Truffle 100 : le logiciel européen investit sans compter dans le Saas

Les 100 premiers éditeurs européens investissent près de 7 milliards d’euros l’an en R&D. Le tout alors que leur croissance est au plus bas depuis le milieu des années 2000, comme le montre le classement Truffle 100.

Une pression sur les profits, le renforcement des investissements en R&D pour encaisser la transition vers le Saas. Le tout dans une région – l’Europe – en panne de croissance. Pour Bernard-Louis Roques, directeur général et co-fondateur du fonds Truffle Capital à l’origine du classement des 100 premiers éditeurs de logiciel européens, cette industrie traverse « une situation délicate ».

Globalement, le top 100 des éditeurs en Europe génère un chiffre d’affaires cumulé de 57,4 milliards d’euros en 2013, dont 42,2 milliards proviennent directement du logiciel. Soit une croissance de 2,7 % sur un an. Une progression certes enviable au regard de l’atonie de l’économie en Europe, mais bien loin des niveaux d’il y a seulement quelques années. On enregistrait ainsi 14 % de croissance en 2010 et de plus de 20 % en 2011 ! « C’est la plus faible croissance du Truffle 100 depuis sa création en 2006 », rappelle Bernard-Louis Roques.

21 Français dans le top 100

Parmi ce top 100, une société sur deux a dépassé la barre des 200 millions de chiffre d’affaires, 8 de plus que l’année dernière. L’industrie européenne est évidemment toujours outrageusement dominée par SAP, qui pèse près de 9 fois plus que son successeur immédiat, le Français Dassault Systèmes, en termes de chiffre d’affaires issu du logiciel. Le top 3, complété par le Britannique Sage, représente 47 % du chiffre d’affaires cumulé du Truffle 100 (stable sur un an) et 59 % de ses profits (en progrès d’un point).

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La France classe 21 entreprises dans ce top 100 (+ 2 en un an), plus que tous ses voisins européens. Mais, en termes de chiffre d’affaires cumulé, son industrie ne se classe que troisième, avec 11,9 % du total (contre 10,6 % un an plus tôt). Le Royaume-Uni, second, voit le chiffre d’affaires cumulé de ses éditeurs régresser entre 2012 et 2013. L’industrie britannique du logiciel pèse 12,8 % du Truffle 100, contre 14,6 % un an plus tôt. Porté par SAP, l’Allemagne domine de la tête et des épaules : un euro sur deux comptabilisé dans le Truffle 100 provient de ses 15 grands éditeurs.

Comme l’année dernière, les 100 premiers éditeurs européens ont dépensé plus en R&D qu’ils n’ont engrangé de profits. Ces investissements représentent au total 6,9 milliards d’euros (à comparer aux 6,4 milliards de bénéfices), un chiffre quasi-stable sur un an. Soit au total près de 64 000 emplois, contre 63 300 un an plus tôt. Le double des effectifs de R&D des 100 premiers éditeurs européens au milieu des années 2000 !

La France se classe à la seconde place sur ce terrain, avec 11 400 salariés employés au sein des départements R&D de ses 21 plus grands éditeurs de logiciels. Soit 17,8 % du total. Loin derrière l’Allemagne (SAP emploie à lui seul 17 800 personnes en R&D partout dans le monde), mais nettement devant le Royaume-Uni (10,8 % du total).

Les éditeurs fuient la bourse

Truffle100 1« Ces investissements élevés en R&D s’expliquent par le changement de paradigme qu’amène le Saas, qui implique une vraie transformation de modèle économique, analyse le co-fondateur de Truffle Capital. Cette transition nécessite de hauts niveaux d’investissements sans se traduire par une amélioration du chiffre d’affaires et des profils. » Au moins à court terme, le modèle Saas remplaçant les ventes de licences – une forte somme payée en amont du projet – par un loyer étalé dans le temps. Et Bernard-Louis Roques dit s’attendre à voir cette situation – dépenses de R&D élevées, pression sur les profits – perdurer. « On peut s’attendre à des fusions-acquisitions et à des rachats par des acteurs américains, qui bénéficient de niveaux de valorisation supérieurs à leurs homologues européens. »

Selon le dirigeant du fonds, si l’Europe n’a rien à envier aux États-Unis en termes d’innovation, l’accès aux capitaux reste problématique de ce côté-ci de l’Atlantique. Pour preuve, seuls 56 des 100 premiers éditeurs européens sont cotés en bourse. Ils étaient 85 dans ce cas en 2007. Une faiblesse qui peut également pousser des créateurs de start-up à traverser l’Atlantique pour trouver plus facilement les ressources financières dont ils ont besoin pour développer leurs produits. Le cas de Docker, l’éditeur à l’origine de la technologie de conteneurs qui agite aujourd’hui le marché du Cloud, est à ce titre emblématique : cette start-up a fermé ses activités en France pour mieux les relancer dans la Silicon Valley.

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