Les GAFAM dans les écoles françaises : oui, mais sous conditions

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Pour Mathieu Jeandron, le directeur du numérique de l’Education Nationale, si les portes des écoles de la République s’ouvrent pour Apple, Google ou Microsoft, c’est uniquement en raison des efforts consentis par ces acteurs.

Les conséquences de la charte… sans charte ? C’est ainsi qu’on pourrait résumer la porte ouverte aux GAFAM dans les écoles françaises. Dévoilé hier par nos confrères de Café pédagogique, un mail du 12 mai de Mathieu Jeandron, le directeur du numérique pour l’éducation (DNE) au ministère de l’Education nationale, donnait en effet aux délégués académiques au numérique (DAN) et aux DSI des académies la marche à suivre pour implanter les services de Google, Apple ou autre Microsoft dans les écoles de France.

Un virage que Mathieu Jeandron justifie tant par un principe de réalité que par de récentes inflexions apportées par les grands industriels américains à leurs conditions générales d’utilisation dédiées à l’éducation. « Les outils d’Apple, Google ou Microsoft sont déjà utilisés sur le terrain, pour des usages collaboratifs ou du partage de documents, explique le directeur du numérique pour l’éducation. Notre préoccupation consiste à sécuriser ces usages, tout en laissant aux enseignants la liberté de choisir les outils qu’ils souhaitent employer. »

Une charte qui se fait attendre

Selon Mathieu Jeandron, le mail dévoilé hier s’inscrit dans une démarche de longue haleine, passant par une charte de confiance, co-rédigée par le ministère, le Syntec Numérique, l’Association française des industriels du numérique éducatif (Afinef) et le syndicat national de l’édition. Annoncée en mars 2016 par Najat Vallaud-Belkacem, cette charte est présentée par le ministère comme un « pacte de confiance portant sur l’engagement de la protection de la vie privée des élèves et des enseignants (équivalent à la student privacy pledge signée par plus de 300 entreprises aux États-Unis, dont les plus grandes) auquel chaque éditeur ou fournisseur de service pourra adhérer volontairement ». Problème : annoncé pour janvier 2017, avec un comité de suivi associé, ce document n’est toujours pas finalisé, son avancée ayant notamment été retardée par des recommandations de la CNIL qui ont poussé le ministère à amender sa copie. L’approbation de la charte, dont une nouvelle version intégrant les remarques de la CNIL serait quasi-achevée selon Mathieu Jeandron, dépend désormais de la volonté du nouveau gouvernement de faire avancer ce dossier.

Ni publicité, ni profilage

Mais, pour Mathieu Jeandron, même si elle n’existe pas officiellement, cette charte a eu pour effet de mettre en branle un travail de mise en conformité de la part des GAFAM. « Les Google, Apple et autre Microsoft ont ajusté leurs CGU (Conditions générales d’utilisation) dédiées à l’éducation pour se conformer au droit français et au droit de l’éducation, explique Mathieu Jeandron. A partir de là, il n’y a pas d’obstacles majeurs à l’utilisation de ces outils dans la classe dans le cadre des clauses pour l’éducation, et non dans un cadre grand public. » Un discours qui ne convainc pas le collectif Edunathon, qui s’était déjà opposé, sans succès, à la convention signée fin novembre 2015 entre Microsoft France et l’Éducation nationale. « Nous avons suffisamment d’expérience désormais avec les GAFAM pour savoir qu’ils ne vont pas bouleverser le fonctionnement de leur Cloud simplement parce que les CGU ont été modifiées en France pour le secteur éducatif », raille le porte-parole du collectif.

Selon Mathieu Jeandron, ces CGU revues et corrigées limitent les finalités de traitement des données, écartent la publicité et le profilage des élèves ou interdisent toute réutilisation ultérieure des données. Par ailleurs, les différends dans les contrats seraient traités devant des tribunaux français, et non devant des juridictions américaines comme le prévoient habituellement les CGU ‘grand public’. Autant d’éléments impulsés par le projet de charte, qui ne prévoit pas, par contre, un stockage des données en France, ni même en Europe. Le projet se contente de demander un respect de la législation européenne, soit un hébergement en Europe ou dans un pays offrant un niveau de garantie équivalent, Etats-Unis y compris sous le régime du Privacy Shield. « Le projet de charte exprime une préférence pour un hébergement des données en France », précise tout de même le DNE.

Microsoft et Google vont-ils tuer les ENT ?

Reste à mesurer les conséquences économiques de l’arrivée des GAFAM dans les écoles. En particulier le risque de voir leur puissance faire table rase des initiatives passées, notamment des ENT (Espaces numériques de travail) souvent développés autour de solutions Open Source. Un risque assez faible si on se fie à Mathieu Jeandron : « un recouvrement fonctionnel existe entre les ENT et les outils collaboratifs des GAFAM. Mais il n’est pas total. Les systèmes des grands acteurs du Web se prêtent plus à la collaboration ou à l’animation de la classe pendant les cours, tandis que les ENT sont davantage tournés vers la relation professeurs – élèves – parents et vers la vie scolaire ». Pour le DNE, tout dépend surtout de la dynamique d’usage autour des ENT.

Chez Edunathon, on se montre volontiers critique vis-à-vis de ces environnements : « Les ENT représentent vraiment l’informatique du siècle dernier. Il y a eu beaucoup d’argent gaspillé sur ce sujet. Ils ont un sens pour les applications métiers, comme le suivi des notes, ou la relation avec les parents, mais pas pour échanger des fichiers, explique le porte-parole d’Edunathon. Pour ces usages, pourquoi ne pas créer un Cloud ministériel basé sur les outils Open Source de Framasoft par exemple ? »

Car l’arrivée des GAFAM dans les écoles de la République pose aussi la question de la place laissée aux solutions développées dans l’Hexagone. Un faux débat, selon Mathieu Jeandron. « La plupart des sociétés travaillant sur ce secteur ont besoin d’interagir avec les solutions de ces grands éditeurs », estime le DNE, pour qui construire des écosystèmes franco-français ne permet pas aux jeunes pousses françaises d’aborder sereinement les marchés à l’export. Une vision que conteste Edunathon, pour qui l’arrivée des outils estampillés Microsoft ou Google dans l’école dénote d’une volonté de « former de simples consommateurs, alors le numérique est bien plus vaste que les seules solutions amenées par les GAFAM ».

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