Programmation militaire : le Parlement adopte l’extension de la surveillance électronique

Le projet de loi de programmation militaire 2014-2019 a été définitivement adopté en deuxième lecture au Sénat. L’amendement visant la suppression de l’article 13, vivement contesté par l’industrie numérique, a été rejeté. L’extension de l’accès administratif aux données de connexion en temps réel est donc entérinée. Le Conseil constitutionnel va-t-il être saisi ?

Défendu par  Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, le projet de loi de programmation militaire 2014-2019 a été définitivement adopté en deuxième lecture au Sénat mardi 10 décembre, par 164 voix pour, 146 contre, dans des termes identiques à ceux votés récemment par l’Assemblée nationale. Sans surprise, l’amendement déposé par des sénateurs du groupe EELV en faveur de la suppression de l’article 13 a été rejeté.

Au nom de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, l’élargissement de l’accès d’agents habilités de police et gendarmerie nationales aux données de connexion et de géolocalisation après conservation ou en temps réel, a donc bien été entériné. Et ce malgré l’avis défavorable du Conseil national du numérique et la ferme opposition de l’ensemble de la filière : des sociétés Internet aux opérateurs, en passant par les éditeurs de logiciels, les SSII, les organisations patronales et les associations de défense des libertés.

La filière numérique française monte au créneau

À l’heure où les révélations du lanceur d’alertes Edward Snowden sur la surveillance généralisée pratiquée par la NSA américaine font l’actualité, les acteurs du numérique craignent l’avènement d’un Prism « à la française ».

L’Afdel, qui représente les éditeurs de logiciels et sociétés de services Internet en France, dénonce la mise en place d’un « dispositif permanent de surveillance en temps réel » et s’inquiète, tout comme l’Association des services Internet communautaires (Asic), des risques de défiance vis-à-vis de l’économie numérique, du Cloud computing notamment.

La Fédération française des télécoms, qui défend les intérêts des opérateurs, et l’Interactive Advertising Bureau (IAB), qui regroupe régies publicitaires et annonceurs, estiment également que le texte constitue une menace pour la compétitivité numérique. De son côté, Syntec Numérique, syndicat des ESN, des éditeurs et des sociétés de conseil, a évoqué les possibles « vices d’inconstitutionnalité » d’un texte fusionnant « le régime de la perquisition de documents avec celui de l’accès aux données détenues par les fournisseurs d’accès ».

Une grave atteinte à la confiance

D’autres, dont Gilles Babinet, représentant de la France dans le cadre du programme européen des « Digital Champions », le groupe de réflexion Renaissance Numérique et la Fédération internationale des droits de l’Homme (Fidh) déplorent l’absence d’intervention du juge. La Quadrature du Net, organisation de défense des libertés citoyennes, parle de « démocrature ».

Instance consultative, le Conseil national du numérique estime inopportun l’introduction, « sans large débat public préalable », d’un tel dispositif. De son côté, la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) a déploré de ne pas avoir été saisie, en amont, des dispositions de l’article 13 du projet de loi de programmation militaire. Le Medef lui-même conteste dans un communiqué ces dispositions qui constituent, aux yeux de l’organisation patronale, « une grave atteinte à la confiance que l’ensemble des acteurs doivent avoir dans l’Internet ».

Les parlementaires appelés à saisir le Conseil constitutionnel

Le rapporteur du texte et président de la commission des lois du Sénat, Jean-Pierre Sueur (PS), a tenté de rassurer les critiques. La loi « accroît les garanties et contrôles en matière d’accès aux fadettes et opérations de géolocalisation », a-t-il affirmé, et la CNIL « sera forcément amenée à s’exprimer sur le décret qui devra permettre l’application du texte ».

La loi de programmation militaire prévoit au total 190 milliards d’euros de crédits sur la période 2014-2019, avec un budget annuel maintenu à 31,4 milliards d’euros jusqu’en 2016, à hauteur de 1,5% du PIB. Ainsi que la suppression de 34 000 postes, dont 7 881 dès 2014. La Défense française devrait compter 242 000 militaires et civils en 2019.

Opposés à ces réductions mais pas à l’article 13, le groupe UMP a voté contre ce texte. Les sénateurs socialistes et ceux du Rassemblement démocratique et social européen ont voté pour. Les communistes se sont abstenus et la majorité des écologistes a voté contre.

« En se focalisant sur la question des factures détaillées et de la géolocalisation, les sénateurs ont oublié que ce texte ne s’appliquait pas seulement aux opérateurs de télécommunications, mais bien à tous les intermédiaires de l’Internet », a déploré l’Asic. Avant d’ajouter : « En créant, pour les services de renseignement, un accès à toutes les données conservées par les hébergeurs et non plus aux seules données techniques, la France vient de fragiliser cette filière et de soulever de nombreuses interrogations en termes de protection des libertés. »

L’Asic, qui compte Dailymotion, Exalead, Google, Microsoft et Facebook parmi ses membres, appelle les députés et sénateurs à « saisir le Conseil constitutionnel » afin que celui-ci se penche sur la conformité de ce texte avec la loi fondamentale française.


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