IoT : Sigfox « n’est pas dans les télécoms », selon Ludovic Le Moan

Fort d’une stratégie à l’international déjà bien établie, Sigfox veut couvrir la Terre entière de son réseau d’antennes pour accélérer la connexion des objets. Tout en sortant de sa posture de concurrent des opérateurs.

« Sigfox n’est pas dans les télécoms. » C’est par cette assertion quelque peu surprenante que Ludovic Le Moan (photo ci-dessus) a fait un point sur le développement de Sigfox. Six ans après sa création, le cofondateur et président de la société toulousaine évoque un malentendu de départ. « Nous avons communiqué sur l’aspect LPWA (réseau bas débit et basse consommation, NDLR) pour connecter les objets, mais notre intention n’était pas de venir concurrencer les opérateurs », tente d’expliquer son initiateur. Il voit plus Sigfox comme un « enabler », un facilitateur qui s’inscrit comme un partenaire complémentaire à d’autres technologies de communication, le Wifi, le Bluetooth mais aussi le mobile (2G, 3G), pour connecter les objets à l’échelle mondiale, en très bas débit et au coût le plus bas possible. L’entrepreneur évoque des composants à moins de cinquante centimes d’euros. « Le coût du composant deviendra négligeable dans la fabrication de l’objet », avance le dirigeant.

A ses yeux, un opérateur mobile ne tirera que peu de valeur à exploiter un réseau LPWA en propre « alors qu’il peut vendre des services », sur le réseau de Sigfox s’entend. Une vision partagée par Altice (SFR) qui a signé un partenariat avec Sigfox quand Orange et Bouygues Telecom ont préféré déployer, chacun de leur côté, un réseau Lora. Présents au capital de Sigfox, Telefónica, NTT et SK Telecom devraient suivre la même tendance que SFR. « Qu’est-ce qu’un opérateur comme Orange qui génère 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an va s’embêter avec un réseau bas débit qui rapportera quelques dizaines de millions d’euros ? », s’interroge faussement Ludovic le Moan. Peut-être souhaite-t-il rester maître des données ? « On ne possède pas les données du client. Elles ne font que transiter sur notre réseau », balaye le dirigeant.

8 millions d’objets connectés par Sigfox

Ludovic le Moan regrette la vision égocentrique des opérateurs (de certains en tous cas). Et leur concurrence autour du protocole Lora qui s’est construire autour d’une alliance éponyme, regroupant quelque 80 industriels du secteur. « Si on travaillait ensemble, on avancerait beaucoup plus vite. » Aller vite, c’est en effet le souhait de Sigfox. Couvrir la planète s’inscrit même comme sa stratégie première, afin de faire de l’entreprise l’unique opérateur mondial des objets connectés. Pour cela, il s’appuie sur des partenaires dans chaque pays qui achètent et déploient ses antennes (à 3000 euros l’unité), revendent les abonnements (en reversant à Sigfox 40% des revenus) et tissent des liens avec les industriels locaux. Sauf en France, en Allemagne et aux Etats-Unis où l’opérateur préfère opérer en propre.

Aujourd’hui, Sigfox est présent dans 24 pays (déployés ou en cours de déploiement) et vise la trentaine pour la fin de l’année. L’entreprise de Labège revendique aujourd’hui 8 millions d’objets référencés sur son réseau (donc facturés pour avoir réservé un identifiant), dont 3 millions effectivement connectés et opérationnels. « C’est plus que les SIM M2M d’Orange depuis des années », compare le porte-parole de Sigfox.

En revanche, Ludovic le Moan reste muet sur le chiffre d’affaires de son entreprise, se contentant de souligner qu’il est multiplié par trois chaque année et a « largement » dépassé les 5 millions d’euros. « Nous générons du cash », soutient-il. Notamment grâce aux partenaires dont les investissements dans l’infrastructure de Sigfox se montent à entre 300 et 400 millions de dollars. Plus du double des 150 millions de dollars levés par Sigfox depuis sa création (dont 100 millions d’euros début 2015). « Nous visons l’équilibre pour 2018, ajoute le président de la start-up. Et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires rien que sur la France en 2020. » L’introduction en Bourse est évidemment envisagée à terme, peut-être en 2018 ou 2019. Mais pas de nouvelle levée de fonds en vue. « Sauf si un investisseur veut accélérer notre développement », dit toutefois Ludovic le Moan.

Lave-linge ou chaise communicante

Un développement qui passera par la connexion des objets. Tous les objets. « On est là pour introduire un nouveau paradigme : digitaliser le monde physique », lance le vibrionnant visionnaire. Si, aujourd’hui, les services de connexion autour des objets se concentrent sur le suivi des produits et leur monitoring, les systèmes d’alarme, le bouton connecté qui permet de déclencher simplement un ordre (comme le Domino de La Poste qui transforme la boîte aux lettre des particuliers en bureau de poste), les détecteurs de fuite d’eau, les capteurs de consommation d’énergie, de température ou de remplissage de cuve, les boîtiers d’assistance aux personnes âgées, etc., demain, les puces de Sigfox pourront se retrouver dans les machines à laver, les valises, les box des fournisseurs d’accès, le mobilier de bureau… Et ouvrir la voie à de nouveaux services. Les constructeurs de lave-linge pourraient proposer un service de livraison de lessive. Outre la géolocalisation, les fabricants de valises pourraient ajouter des services d’information locale pour le propriétaire. Une puce Sigfox dans une box Internet pourrait détecter la nature d’un problème de connexion indépendamment du réseau de son opérateur (on peut donc penser que la prochaine SFR Box s’en équipera) ou bien automatiser l’appairage d’un appareil au Wifi. Les chaises pourraient déclarer quand elles sont occupées ou non… « On parle d’applications qui n’existent pas encore, s’enflamme Ludovic le Moan, et de créer de nouveaux modèles économiques à partir des données générées et partagées. »

Ouvrir la voie à de nouveaux services ne sera possible qu’avec l’affaiblissement des besoins énergétiques des objets. Sigfox y travaille sur plusieurs points. En captant l’énergie environnante (solaire, mécanique, voire magnétique…) pour alimenter les composants radio. Ou encore en créant « un réseau d’antennes qui capte une énergie très très faible ». Sigfox entend ainsi faire passer les besoins énergétiques de son protocole du milliwatt au microwatt. L’idée étant de supprimer la batterie des objets, à terme. « Exploiter un réseau d’objets dotés d’une batterie est un calvaire », résume Ludovic le Moan. Sans parler du coût environnemental.

Le satellite pour les déserts

Une évolution de la gestion de la consommation qui aidera Sigfox à poursuivre l’extension de sa couverture planétaire. Quitte à passer par l’espace. Un essai a été réalisé en 2015 sur le satellite Spot 7. Selon Ludovic le Moan, une dizaine de mini satellites suffirait à couvrir les zones désertiques de la Terre, zones où le déploiement d’antennes n’est pas viable économiquement. Le tout pour un coût d’à peine 100 millions d’euros. Au final, le dirigeant est convaincu que la Terre entière peut être couverte par Sigfox pour un investissement de l’ordre de 500 millions d’euros. Même pas le prix d’une licence 4G en France.


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