Internet des objets : la révolution industrielle que l’Europe ne doit pas rater

commission europe (crédit photo © jorisvo - shutterstock)

Larguée dans l’Internet mobile, l’Europe peut-elle mieux négocier le virage de l’Internet des objets, ou IoT ? La création d’un marché unique du numérique apparaît, aux yeux de beaucoup, comme un passage obligé.

L’Europe peut-elle peser dans la troisième révolution de l’Internet, celle des objets ? Et si oui, à quelles conditions ? C’était en résumé le thème d’une conférence organisée par l’Institut de la souveraineté numérique, un think tank présidé par Didier Renard (le dirigeant de Cloudwatt) et animé par Bernard Benhamou, ancien délégué interministériel aux usages de l’Internet. « Pour l’instant, l’avantage compétitif est américain mais, si le régulateur accompagne le mouvement, il peut favoriser le développement d’une industrie européenne », explique ce dernier. Façon de dire que la bataille, qui porte sur 155 milliards d’objets connectés en 2025 selon l’Idate, n’est pas jouée d’avance, d’autant que l’Europe, et particulièrement la France, dispose d’un grand nombre de sociétés sur le créneau de l’IoT (Sigfox, Netatmo, Parrot mais aussi des géants comme Siemens ou Schneider Electric). « Il faut maintenant transformer l’essai », observe Édouard Geffray, secrétaire général de la CNIL. « Dans le secteur de l’énergie par exemple, l’Europe peut encore prendre la main », abonde Christian Buchel, le directeur du digital d’ERdF.

Pour Bernard Benhamou, c’est avant tout un état d’esprit qu’il faut changer : « on a assisté à une forme de renoncement en Europe ; on a cru qu’il fallait laisser les entreprises se débrouiller avec la technique. En France, les Investissements d’avenir ont privilégié une logique de saupoudrage sur de multiples filières, une façon de ne pas prendre parti. Choisir quelques secteurs clefs, comme l’énergie, la santé, les transports, c’est prendre le risque de mécontenter une bonne partie du CAC 40 », raille-t-il.

L’échec des partenariats d’innovation

Présente lors des débats, la députée LR Laure de La Raudière, qui a dévoilé la création d’une mission à l’Assemblée nationale sur les objets connectés, note toutefois les progrès effectués par l’Europe dans un des domaines clefs permettant à une industrie d’assoir sa domination : le financement. « Depuis quelques années, on assiste au développement de fonds souverains, on voit le fonctionnement d’Alternext s’améliorer. Mais il faut encore que l’Europe porte une ambition, établisse un agenda pour l’industrie numérique sans tomber dans le protectionnisme. » Autre lacune de l’écosystème de l’innovation européen : la frilosité de la commande publique vis-à-vis des jeunes pousses. Notamment en France. « Au bout d’un an, aucun partenariat d’innovation (une mesure décidée pour ouvrir les marchés publics aux start-up et PME, NDLR) n’a été signé », regrette Henri d’Agrain, directeur général du Centre des Hautes Etudes du Cyberespace.

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Le compteur connecté Linky.

L’autre condition du succès résiderait dans l’évolution de la réglementation. « Au niveau européen, précise Laure de La Raudière. Car je considère que jouer sur le terrain français revient à handicaper le développement de nos start-up ». « Nous aurons un texte européen unique dans deux ans », assure le secrétaire général de la CNIL, faisant référence au projet de directive sur la protection des données. Un texte qui poursuit un double objectif : redonner aux citoyens le contrôle de leurs propres données, et créer un marché unique en matière de régulation des données afin de favoriser le développement des entreprises européennes. « Dès 2018, une décision prise par une des autorités nationales de régulation sera applicable sur tout le territoire de l’Europe », affirme Édouard Geffray. Une perspective accueillie favorablement par Christian Buchel, d’ERdF : « nous avons, dans le cadre du projet de compteurs connectés Linky, déjà travaillé à des fonctions permettant aux consommateurs d’exprimer leur consentement explicite au partage de leurs données, par exemple avec un fournisseur d’énergie. Mais nous aimerions nous reposer sur un standard européen. » De même, avec la CNIL, la société en charge de la gestion du réseau d’électricité a défini un seuil – en l’occurrence 24 heures – en deçà duquel les informations produites par Linky sont considérées comme des données personnelles.

Un Schengen des données ?

Pour Édouard Geffray, le modèle européen de protection des données est même un plus pour le développement de l’industrie de l’IoT. « Notre standard est un atout à l’export », dit-il. Pour Bernard Benhamou, ce cadre devrait même être durci : « cela ne me choquerait pas que l’Union réclame le stockage des données des Européens sur le continent. Depuis des années, on a assisté à une forme de laisser-aller de la Commission Européenne sur ce sujet : c’est d’ailleurs ce qui ressort de la récente décision de la Cour de Justice européenne sur le Safe Harbor. » Et de signaler que l’équivalent allemand de la CNIL vient de demander aux entreprises opérant en Europe de ne stocker leurs données qu’à l’intérieur de l’UE. Pour Édouard Geffray, c’est un élément de la réponse. Mais pas le seul. « Nous avons aussi besoin d’accords internationaux, assortis de mesures techniques. » Laure de La Raudière estime qu’en tout cas, ce type de mesures permettrait d’en finir avec une situation où « des acteurs s’assoient royalement sur nos législations ». Une sortie qui vise notamment les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), qui font peu de cas de la souveraineté européenne.

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