Henri Verdier, Dinsic : « L’informatique de l’Etat ne se résume pas à ses sorties de route »

Le DSI de l’Etat, Henri Verdier, revient en exclusivité pour Silicon.fr sur la publication du tableau de bord des grands projets informatiques de l’Etat. Et croit dur comme fer aux vertus de la transparence.

Silicon.fr : Suite à notre demande, la Dinsic s’est mobilisée pour enrichir le tableau de bord qui préexistait. Pourquoi ce travail de transparence vous paraît-il important pour la DSI de l’Etat ?

Henri Verdier : Cela a assez vite semblé assez naturel, à la Dinsic comme à l’ensemble des ministères concernés. Après tout, nous soutenons depuis longtemps la transparence, l’ouverture de l’action publique, le travail avec les écosystèmes : il semblait assez évident que cela pouvait s’appliquer à nous-mêmes. D’autant plus que, nous le verrons dans les mois qui viennent, nous sommes persuadés que cela est tout simplement plus efficace. Les administrations elles-mêmes trouveront leur intérêt à ouvrir ainsi une forme de communication, à retrouver facilement, en un lieu unique, la dernière mise à jour de leurs données, et à disposer d’outils collectifs permettant à chacun de situer ses propres projets par rapport aux autres.

La sortie de ce tableau de bord a demandé plusieurs mois. Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

H.V. : On voit ici l’une des vertus d’une démarche d’ouverture. La construction d’un tableau de bord, que ce soit dans le secteur privé ou dans le service public, est toujours une démarche un peu longue. C’est sans doute un peu plus complexe lorsque l’Etat rend des comptes aux citoyens. Ce panorama a demandé une collaboration étroite entre la Dinsic et les ministères. Il a fallu définir les projets qui le constituent et en harmoniser les données. Les notions de date de début, date de fin ou même de coût d’un projet pouvaient demeurer hétérogènes d’un ministère à l’autre, puisque nous partions d’une longue tradition d’indépendance totale des SI ministériels. Il a fallu harmoniser également les différentes descriptions des projets dans différents documents publics. Il a fallu ensuite définir un processus durable de remontée des informations : au sein même des ministères et vers la Dinsic. Un véritable travail de coordination a été mené pour aboutir au résultat visible sur le site de la modernisation publique.

La notion de système d’information unifié de l’Etat ne remonte qu’à deux ans environ. N’avez-vous pas rencontré de résistance dans les ministères lorsqu’il s’est agi de les embarquer dans cet effort de transparence ?

Henri Verdier
Henri Verdier lors de l’inauguration de France Connect (solution interministérielle d’identification et d’authentification).

H.V. : Pas tellement, je trouve. Disons simplement que, dès que l’Etat entre dans une démarche de communication, se pose la question des risques de mauvaises interprétations des chiffres. D’où l’importance attachée à bien décrire les données utilisées, leur origine et leur portée. Dans cet effort de transparence, chaque directeur de projet et chaque DSI a réalisé un travail important d’alignement et de partage des informations : c’est aussi là un des bénéfices de cette transparence.

Récemment, vous indiquiez que les grands projets informatiques de l’Etat s’étalaient sur une durée probablement trop longue. 6,2 années selon la première mouture du tableau de bord. Comment la Dinsic peut-elle contribuer à réduire cette durée moyenne ?

H.V. : Il s’agit là effectivement d’une moyenne, et elle est longue. Je travaille dans le numérique depuis une vingtaine d’année et je n’ai pas souvenir d’une période de six ans sans une rupture technologique majeure. Dans le détail, cependant, les durées des projets sont très hétérogènes. Près de 60% d’entre eux sont inférieurs à cette moyenne et il faut plutôt trois années pour que les projets se confrontent à la réalité (expérimentation sur des premiers sites pilotes).

Ceci étant précisé, nous travaillons de multiples manières à raccourcir ces délais. De manière générale, la Dinsic incite tous les porteurs de projet à une approche modulaire ou à l’utilisation de méthodes agiles. Il nous faut délivrer de la valeur plus rapidement et sur des cycles plus courts. Cette incitation se retrouve dans les formations proposées par la Dinsic, dans l’animation des communautés de directeurs de projets et de DSI, ou très régulièrement dans les recommandations émises sur les grands projets de l’Etat (dans le cadre des projets soumis pour avis conforme notamment).

Par ailleurs, la Dinsic développe des ressources permettant d’accélérer le développement de projets (comme api.gouv.fr ou France Connect), c’est sa stratégie d’Etat plateforme. Et surtout, elle comporte un incubateur de services numériques (beta.gouv.fr) dont la promesse est tout simplement, pour les projets qui y sont pris en charge, une première version (un « minimum viable product ») en moins de six mois avec un budget inférieur à 250.000 euros. L’incubateur a ainsi porté avec succès des projets comme data.gouv.fr, Marchés publics simplifiés, La Bonne Boîte, MesAides ou Le.Taxi. Entendons-nous bien : quand le projet prend, il peut nécessiter de nouveaux développements et de nouveaux investissements. Simplement, il a rencontré son public, et donc son moment de vérité, six mois après le lancement du projet. C’est un renversement profond d’un grand nombre des schémas usuels…

Qu’espérez-vous comme conséquences concrètes de la publication tous les quatre mois de ce tableau de bord ?

H.V. : La première conséquence concrète qui me vient à l’esprit, c’est l’amélioration de l’offre fournisseur. Le fait de rendre visible ces grands projets va permettre à un plus grand nombre de fournisseurs de connaitre, de mieux comprendre les besoins de l’Etat et de les anticiper. Je pense aussi qu’on verra ainsi une meilleure photographie des efforts engagés par les ministères pour améliorer le service public. L’informatique de l’Etat est souvent traitée à travers ses sorties de route, mais il y a de nombreux projets qui se déroulent bien, et chaque quadrimestre, il y en a ainsi qui se concluent heureusement et sortent du tableau de bord.

Par ailleurs, et sans vouloir ruiner votre fonds de commerce, j’espère que cette démarche conduira à sécuriser les grands projets, en facilitant la prise de conscience partagée des éventuels risques de dérapage. C’est une dimension « open government » : je pense que l’habitude de travailler à chiffres apparents, et dans une transparence interministérielle ne peut que renforcer l’intelligence collective et la capacité d’action collective.

Plusieurs pays possèdent déjà un tableau de bord public de leurs projets IT. Vous êtes-vous inspirés de ces exemples ? A la lumière de ces expériences, quels vous paraissent être les critères de réussite ?

H.V. : Oui, nous avons regardé ce qui se fait dans le monde, aux Etats-Unis, au Royaume Uni, en Australie, au Canada : leur diversité fait leur richesse et nous nous en sommes alimentés. Le premier critère de réussite nous semble être la simplicité. Nous avons ainsi retenu 10 données clés par projet. Les chiffres clés et les analyses sont en nombres limités. Néanmoins, des liens permettent d’obtenir plus d’informations sur ces projets ou de télécharger ces données pour les analyser plus avant.

En complément : le tableau de bord des grands projets de l’Etat publié par la Dinsic

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