Vincent Bouthors, Efel : « un label ‘made in France’ est nécessaire »

L’association EFEL Power, qui regroupe des éditeurs hexagonaux, réaffirme son soutien à la création d’un label différenciant après la publication d’une enquête sur le patriotisme numérique.

EFEL Power s’est donnée pour mission de défendre le logiciel pensé et développé en France. Vincent Bouthors, son sécrétaire général (par ailleurs co-fondateur et Pdg de l’éditeur français Jalios), profite de la publication récente d’une enquête Viavoice sur le « patriotisme numérique », pour réaffirmer son soutien à la création d’un label différenciant et préciser les objectifs de l’association.

Silicon.fr : Patriotisme numérique, commerce international et développement logiciel sont-ils compatibles ?

Vincent Bouthors
Vincent Bouthors

Vincent Bouthors : Le commerce international est un bienfait mais il impose de savoir rester dans la course. Et pour cela il ne faut pas se montrer naïf. Oui, le protectionnisme serait un mauvais choix, mais à force de le répéter et d’imposer l’ouverture dans les appels d’offres publics on en arrive à un paradoxe : les acteurs locaux se trouvent souvent pénalisés, principalement à cause de leur taille. Par exemple dans le secteur alimentaire, il n’est pas possible de favoriser des circuits courts : cela va à l’encontre d’un certain bon sens touchant à l’écologie et à la qualité de vie.

Dans le secteur du numérique la situation est encore plus sensible. D’abord parce que ce secteur a été pratiquement abandonné aux États-Unis qui exercent une prédominance extraordinaire sur l’Europe. On peut même parler de fascination car de nombreux acteurs comme Google ont une plus grande part de marché en Europe que dans leur pays d’origine.

Une autre raison qui rend le numérique si différent, est son impact sur tous les autres secteurs. Il a déjà bouleversé la vente par correspondance, les taxis, l’hôtellerie, etc. Les acteurs du CAC 40 commencent à mesurer l’importance des risques et de la nécessité de maîtriser la dimension logicielle. Pourtant ils n’ont pas pris conscience de l’utilité de changer leur politique d’achat pour favoriser un terreau économique et entrepreneurial local dont ils seront bénéficiaires.

Un label « made in France » est-il nécessaire pour distinguer une entreprise du numérique (localisation, pratiques fiscales, achats…) ?

V.B. : Oui, il est temps de ne plus confondre le patriotisme économique avec du protectionnisme : nous devons avoir l’ambition nationale de nous développer à l’International, tout particulièrement dans le numérique. Regardons enfin les choses en face : il en va de l’emploi et de la balance commerciale de la France. Un label « made in France » est nécessaire pour développer cette ambition nationale. Cela explique d’ailleurs le succès de la French Tech, mais il faut aller plus loin. Les Français sont de plus en plus nombreux à demander un tel label au niveau français ou au niveau européen.

Un autre point tout à fait perturbant est de constater que les géants américains du numérique n’irriguent plus les économies qui les font vivre grâce à d’habiles optimisations fiscales. À ce titre, notons que même leur pays d’origine est aussi lésé. On est loin de la vision de Ford qui considérait que le salaire de ses ouvriers servait, entre autres, à acheter ses voitures. Les révélations de Snowden ont mis en lumière l’existence d’un puissant espionnage économique. Bien qu’ils en soient conscients, les Français ne s’en sont guère émus contrairement aux Allemands qui ont pris des décisions très fortes dans ce domaine.

Enfin, il est question de souveraineté. Qui décide des lois qui s’appliquent en matière de données, c’est à dire les garanties sur leur confidentialité, les conditions permettant à un juge d’y accéder ? Un pays tiers imposera ses lois ? Ou pire des entreprises devenues tellement puissantes imposeront leurs règles aux États ? Rappelons que Microsoft a perdu son bras de fer avec la justice américaine : une filiale française hébergeant ses services en Europe se voit imposer le droit américain. Pour toutes ces raisons, un label « made in France » ou « made in Europe » devient nécessaire. Et ne l’appelons pas « conçu en France » car c’est un label qu’il faut porter sur le marché international.

Comment évoluent les statuts, l’action et les adhésions d’EFEL Power depuis sa création en décembre 2013 ?

V.B. : EFEL (Entreprendre en France dans l’édition logicielle) est encore une jeune association qui fonctionne grâce au temps que lui consacrent ses membres actifs. Elle compte cependant une centaine d’adhérents. Elle prend position régulièrement et interpelle les décideurs. Nous envisageons également de donner la parole aux clients de nos membres pour qu’ils témoignent des bénéfices qu’ils trouvent à travailler avec des éditeurs français.

L’association défend, en plus du « made in France », le rôle particulier dans le domaine du numérique des éditeurs (ces acteurs dont l’actif principal est constitué de logiciels commercialisés sous licence propriétaire ou Open Source, déployés sur site ou en mode SaaS). Le secteur des services IT est fort en France, mais aux États-Unis ce sont les éditeurs qui donnent une telle puissance à ce marché. Les éditeurs ont une plus grande capacité à exporter et au final à créer des champions générateurs d’emplois. Nous avons donc mis en place un label « EFEL Power » pour eux.

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