Le numérique a un double visage pour les salariés français

téléphones mobiles en entreprise

Exception notable à l’échelle de l’Europe, les Français adoubent les technologies numériques, mais sont une majorité à s’en méfier au travail, craignant une entrave à leur vie privée. À qui incombe-t-il de rectifier le tir et comment rationaliser les investissements en la matière ?

Une conception alternative de la fracture numérique semble se faire jour dans les entreprises françaises, à l’initiative et non à l’insu des salariés, qui tendent à se montrer frileux, voire démesurément prudents vis-à-vis des technologies mises entre leurs mains, notamment les terminaux mobiles.

Cette crainte généralisée, 59 % des sondés dans le cadre du baromètre du Syntec Numérique la partagent. Sur les lèvres d’une majorité des professionnels de tous horizons interrogés entre le 29 mai et le 10 juin par le BVA dans le cadre de cette étude, s’est lue une inquiétude en ce sens, commune aux deux sexes, indépendante des corps de métiers et imperméable au fossé générationnel.

Aux racines du phénomène, un catalyseur : la confidentialité. Dans cet esprit, le taux de possession de smartphones fournis par l’employeur, sources potentielles d’espionnage, est bien moindre dans l’Hexagone (8 % des salariés), alors qu’il avoisine les 20 % en Allemagne, en Angleterre, en Espagne ou encore en Italie. À mi-chemin entre des conceptions anglo-saxonne et méditerranéenne typiquement opposées à bien des égards, mais qui, une fois n’est pas coutume, n’entrent guère en ligne de compte, les employés français semblent prendre à bras le corps leur vie privée.

Une exception culturelle ?

Les intéressés ne manifestent pas nécessairement de réticence à faire usage du mobile en milieu professionnel, à condition qu’il s’agisse de leurs propres terminaux. Voici qui dessert la cause du BYOD (Bring Your Own Device). S’agit-il pour autant d’un quelconque signe de sagesse ou au contraire d’une rébellion, voire d’un comportement consécutif à un manque d’information résultant d’un laxisme de la part des gouvernants ? En bref, à qui la faute ?

Les technologies à disposition ne manquent pourtant pas. En la matière, l’Europe conserve d’ailleurs une généreuse longueur d’avance sur les pays émergents. À l’échelle du continent, 68 % des salariés ont accès à Internet sur leur lieu de travail et 64 % peuvent utiliser la messagerie électronique sous au moins une de ses formes. Ces taux sont même supérieurs en France, où les lignes fixes à haut débit sont parmi les moins onéreuses qui soient. Si bien que l’on a peine à s’expliquer cet écart culturel.

Investir davantage dans le numérique

Président-cofondateur d’Avanquest Software et président du Collège Éditeurs du Syntec Numérique, Bruno Vanryb est également membre démissionnaire du Conseil National Numérique en date du 5 juillet dernier. L’intéressé se veut pourtant rassurant : la peur qui règne n’aurait pas lieu d’être. 62 % des Français auraient d’ailleurs embrassé le numérique au point d’exiger du gouvernement des efforts en ce sens.

« Malgré la conjoncture économique, s’il devait être un secteur dans lequel multiplier à tout prix les investissements, ce serait sans nul doute le numérique », confie-t-il, prônant l’exemplarité de l’État. « Il faudra d’abord faire passer l’administration à l’heure du numérique (il cite l’exemple du portail impots.gouv.fr, NDLR), avec à la clé de meilleurs services aux usagers, une rationalisation des coûts à moyen terme et un personnel plus compétent, apte à jouer les évangélistes auprès des Français. »

Un soutien continu

Cette transition que Bruno Vanryb qualifie de « cercle vertueux » s’échelonnerait sur cinq ans, avec en parallèle un soutien financier aux entreprises du numérique, au-delà des solutions qui existent actuellement, soit les crédits d’impôt recherche ou encore les fonds d’amorçage. Et de résumer : « Des business angels aux fonds d’investissement, il faut instaurer une continuité et encourager les initiatives qui pourraient aboutir à la création de nouveaux postes, voire de divisions informatiques dans les entreprises. »

Tout en mettant l’accent sur le logiciel, un cœur d’innovation qu’ont cerné certains pionniers du numérique. La population y est plus aguerrie, reconnaît Bruno Vanryb, qui confie en aparté que « la France accuse un retard indéniable ». Témoin nombre de marqueurs, en tête de liste l’adoption de l’e-commerce : 4 % à 5 % des transactions marchandes dans l’Hexagone, contre quelque 10 % outre-Manche.

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