Logiciels libres : pourquoi le secteur public doit aller plus loin (tribune)

Le Socle Interministériel des Logiciels Libres (SILL), dont la v2 a été publiée en février, contribue à une meilleure rationalisation du SI de l’Etat. Sa diffusion doit toutefois être étendue. D’où les réflexions en cours concernant une gouvernance interministérielle renforcée autour du libre, explique le DSI de l’Etat, Jacques Marzin.

Comment s’y retrouver dans la multitude de logiciels Open Source ? Qu’il s’agisse de bureautique, de développement ou de production, quelle solution privilégier ? Et quelle version ? Pour effectuer ces choix, les informaticiens de la sphère publique bénéficient d’un précieux soutien : le Socle Interministériel des Logiciels Libres (SILL). Ce dernier référence pour une fonctionnalité donnée, un logiciel et une version. Fruit d’une collaboration interministérielle, la seconde version du SILL a été publiée en février dernier par la Disic (Direction interministérielle des systèmes d’information et de communication). L’occasion de revenir sur les vertus de ces choix structurants et d’expliquer en quoi ce référentiel devra à terme être renforcé par une nouvelle gouvernance de l’Etat en matière de logiciels libres.

Pour rappel, les sélections effectuées dans le SILL résultent des travaux d’une organisation interministérielle dédiée à l’Open Source, formée d’un noyau (l’équipe de pilotage) et de représentants dans les différents ministères. Pour chaque logiciel référencé, l’un d’eux s’engage à éprouver la solution et à en valider les dernières versions. Toujours dans l’optique d’une appropriation par les ministères.

Pourquoi cette sélection est-elle précieuse pour les services informatiques ? Elle leur donne matière à clarifier un monde plus que complexe : les logiciels libres bougent à la vitesse grand V. Dans ce contexte, le SILL évite à chaque ministère d’avoir à évaluer séparément les solutions matures, celles qui émergent, celles qui ont le vent en poupe ou celles qui déclinent. C’est un besoin particulièrement criant dans les domaines du développement et de la production, où les projets Open Source sont légions.

Nécessaire à l’échelle des informaticiens, le SILL l’est également à un niveau plus macroscopique. Car en restreignant le nombre de logiciels, il va dans le sens d’une meilleure rationalisation du système d’information de l’Etat. Avec à la clef une maintenance simplifiée et la promesse d’une interopérabilité renforcée entre les logiciels, qu’ils soient ou non libres d’usage.

Quel bilan pour le SILL ?

Enfin, les choix assumés par le SILL aiguillent les contributeurs internes vers des solutions d’avenir. Ils permettent ainsi de charpenter les communautés adossées aux logiciels référencés, et d’assurer à ces derniers suffisamment de pérennité.

Pour autant, le SILL ne saurait à lui seul couvrir tous les enjeux du logiciel libre dans l’administration, au premier rang desquels l’appropriation par les différentes DSI des logiciels qu’il référence. Reconnaissons-le, l’impact de ce socle sur les acteurs du SI de l’Etat est difficile à objectiver. Seule certitude, sa pénétration n’augmentera que si l’on fournit aux informaticiens un réel accompagnement dans le déploiement de ces logiciels.

D’où le second défi, qui touche au partage de compétences. L’équipe de pilotage du SILL est d’ailleurs pleinement investie de cette problématique puisqu’elle publie désormais des guides d’accompagnement basés sur des retours d’expérience. Le premier concerne la migration vers le logiciel de gestion de bases de données Postgres. Suivront d’autres documents pratiques consacrés par exemple au serveur de fichiers Samba, ou aux outils de configuration et de virtualisation. Mais ces publications sont encore marginales.

Enfin, l’influence du SILL ne grandira que si les conditions d’utilisation des logiciels libres sont clairement définies. Conformément à la circulaire Ayrault, rappelons que loin d’une posture idéologique et partisane, le choix ou non d’une solution libre doit répondre à une série de critères objectifs. Des critères économiques (analyse des coûts complets du logiciel déployé), techniques (technologie, performance, sécurité, exploitabilité, maîtrise des compétences, expertise,…) et temporels (durée du projet et de son amortissement, obsolescence des technologies,…) ou encore des aspects de souveraineté nationale (typologie, pérennité et localisation de la communauté).

Centre d’expertise sans murs

Comment bâtir cette grille d’analyse ? Comment parvenir à une plus large diffusion des travaux interministériels ? Comment favoriser le partage d’expérience autour du libre ? Ces questions ne trouveront pas de réponse sans une nouvelle gouvernance interministérielle dédiée, dont l’organisation reste à définir. A l’image des communautés Open Source et du fonctionnement de certains laboratoires, cette structure pourrait prendre la forme d’un centre d’expertise sans murs : ses membres, disséminés sur l’ensemble des ministères, ne seraient déplacés ni physiquement, ni administrativement. Une telle coordination nationale serait dotée de moyens soutenus lui permettant de décliner une stratégie en actions.

Autre caractéristique de cette organisation : elle s’appuierait sur une force de travail capable de planifier et de lancer des actions ciblées dans des délais maîtrisés. Pour cela, les employeurs publics s’engageraient à ce que les agents contributeurs du libre puissent consacrer, sur une période donnée, une fraction significative de leur temps de travail à des travaux sur le logiciel libre.

La stratégie de l’Etat en matière de logiciel libre ne peut plus dépendre du bénévolat, de l’altruisme et des compétences d’un cercle restreint de passionnés. Certes, ces derniers continueront à jouer un rôle crucial dans les liens que l’administration tisse avec le monde du libre. De même, il est fondamental de préserver la logique communautaire Jacques Marzin 3qui conduit à la co-construction de logiciels. Reste que cette stratégie, pour être véritablement globale, doit être l’affaire de tous, et en particulier des DSI du secteur public.

Par Jacques Marzin, directeur de la Disic, Direction interministérielle des systèmes d’information et de communication, créée en février 2011. Et rattachée au Sécrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP).

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