inventé une carte de santé: elle comportait nom, prénom, code fiscal de son porteur, ainsi qu’une carte à puce. Elle portait la promesse de mettre fin aux files d’attente dans les hôpitaux et de contenir les dépenses de santé de la région. Le gouverneur de l’île, Toto Cuffaro, en était très fier. Il l’avait présentée comme une « nouveauté révolutionnaire ». Une enquête du magazine L’Espresso de ce 12 avril révèle comment ce fabuleux programme s’est soldé par raté monumental. Et des millons d’euros engloutis… Fin 2005, explique l’hebdomadaire, « Sicile e-innovation », une société à capitaux régionaux, voit le jour. Elle doit harmoniser les projets informatiques sur l’île. Et, suite à un accord avec « Lombardia Informatica », en mars 2006, 4,8 millions d’exemplaires de la fameuse carte de santé sont imprimés. Seule limite à ses fonctions ? «la fantaisie!», expliquait alors un chaleureux communiqué de presse. La réalité ira au delà. E-délire…

A peine imprimée, la carte n’évolua pas aux mêmes rythmes que les transmissions des fichiers d’état civil siciliens. Une série de dysfonctionnements s’enchaînèrent très vite. Plus de 400.000 cartes se sont avérées comporter des données erronées. Pis, dans certaines communes, où les employés sont encore munis de papier et de stylos, les décès n’étaient plus enregistrés ou très tardivement. Conséquence: il ne s’en est fallu de peu que 90.000 cartes soient expédiées à des Siciliens partis dans l’autre monde…

Et 21.000 cartes sont tombées dans des boites aux lettres d’individus ayant quitté l’île depuis des lustres! Pour les autres, les résidents, les plus chanceux en ont reçu deux exemplaires. Une façon commode d’arranger les statistiques puisqu’une grande partie n’en a jamais vu la couleur! Pour couronner le tout, un syndicat de médecins a épinglé un autre gag: « Comment peut-on promettre un tel service aux citoyens, si les hôpitaux et les urgences ne disposent pas de terminaux pour lire les cartes? ». Résultat : l’opération a coûté « quelques millions d’euros », admettent les organismes régionaux. Et les Siciliens, placides, ont ressorti du placard leur bon vieux carnet de santé!