La lente érosion de l’Internet gratuit

Même sur la musique, et quoi qu’en disent les majors, l’internaute se tourne de plus en plus vers les services payants

L’étude d’Ipsos-Reid, publiée en décembre, qui compare les méthodes de téléchargement de musique entre juillet et septembre 2002, est presque passée inaperçue, étouffée par les majors américains du disque, et leurs tirs à boulets rouges sur l’Internet. Selon l’organisme Ipsos-Reid, 28% des internautes américains de plus de 12 ans téléchargent en ligne de la musique et des fichiers au format MP3, soit prêt de 60 millions d’internautes. L’étude démontre à ceux qui l’ignoraient que la majorité de ces internautes américains amateurs de musique, 67% en septembre 2002, n’accèdent qu’à la musique gratuite, donc bien évidemment au téléchargement pirate par des outils de partage de fichiers, sur le modèle de Napster. Ce chiffre – il était de 71% en juillet – alimente la colère justifiée des éditeurs de musique, mais subit une lente érosion au profit des services payants. Entre juillet et septembre, le nombre d’internautes qui pratiquent le gratuit et le payant est passé de 27% à 31%, soit une progression de +13%. Faut-il y voir l’effet des campagnes de sensibilisation contre le piratage, particulièrement menaçantes dans le discours outre-Atlantique ? Ou le fait que la multiplication des internautes, et leur incompétence sur les techniques de téléchargement, réduisent le volume des candidats au piratage ? Où tout simplement que l’Internet devienne un média de consommation comme un autre ? Le téléchargement pirate de musique en ligne représente l’un des principaux attraits de l’Internet dans son utilisation « personnelle et familiale », ce qui en fait un moteur d’accès au Web. Quelles pourraient être les répercutions de la suppression de ces services gratuits, mêmes pirates, sur l’internaute, tandis que le Net est en passe de réussir son passage au schéma commercial ? Les médias semblent incapables de maîtriser ce marché, proche du phénomène de société. La prise de contrôle de Napster, par exemple, a entraîné l’émergence de solutions concurrentes, comme Kazaa et eDonkey. Quant aux professionnels de la distribution musicale, de la comparaison de prix et des télécoms, ils ont compris l’intérêt que représentent ces services de téléchargement pirate. Ne figurent-ils pas parmi les principaux annonceurs des sites de partage ? Plus que le spectre d’actions judiciaires, sans doute vaudrait-il mieux pour les médias revoir leur approche de l’Internet afin d’adopter des stratégies qui satisfassent aussi l’internaute et ses moyens financiers. À suivre?

Yves Grandmontagne