Prélèvement de l’impôt à la source : le futur casse-tête des entreprises

Un rapport sénatorial pointe les limites d’un système complexe et coûteux pour les entreprises et des administrations publiques, armée en tête. Elles pourraient être dans l’incapacité d’effectuer le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu dès 2018, comme le prévoit le gouvernement.

Dans son rapport sur le projet d’instauration du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, la commission des finances du Sénat dénonce un système complexe, coûteux et risqué. Rappelons que les entreprises devront opérer la retenue à la source sur les salaires, les pensions et les rentes viagères à titre gratuit. Pour leur « simplifier » la tâche, le gouvernement a lancé la déclaration sociale nominative (DSN), qui doit servir de vecteur d’échange de données entre l’administration et les entreprises sur le niveau de prélèvement à la source de chaque salarié. C’est une des mesures du « choc de simplification » de François Hollande.

Mais pour Albéric de Montgolfier, rapporteur et sénateur Les Républicains, cette réforme se traduira surtout par une charge supplémentaire pour les entreprises. Les administrations publiques, armée en tête, ne seraient pas forcément mieux loties. Tous ces acteurs sont des tiers collecteurs en devenir. Et selon le rapport du Sénat, ils ne seront pas tous prêts au 1er janvier 2018, comme le prévoit le gouvernement, du fait de contraintes multiples.

Réorganiser la paie

Les tiers collecteurs devront réorganiser leurs systèmes de paie respectifs, internes ou externalisés, pour accueillir et transmettre les flux entre eux et l’administration fiscale, et appliquer la retenue à la source sur les revenus versés en fonction du taux de prélèvement applicable. Or, déplore la commission des finances du Sénat, le coût d’adaptation/mise en conformité des logiciels (de paie, entre autres) « n’a pas fait l’objet d’une estimation chiffrée » de la part du gouvernement. Pour couronner le tout, aux surcoûts liés à la gestion de cette retenue à la source s’ajoutent des risques juridiques accrus. Des sanctions sont prévues en cas de retard de paiement ou d’insuffisance de la retenue à la source, de défaut de versement, ou encore de violation du secret fiscal. Dans le nouveau système, ce n’est plus le particulier mais bien son employeur qui supporte le risque lié à un retard de versement de l’impôt.

Bricoler une DSN

Pour assurer la mise en place en douceur de cette réforme phare du quinquennat, le gouvernement mise sur la DSN. Rappelons que la déclaration sociale nominative (DSN) doit se substituer en 2017 à toutes les déclarations sociales issues de la paie. La transition vers ce dispositif unique, nominatif et mensuel, implique une mise à niveau des progiciels de paie des entreprises, mais a pris beaucoup de retard. « Il y a lieu de se demander si l’ajout du ‘volet’ prélèvement à la source ne serait pas de nature à compliquer un peu plus le bon déploiement de la DSN », au détriment des entreprises, souligne le rapport.

Par ailleurs, les employeurs publics, qui représentent 6 millions d’agents et de salariés, « demeureront en-dehors du champ de la DSN au 1er janvier 2018 ». Pour ces derniers, et pour l’ensemble des employeurs qui ne sont pas concernés par la DSN, à ce jour, le directeur général des finances publiques, Bruno Parent, a indiqué au Sénat que sa direction est « en train de construire un succédané de cette DSN qui ne s’appliquera qu’au prélèvement à la source afin que tous les employeurs puissent disposer d’un taux applicable aux salaires versés ».

Mais le secrétaire général du syndicat Solidaires Finances publiques, François-Xavier Ferrucci, a exprimé des doutes concernant la réussite, dans les délais impartis (à savoir au 1er janvier 2018), de ces travaux informatiques, qui s’apparenteraient plutôt à du « bricolage », selon lui.

Armée : adapter Louvois ?

Des interrogations demeurent donc pour les administrations publiques. « Personne n’est capable de nous dire par quel moyen s’effectueront les prélèvements et les reversements pour les agents publics », déplore Albéric de Montgolfier dans son rapport. « Les armées, déjà confrontées au logiciel Louvois, pourraient être dans l’incapacité d’effectuer le prélèvement à la source, et cela est vraisemblablement le cas pour d’autres administrations publiques », alerte le sénateur.

Prochainement remplacé, Louvois, le logiciel de gestion de la paie mis en service en 2011, empoisonne encore l’activité de l’armée. Censé calculer la solde des 180 000 militaires, ce logiciel génère des erreurs de calcul, obligeant le ministère de la Défense à mobiliser des équipes pour corriger la paie « à la main ». En 2015, ces erreurs auront encore coûté 27 millions d’euros. Et l’arrivée de l’impôt à la source fait peser un risque sur le déploiement de son remplaçant, Source Solde.

Dans ce contexte incertain, la réforme promue par le gouvernement socialiste est rejetée par la droite sénatoriale. L’alternative qu’elle propose vise à rénover le système actuel en généralisant le prélèvement automatique mensualisé, au titre de l’année en cours (et non de l’année précédente).

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