Loi Création et Internet : le gouvernement entend passer en force

Le texte sera discuté au Sénat le 23 octobre, sans attendre la décision de la Commission européenne. L’UFC s’indigne

La riposte graduée et la lutte contre le piratage semblent être une priorité pour le gouvernement. Alors que le texte risque de ne pas passer le filtre européen, il sera bel et bien discuté au Sénat le 29 octobre prochain, avant d’être débattu à l’Assemblée nationale.

Le gouvernement entend faire vite et passer en force. Car en l’état, la loi est incompatible avec la réglementation européenne. En effet, à la première lecture du Paquet Telecom, le Parlement européen a voté l’amendement Bono-Cohn Bendit. Une motion visant à supprimer purement et simplement la méthode du texte de loi. L’amendement 138 énonce en effet qu’aucune restriction à la liberté d’expression et d’information d’un citoyen ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire. Ce que ne prévoit pas la loi française qui a opté pour une autorité administrative, seule capable de décider la coupure de l’accès Net aux pirates récidivistes…

En programmant le vote le 29 octobre, le gouvernement entre en conflit ouvert avec l’Europe. En effet, la Commission européenne doit rendre le 23 octobre son avis sur la compatibilité au droit communautaire de la riposte graduée. Que se passera-t-il si l’amendement est maintenu ? La loi française sera tout simplement illégale. Par ailleurs, un Etat membre ne peut légiférer sur un sujet en discussion au niveau européen. Reste que le texte doit être examiné deux fois par les députés et les sénateurs. A moins qu’une procédure d’urgence (une seule lecture par Chambre) ne soit décidée.

Rappelons que Nicolas Sarkozy avait fait pression sur la Commission pour retirer l’amendement du Paquet Telecom. En vain. Martin Selmayr, l’un des porte-parole de la Commission estimait que l' »amendement fixe des principes importants notamment en ce qui concerne les droits fondamentaux des citoyens. Il s’agit de trouver le juste équilibre entre le respect de la vie privée, de l’accès à l’information et les droits des auteurs« .

En tout cas, le passage du texte au Sénat provoque l’ire de l’UFC Que Choisir. Dans un communiqué, l’association de consommateurs s’indigne et a adressé une lettre ouverte au Président de la Commission européenne pour lui demander d’intervenir afin d’empêcher la France de légiférer.

Et d’expliquer : « N’attendant pas l’accord de Bruxelles, le gouvernement a inscrit hier, à la hussarde, le projet de loi Création et Internet à l’ordre jour du Sénat à partir du 29 octobre, alors même que le Parlement européen vient d’adopter dans le cadre du Paquet « Telecom », à une très large majorité, l’amendement n°138 condamnant le principe de la riposte graduée… Comme l’UFC-Que Choisir, les parlementaires européens jugent le dispositif contraire à toutes les garanties procédurales prévues au niveau européen à commencer par le procès équitable et le respect de la présomption d’innocence.

Non seulement liberticide, techniquement irréalisable, économiquement contre-productive, la riposte graduée est donc également contraire au droit communautaire.

Ce très net désaveu parlementaire européen s’oppose expressément à l’adoption du texte français.En effet, un Etat membre ne peut légiférer sur un sujet en discussion au niveau européen. (…) La discussion européenne est donc loin d’être close. Ce n’est pas parce qu’elle préside actuellement l’Union que la France peut imposer ses vues. Au contraire, en tant que telle, elle est tenue à un devoir de réserves. (…)

L’UFC-Que Choisir demande donc à la Commission européenne d’intervenir pour empêcher la France de passer en force et d’inviter la présidence à préférer au tout répressif du projet de loi, le juste équilibre entre rémunération des artistes et intérêt des consommateurs promu par l’Europe ».