Elie de Foucauld : « Nous devons faire le deuil de Technicolor Angers et réindustrialiser »

Le site de feu Technicolor Angers amorce sa mue vers l’électronique professionnelle. Elie de Foucauld (Angers Loire Développement) précise les enjeux de cette réindustrialisation.

Établissement public industriel et commercial, Angers Loire Développement assure pour le compte de la communauté d’agglomération Angers Loire Métropole des missions opérationnelles, dont un projet emblématique de réindustrialisation d’un site de production électronique.

Dans cet entretien, Elie de Foucauld, directeur de l’agence de développement économique, revient sur le portage des actifs de l’usine angevine Technicolor, dont la mise en liquidation en octobre 2012 a entraîné la suppression de plus de 340 emplois.

Silicon.fr – Quand et comment Angers Loire Développement est intervenu dans le dossier Technicolor Angers ?

Elie de Foucauld – Lors de la première phase courte d’avril à octobre 2012, qui fut celle du redressement judiciaire, l’agence a mené une mission d’accompagnement. Aucune offre crédible n’ayant été présentée par un repreneur, le tribunal de commerce de Nanterre (Hauts-de-Seine) a placé en liquidation judiciaire l’usine d’Angers (Maine-et-Loire) de Technicolor. Celle-ci produisait des décodeurs numériques et modems.

Depuis, nous sommes entrés dans une seconde phase, plus originale celle-là, Angers Loire Développement ayant pris le relais. L’agence s’est mise à travailler, avec ses partenaires, à la définition et à la mise en œuvre d’un nouveau business model pour le site susceptible de le relancer. C’est une première !

Nous sommes partis du constat suivant : disposer aujourd’hui d’une capacité industrielle de production en moyenne série dans le secteur de l’électronique professionnelle n’est pas une faiblesse, mais une force pour notre territoire angevin comme pour le territoire national, la perdre aurait des conséquences désastreuses. Parce que l’électronique est au cœur de toutes nos industries stratégiques : défense, aéronautique, spatial, automobile ou encore les éco-industries, l’industrie électrique, la domotique, du bâtiment durable aux énergies renouvelables.

Concernant le site angevin, nous avons donc opté pour une transition vers l’électronique professionnelle. Dans ce sens, nous avons commencé par réaliser une étude de faisabilité de la réindustrialisation du site et proposé aux élus le système de portage suivant :

  • acheter l’immobilier (murs et terrain) de l’ancien site Technicolor ;
  • « geler » quelques mois l’équipement pour éviter qu’il ne soit vendu aux enchères.

La collectivité Angers Loire Métropole est ainsi devenue propriétaire des 13,5 hectares de l’ancien site Technicolor ainsi que des 71 000 m² de bâti. À terme, le projet de la collectivité est de revendre le matériel à un pool d’industriels prêt à adopter le business model que nous avons construit. Ce business model est centré sur la production nationale de cartes électroniques et l’assemblage d’ensembles et sous-ensembles à destination du marché de l’électronique professionnel.

N’étant pas – nous collectivité – des experts de l’électronique, nous avons fait appel à un petit groupe d’industriels, dont les entreprises françaises Minerva et Cofidur, pour nous accompagner dans cette démarche de définition industrielle et de prospection commerciale.

L’emploi et la valorisation du territoire sont-ils les principaux enjeux de ce projet ?

L’enjeu est à la fois industriel, social et économique. Il s’agit de maintenir et développer sur le territoire un savoir-faire électronique de très haut niveau issu de l’histoire « Thomson/Technicolor », le tout dans un écosystème local dynamique. Je pense notamment au cluster LEA Valley (90 entreprises) et à l’école ESEO Angers, avec, en plus de cela, le projet public d’un technocampus à vocation européenne centré sur la production électronique.

Dans l’industrie, comme dans d’autres domaines, la tentation du « low cost » est suicidaire. Il n’est pas question d’y succomber… mais d’investir dans un vrai projet, pragmatique et structuré, au cœur des Pays de la Loire. Pour ce faire, nous devons faire le deuil de Technicolor Angers et mettre en place des solutions de continuité industrielle.

Comment passe-t-on de l’électronique grand public au marché professionnel ?

La production de cartes électroniques, que ce soit pour des décodeurs destinés aux abonnés des opérateurs ou pour les compteurs intelligents déployés par les distributeurs d’énergie (GRDF, ERDF…), peut se faire sur les mêmes machines.

Nous adaptons donc le modèle d’affaires pour passer de la Box aux compteurs. L’amorçage prendra un ou deux ans, avec l’objectif de proposer une solution industrielle française sur le marché national des compteurs intelligents où s’activent déjà presque exclusivement des sociétés internationales : Landis+Gyr (Suisse), Iskra (Slovénie) ou encore Itron (États-Unis).

En France, le projet « Linky » progresse. L’appel d’offres gouvernemental concernant la fabrication de ces compteurs communicants doit être publié d’ici la fin juin 2013, pour un déploiement en 2014. Le projet a fait l’objet d’une expérimentation à Lyon (Rhône), puis le gouvernement s’est prononcé en 2011 en faveur de sa généralisation : d’ici 2020, 35 millions de compteurs Linky devraient être installés dans tout le pays. Angers Prodelec veut être une des solutions industrielles nationales de ce projet national…

Quel est le coût du portage « industriel » du site Technicolor d’Angers ?

L’agglomération angevine a acquis l’immobilier, le terrain de 13,5 hectares, pour 6,5 millions d’euros hors taxes. Le matériel, les chaînes de production, a été racheté par ses soins moins de 1 million d’euros.  Les frais de maintenance et de sécurisation du site (environ 200 000 euros par an) sont également à sa charge.

Quoi qu’il en soit, les économies que nous avons obtenues du tribunal de Nanterre sur l’achat immobilier couvrent largement nos dépenses.

Quand le secteur privé va-t-il prendre le relais ?

Il nous faut déjà atteindre, avec la production de Box, un niveau satisfaisant de commandes d’amorçage chez les opérateurs (Orange…). Il nous faut également obtenir des intentions fermes des donneurs d’ordres ainsi que des assurances sur des marchés à long terme.

À partir de là, la collectivité peut envisager de se retirer et vendre le matériel aux industriels prêts à se lancer dans cette aventure de l’électronique professionnelle. Le projet peut concerner 70 à 90 emplois, dans un tout premier temps, pour aller rapidement jusqu’à 200 emplois à terme. Je suis confiant, car les fondamentaux économiques de ce projet sont très solides.

Le pays doit se positionner sur ce type de solution, et soutenir la production moyenne série dans le champ de l’électronique professionnelle, il en va de sa souveraineté !

En photo : Elie de Foucauld © Thierry Bonnet/Ville d’Angers


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