Jean-Ludovic Silicani, Arcep : « Les opérateurs ont confiance dans l’avenir des télécoms »

Jean-Ludovic Silicani, DigiWorld Summit Idate 2013

A l’occasion du DigiWorld Summit, Jean-Ludovic Silicani, président de l’Arcep, est notamment revenu sur la situation économique des opérateurs en France et en Europe face à leurs homologues américains.

Jean-Ludovic Silicani est intervenu au Digiworld Summit 2013 de l’Idate à Montpellier le 20 novembre. Invité à répondre aux interrogations d’Yves Gassot, directeur de l’institut d’études montpelliérain, le président de l’Arcep a abordé les questions propres à la santé du secteur des télécoms, notamment comparée à celle aux Etats-Unis, à la réglementation européenne et au positionnement des acteurs des télécoms face aux grands acteurs du Net pour terminer sur sa vision du secteur à la fin de la décennie.

La situation économique
Alors que la Suède s’inscrit comme le seul pays européen a connaître une croissance dans le secteur des télécoms, il n’y a pas récession aux yeux de Jean-Ludovic Silicani. Lequel rappelle que « en volume, le secteur des télécoms est en très forte croissance de 6% par an. Aucun autre secteur ne connaît une telle croissance ». Et si les chiffres d’affaires des opérateurs baissent, c’est parce que « les prix baissent plus vite que les volumes » sous la pression concurrentielle. Néanmoins, la marge brute des opérateurs autour de 30%, reste « enviable pour bien des secteurs de l’économie ».

Les investissements
Avant de s’interroger si la reprise aura lieu en 2014 ou 2015, « nous devons nous assurer que le niveau de marge permet d’investir pour moderniser l’existant et développer nouveaux réseau ». A hauteur de 8 milliards d’euros en France, les investissements physiques (hors licences) ont battu un record en 2012. Une tendance qui perdure sur le 1er trimestre 2013. « Si les opérateurs investissent plus que jamais, c’est qu’ils ont confiance en l’avenir des télécoms. »

L’Europe au niveau des Etats-Unis
Pour Jean-Ludovic Silicani, la France n’a rien à envier aux Etats-Unis qui a certes pris de l’avance sur la 4G pour rattraper l’échec de la 3G et répondre aux attentes des consommateurs, ce qui a créé un marché et nécessité des investissements importants ces dernières années. « Mais sur 10 ans, le niveau global d’investissement sur chiffre d’affaires est équivalent à quelques pourcents près entre les deux pays. »

De plus, « l’avance américaine devrait être rattrapée rapidement en France grâce aux investissements et en lâchant un lièvre, Bouygues Telecom, qui va pousser les autres opérateurs à accélérer leurs déploiements ». En déployant sa 4G sur son réseau 2G 1800 MHz, Bouygues Telecom a obtenu une couverture (63% de la population) supérieure à celle d’AT&T.

Jean-Ludovic Silicani a également souligné que la marge plus importante des opérateurs nord-américains, souvent mise en avant, était due à des offres trois fois plus onéreuses qu’en France sur le fixe et 1,5 à 2 fois plus élevées sur le mobile. Quant à la très forte concentration du secteur outre-Atlantique, elle « a poussé à détruire près de 600 000 emplois en 10 ans. Je ne suis pas sûr que ce soit l’envie des pouvoirs publics en France ».

A l’échelle européenne, le président de l’Arcep ne voit pas d’énorme différence avec le marché américain. « Les 4 opérateurs européens, Vodafone, Orange, Telefónica et Deutsche Telekom, ont 65% du marché européen des abonnés. 10% de moins que les 4 principaux opérateurs des Etats-Unis. Et Vodafone et Orange ont plus d’abonnés que Verizon et AT&T. » A eux de « tirer parti de leur taille pour générer des gains de productivité et des baisses de coûts ».

Le marché unique des télécoms en Europe
Sur la question du marché européen unique, si Jean-Ludovic Silicani rejoint les objectifs de la Commission, il en regrette la méthode. Rappelons que, sous l’impulsion de Neelie Kroes, Bruxelles veut imposer les mêmes règles à tous les pays de l’Union. « Ne faut-il pas que le 4e Paquet télécoms aille plus loin plutôt que prendre un règlement qui s’impose à tous les Etats dans les même termes et ne pas admettre que des objectifs communs puissent se traduire par des moyens de mise en œuvre différents selon les pays en regard de leurs géographie, urbanisation et populations différentes ? Vouloir mettre en œuvre les mêmes techniques pour atteindre les mêmes objectifs ne fonctionnera pas. Il y a un risque de résultat inverse d’un objectif auquel nous adhérons. »

Les opérateurs face aux OTT
Faut-il réguler les acteurs de l’Internet, les OTT (over the top) qui s’appuient sur les réseaux des opérateurs pour créer leur valeur sans contribuer à l’infrastructure, interroge Yves Gassot. « En théorie, pourquoi pas, répond le président de l’Arcep, mais c’est complexe à mettre en œuvre. » Une régulation qui pourrait éventuellement passer par la fiscalité dont la question est désormais entre les mains de l’Europe (lire La France fait pression sur l’Europe pour taxer les géants du Net). Sinon, « nous avons des outils pour traiter des différents entre les FAI et les OTT au cas par cas ».

Les télécoms dans 10 ans
Comment Jean-Ludovic Silicani voit-il l’évolution du secteur à l’horizon des 10 prochaines années ? En rose. « Si les objectifs visés sont atteints, cela voudrait dire que les réseaux fixe et mobile très haut débit sont réalisés. Il s’en découlerait des services de très haute qualité, audiovisuels, individuels de data, collectifs avec la télé-médecine, les transports, le télépaiement, etc., qui apporteront des revenus aux opérateurs. Ce qui implique qu’ils fassent des bons choix de tarification. En aval, les équipementiers et les relations avec les OTT fonctionneront mieux. Enfin, la régulation aura été allégée avec éventuellement un seul régulateur européen et des régulateurs nationaux pour les problématiques locales. » Une vision idyllique.

Digiworld Summit 2013, 20Nov – Jean-Ludovic Silicani (ARCEP)- Video As A Service from DigiWorld by IDATE on Vimeo.