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Ce n’est plus les Espagnols au Danemark mais les Ukrainiens au Portugal

Le Portugal fut une très grande puissance. Certes son territoire national est petit mais quelle expansion ! En Afrique, Madère, les Açores, l’Angola, la Guinée-Bissau, le Mozambique et le Cap-Vert ; en Asie, Goa, le Pondichéry lusitanien en plus grand, et Macao,  »

l’enfer du jeu« , pendant de Hong-Kong ; surtout le Brésil, immense nation qui, peut-être, deviendra au 21ème siècle un des principaux pays du monde. On pourrait même ajouter Timor-Est, annexé par l’Indonésie en 1975, dont il a pu se détacher grâce à la fermeté de Lisbonne en devenant indépendant en 2002. Le Portugal n’a connu ni la guerre de 14-18 ni celle de 39-45, comme la Suisse et la Suède ; il n’a pas subi la guerre civile comme l’Espagne – et pourtant c’est un pays pauvre. Ou plutôt c’était, car l’adhésion à l’Europe lui a permis de redresser la situation. Une partie de sa population avait émigré, surtout en France où les Portugais constitueraient ? sans compter les naturalisés ? 18% de la population étrangère, devant les Algériens, les Italiens et les Espagnols. Ils ont su admirablement s’intégrer, sans conflits, sans mouvements d’humeur. Les femmes s’occupent du ménage ou sont gardiennes d’immeubles ? même les deux. Les hommes font différents métiers et, à la seconde génération, deviennent parfois médecins, policiers, avocats, experts-comptables. Ils semblent « heureux comme Dieu en France« , comme dit un proverbe allemand. De temps en temps, ils retournent au Portugal où certains achètent une maison pour leur retraite plus tard? Naguère ils y allaient dans des cars un peu patraques. Maintenant ils prennent souvent l’avion. Comme ils sont catholiques, on leur a dévolu deux églises, l’une à Gentilly, qu’on voit à l’entrée de l’autoroute du sud, l’autre, boulevard Sérurier, à Paris. Elle avait été construite par erreur, dans un quartier absolument vide et qui l’est resté. Un moment on l’a proposée aux « intégristes » qui l’ont refusée, arguant que leurs ouailles risquaient de se faire écraser en traversant le boulevard des maréchaux? À ma connaissance, aucun Portugais se rendant au sanctuaire Notre-Dame de Fatima n’a jamais été victime d’un accident ! Grâce à l’Europe, le plus long pont du continent a été construit à Lisbonne, le pont Vasco de Gama – hommage au célèbre « Amiral des Indes » – 17 km de long dont 9 en site aquatique pour la traversée du Tage. Il double le pont du 25-Avril (rebaptisé ainsi d’après la Révolution des ?illets) que, plus par habitude que par conviction, beaucoup continuent d’appeler pont Salazar. Salazar avait créé un régime autoritaire et corporatiste dont souhaita s’inspirer la « Révolution nationale » de Vichy en 40-44. Oppression au Portugal, répression dans les colonies, un programme qui s’effondra en avril 1974. Cependant, Salazar avait tout de même laissé les Alliés installer des bases aux Açores et beaucoup de dissidents français rejoignirent De Gaulle à Londres en s’envolant de Lisbonne d’où l’on pouvait aussi gagner les États-Unis. Passant quelques heures avec un couple de Portugais installé en France depuis plus d’une génération, j’ai demandé : « Quel est le problème principal que vous connaissez aujourd’hui au Portugal ? » La réponse fut simple : « Les Ukrainiens ! » Prosper Mérimée a écrit dans son Théâtre de Clara Gazul une pièce pétillante que nous vîmes jadis aux Français : Les Espagnols au Danemark ; et voici qu’éclatent les Ukrainiens au Portugal ! Soyons sérieux ; il a 4.200 kilomètres entre Kiev et Lisbonne ; les Ukrainiens sont blonds, les Portugais bruns ; ils ne sont pas de la même culture ; les Ukrainiens ne sont même pas ? du moins pour l’instant ? de la Communauté européenne. Pour comprendre ce qui se passe, j’interroge Lemonde.fr et je reçois un article d’Alain Beuve-Méry : «Un des atouts nationaux était la faiblesse de son coût du travail avec une main-d’oeuvre, certes peu chère, mais aussi peu qualifiée. Aujourd’hui, les travailleurs portugais affichent des taux de productivité parmi les plus faibles d’Europe. « Le pays craint la concurrence des nouveaux entrants dans l’UE« , note Sabine Le Bayon, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). « Par ailleurs, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le Portugal connaît un solde migratoire positif, en raison d’une forte immigration en provenance des pays est-européens (Moldavie, Roumanie, Russie, Ukraine). Les Ukrainiens sont désormais la troisième communauté étrangère, après les Cap-verdiens et les Brésiliens. Dans le même temps, bon nombre de jeunes Portugais s’exilent et vont tenter leur chance ailleurs. » Je tente aussi ma chance avec la revue de presse de Google.fr et je ne reçois en tout et pour tout qu’une relation des obsèques de Jean-Paul II où figuraient entre autres nationalités des Portugais et des Ukrainiens. Heureusement Google.fr est plus prolixe en proposant plusieurs textes. Un article de L’Express de janvier 2003 signé Axel Gyldèn : «La ruée des Slaves. « Moldaves, Russes: ils sont de plus en plus nombreux à s’installer au pays du fado. De nouveaux immigrés plutôt bien accueillis « Sur les hauteurs du Bairro Alto, le « Quartier latin de Lisbonne« , le restaurant Adega do Ribatejo est une ‘institution’. Depuis un quart de siècle, d’anciennes gloires du fado s’y succèdent. Accompagnées par deux guitaristes octogénaires, elles entonnent des couplets emplis de nostalgie. « Ce soir, cette taverne lisboète connaît un moment de grâce. Lorsque le vieux et imposant Luis Braga, en complet gris, attaque Casa portuguesa avec sa voix de velours, toute la salle – 14 clients – chante avec lui. Un triomphe. « Impossible, dans l’assistance, de ne pas remarquer deux grandes et jolies blondes aux yeux bleus, attablées près de la porte: elles détonnent dans ce décor suranné. Elles aussi s’efforcent de reprendre les refrains. Des touristes finlandaises? Non. Originaires de Kiev (Ukraine), Irina et Natalia sont le nouveau visage du Portugal, où des dizaines de milliers d’immigrants venus des pays de l’ex-URSS ont débarqué en l’espace de trois ans. « Une véritable ruée: plus de 100 000 ressortissants d’Ukraine, de Moldavie, de Russie sont officiellement établis au Portugal, sans parler des clandestins. Les 70 000 Ukrainiens constituent désormais la première communauté étrangère, devant les Capverdiens ! « Pays d’émigration par tradition – 5 millions de Portugais vivent à l’étranger – le Portugal, 10 millions d’âmes, est devenu une terre d’immigration. Après les Africains des anciennes colonies lusophones (Angola, Mozambique, Cap-Vert, Guinée-Bissau) et les Brésiliens, voici donc les immigrés du troisième type. A la différence de leurs prédécesseurs, qui partagent une histoire commune avec les Portugais, les Slaves font figure d’extraterrestres: venus de contrées inconnues, de religion orthodoxe, ils sont aussi les premiers immigrants dont la langue maternelle n’est pas le portugais. « Cependant, l’intégration fonctionne bien, observe le père Antonio Vaz Pinto, haut-commissaire à l’Intégration des minorités ethniques.La xénophobie n’a pas cours. Avec un expatrié dans presque chaque famille, il faut dire que les Portugais sont bien placés pour se montrer compréhensifs à l’égard de ces étrangers« . « Les entreprises se sont déjà adaptées à la nouvelle réalité sociale. TAP, la compagnie aérienne portugaise, propose trois liaisons Lisbonne-Kiev par semaine, tandis que la société de téléphonie mobile Vodafone a créé un service Audiotel en russe. Trois journaux hebdomadaires russo-ukrainiens lancés par des journalistes slaves sont disponibles en kiosque. Et, dans les boîtes de nuit du littoral, certains disc-jockeys intercalent des morceaux slaves parmi les tubes du Top 50 portugais, histoire de séduire cette nouvelle clientèle. « Sur le marché du travail, la greffe a également bien pris: « Apres à la tâche, peu exigeants sur les salaires et souvent qualifiés, Russes, Moldaves et Ukrainiens sont très demandés par les employeurs. On observe même une certaine discrimination positive en leur faveur», note Yves Turquin, président d’Adecco Portugal, spécialiste de l’intérim. (?) « Mais, au fait, pourquoios imigrantes de Lesteont-ils choisi de s’installer à cette extrémité de l’Europe? La raison est simple. Depuis le milieu des années 1990, le Portugal s’apparente à un immense chantier… où la main-d’?uvre fait défaut. Bénéficiaire de financements alloués par l’Union européenne, le pays, hérissé de grues, s’efforce de combler son retard en matière d’infrastructures. (?) « Les mafias de l’Est ont donc tissé leurs filières d’immigration. Et fait entrer 80% de leurs ‘clients’ dans l’espace Schengen avec de simples visas de tourisme délivrés par des consulats laxistes, par exemple celui d’Allemagne à Kiev, bien connu des passeurs. Ainsi de Vasili Organ, dermatologue moldave débarqué avec cinq autres ‘touristes’ après une traversée express de l’Europe: quarante-huit heures chrono au départ de Moldavie à bord d’un minibus piloté par un chauffeur dopé au café! « Ici, j’ai cru arriver au paradis. Pas seulement à cause du climat. Mais aussi en raison de la beauté de l’autoroute et de l’éclairage public« . « « Jama Raisa Zolotco tient elle aussi à raconter ses premières impressions. A Lisbonne, cette enseignante moldave devient tout d’abord femme de ménage dans une famille de bourgeois africains. Jamais je n’aurais imaginé cela: moi, passant la serpillière chez des Noirs! J’en ai pleuré toute la journée. Non pas que je sois raciste, mais un tel cas de figure n’entrait pas dans mon schéma mental. Il faut m’excuser: auparavant, les seuls Noirs que j’avais vus, en Moldavie, c’étaient les domestiques des feuilletons télévisés brésiliens« . Aujourd’hui, Raisa dirige une agence matrimoniale qui porte son prénom. Totalise six mariages slavo-portugais en six mois. Et se félicite de posséder un titre de séjour en bonne et due forme. « En 2001, le gouvernement, débordé par la vague migratoire, choisit de régulariser la situation de 100 000 clandestins. Il délivre alors des ‘autorisations de permanence’ renouvelables chaque année. Une manière de couper l’herbe sous le pied des mafias, maîtres du marché du travail clandestin. « Leur méthode est éprouvée: ils vous trouvent un boulot, puis ils prélèvent 30% de votre salaire. Ce racket peut durer indéfiniment. Et gare à celui qui ne paie pas son tribut! » raconte Elena Liachtchenko, présidente de Respublika, une association d’aide aux immigrés russophones. « La preuve: voilà un an, un clandestin muni d’un couteau prend en otage un cafetier du centre-ville. Son objectif: alerter l’opinion publique sur son sort. Ecrasé de dettes, le désespéré est menacé de mort. Télévisé en direct, ce kidnapping stupéfie les Portugais. Et jette une lumière crue sur les nouvelles formes de criminalité importées au Portugal.» Bibliomonde.net cite La Croix d’avril 2002 : «D’abord embauchés comme employés de maison, sur des chantiers ou dans des exploitations agricoles, ils évoluent par la suite vers d’autres fonctions. « Ils sont doués pour les langues et apprennent vite le portugais. Je ne suis pas inquiet pour leur intégration« , note Vitaorino Canas. « Cette immigration, bienvenue sur un marché du travail en situation de plein-emploi, est encore très récente dans un pays longtemps habitué, à l’inverse, à l’émigration. Mais le phénomène prend de l’ampleur. L’année dernière, le pays a délivré près de 130 000 permis de séjour d’un an pour régulariser ces immigrés entrés illégalement. Au Portugal, la concierge est aujourd’hui ukrainienne.» Monde-diplomatique.fr dans un texte de 2002 met le doigt sur le transfert de pauvreté : « « Les Ukrainiens forment la troisième communauté étrangère dans le pays, derrière les Cap-Verdiens et les Brésiliens, mais déjà devant les Guinéens ou les Angolais « , révèle Mme Tatiana Komlichenko Gomes, dans le cabinet de ressources humaines des quartiers d’affaires de Lisbonne où elle s’occupe de placer ses compatriotes dans l’industrie et, surtout, dans la construction civile. Un des traits les plus marquants du phénomène est qu’il s’agit en général d’une émigration de haut niveau, principalement d’origine ukrainienne. Tel ce couple de médecins de formation dont la femme travaille dans l’industrie plastique et le mari comme ouvrier du bâtiment. « « Le Portugal est une plaque tournante migratoire représentative d’un modèle de développement fondé sur l’exploitation intensive de la main-d’oeuvre. A l’échelle européenne, il s’agit d’une situation inédite, car il est à la fois pays d’émigration massive et d’immigration« , souligne M. Carlos Trindade, responsable de la CGTP-IN, la grande centrale syndicale portugaise. « De fait, si les grandes poussées migratoires – qui ont vidé nombre de régions du pays durant l’interminable agonie du régime de Salazar – semblent s’être ralenties au début des années 1990, on dénombre toujours plus de 4 millions de Portugais résidant à l’étranger. Ce qui représente environ l’équivalent de 40 % de la population d’un pays qui vient tout juste de franchir le cap des 10 millions d’habitants, selon le dernier recensement du printemps 2001. Néanmoins, la tendance s’est bel et bien inversée et, depuis 1993, le solde migratoire est positif. Plus encore maintenant que l’émigration en provenance de l’Est européen est en passe de supplanter l’apport traditionnel venu des pays lusophones.» Paradoxalement cette ‘invasion’ pacifique et pas complètement explicable des Ukrainiens est l’image de la nouvelle Europe où les peuples ne se rassemblent plus par familles et où les affinités deviennent électives. Le Portugal a fait sa révolution des ?illets, l’Ukraine a fait sa révolution orange, c’est peut-être là le rapport étroit entre des pays de deux extrémités de l’Europe que tout semblait devoir séparer?