Officiel: Alcatel et Lucent confirment la fusion

Une semaine après l’annonce des négociations, le mariage est officialisé. Il donnera naissance au numéro deux des équipementiers réseaux & télécoms. Des réductions d’effectifs sont déjà annoncées…

Les choses n’ont pas traîné. Une semaine après l’annonce de nouvelles discussions, Alcatel et Lucent ont officialisé ce dimanche 2 avril leur fusion. Ou plutôt le rachat de l’américain par le français…

Rappelons que les deux groupes avaient déjà envisagé un mariage en 2001, avant l’éclatement de la bulle télécoms. Mais les discussions avaient échoué, Lucent se montrant réticent à l’idée d’être repris par Alcatel, qui était intéressé, notamment, par son activité dans les fibres optiques. Ce rapprochement de taille donnera naissance au numéro deux mondial des fournisseurs d’infrastructures de télécommunications, derrière Cisco Systems et devant Ericsson-Marconi. Selon les termes de la transaction, la valorisation s’est faite au prix du cours de bourse actuel, c’est-à-dire sans prime payée aux actionnaires. Les actionnaires de Lucent recevront 0,1952 titre Alcatel American pour chaque action Lucent. Concrètement, Alcatel aura un poids supérieur à Lucent dans la nouvelle société, avec 60% du capital, contre 40% pour Lucent. Serge Tchuruk, actuel p-d d’Alcatel, restera président, mais non exécutif -jusqu’à son départ dans quelques mois. Patricia Russo, actuel p-dg de Lucent, deviendra directeur général de la nouvelle société. Elle a ainsi commenté l’accord: « La logique stratégique de cette transaction est incontestable. L’industrie des télécoms est au début d’une transformation majeure des réseaux, des applications et des services, qui devrait permettre d’offrir des services convergents pour les opérateurs et les entreprises, sur une gamme étendue de terminaux personnels. Elle représente des opportunités extraordinaires pour la société commune ». Le siège de la nouvelle entité sera à Paris. Un nouveau nom de société sera ultérieurement dévoilé. « Cette fusion est le rapprochement stratégique de deux leaders établis de l’industrie des télécoms, qui ensemble deviendront le leader mondial de la convergence. Le principal objectif de cette fusion est de générer une croissance significative des revenus et des résultats en tirant parti des opportunités de marché dans les réseaux, services et applications de nouvelle génération, tout en réalisant d’importantes synergies » a déclaré Serge Tchuruk. 21 milliards de dollars de revenus… Pour l’équipementier français, ce mariage lui ouvre, plus grandes, les portes du marché américain. La capitalisation boursière de Lucent-Alcatel serait de plus de 28 milliards d’euros (18,35 milliards pour Alcatel et environ 10 milliards pour Lucent) pour un chiffre d’affaires annuel consolidé de quelque 21 milliards d’euros. Cisco Systems, sur son dernier exercice fiscal, a enregistré un chiffre d’affaires de 20,04 milliards d’euros. …mais 9.000 postes menacés Alcatel et Lucent annoncent 1,4 milliard d’euros de synergies par an en année pleine au bout de trois ans. Ce qui devrait se traduire par la réduction d’environ 10% de l’effectif global qui était de 88.000 salariés au 31 décembre 2005. Soit la bagatelle de près de 9.000 postes. Concernant l’hypothèse d’une montée dans le capital de Thales, Alcatel souligne que la société commune restera « le partenaire industriel de Thales et un actionnaire clé aux côtés de l’Etat français ». « Le conseil d’administration d’Alcatel a émis un favorable à la poursuite des négociations avec Thales en vue d’un renforcement du partenariat actuel, qui se traduirait par l’apport de certains actifs et par une remontée au sein du capital de Thales », ajoute le communiqué. Le problème des retraites et de la défense Par ailleurs, une question épineuse va devoir être traitée sans tarder. Le principal syndicat des retraités de Lucent a commencé à jouer les ‘trouble-fête’. Ils ont estimé ce 31 mars que le gouvernement américain ne devrait pas approuver le projet de fusion avec le groupe français Alcatel s’il n’était pas assorti de garanties du maintien de leurs retraites. « Personne ne souhaite qu’une entreprise étrangère prenne le contrôle d’un fonds de pension de 34 milliards de dollars – soit plus de deux fois la valeur marchande de Lucent – à moins que des garanties soient mises en place pour protéger les retraites et la couverture médicale de ses 235.000 retraités, et des personnes à leur charge« , a déclaré Ken Raschke, président de l’Organisation des retraités de Lucent, dans un communiqué. Enfin, les politique américains s’inquiètent que les activités militaires de Lucent passent sous pavillon français. En effet, les laboratoires Bell de Lucent assurent des contrats de défense sensibles avec le gouvernement américain, qui devront faire l’objet d’un dispositif de protection particulier vis-à-vis des investisseurs étrangers, estiment des analystes. Alcatel – Lucent : logique industrielle globale

Entre ces deux mastodontes de l’industrie des télécoms, les rivalités se sont peu à peu émoussées notamment depuis l’éclatement de la bulle Internet et la mise en difficulté financière de tous les opérateurs télécoms ou presque, au tournant des années 2000-2002. En juin 2001, des discussions en vue d’un rapprochement avaient déjà été menées, mais sans lendemain -faute d’une entente sur la répartition des responsabilités entre français et américains, sur la l’implantation du siège social. En clair, Alcatel pesait déjà plus lourd mais la résistance était encore trop forte côté Amérique. Mais déjà à cette époque, l’affrontement n’était plus direct comme il a pu l’être dans les années 1980 et 1990. Alcatel reste, par exemple, le champion mondial inconstesté des accès ADSL, après avoir renoncé aux routeurs de réseaux de data (le domaine privilégié de Cisco Systems). Mais le groupe a continué de marquer des points dans les infrastructures de convergence fixe/mobiles, les réseaux de fibre optique, etc. « La force d’Alcatel, nous expliquait récemment Serge Dujardin, patron d’Alcatel Solutions Entreprise en France, c’est d’être resté un équipementier avant tout, qui travaille à 100% avec des partenaires, que ce soit des intégrateurs, installateurs ou -plus nouveau, et stratégique – des partenaires « applications » (cf. messagerie unifiée, ou le fonctions convergentes SIP entre fixe et mobiles, etc.). Pendant ce temps, Lucent Technologies s’est également réorienté stratégiquement vers les plates-formes de convergence des futurs réseaux, incluant la mobilité de 3è génération, et en visant d’abord les nouveaux services que commencent à offrir les opérateurs. Le géant américain avait sorti de son périmètre l’activité Entreprise pour donner naissance à Avaya. « Le groupe Lucent a fondamentalement changé. Depuis la crise 2001-2002, nous avons opéré une rupture dans notre stratégie, c’est vrai« , nous déclarait l’an passé, Pat Russo, président, au salon CeBIT de Hanovre. « Nous nous sommes recentrés sur le marché des services. C’est une décision que nous avons pleinement assumée, et qui nous a conduit à investir, par exemple, dans les métiers d’ingénierie« . Lucent apporte également dans la corbeille de la mariée ses relations tout sa R&D, issue des Bell Labs, les célèbres laboratoires issus du démantélement d’AT&T au milieu des années 80. Certaines recherches et applications sont liées au secteur sensible de la défense américaine. D’où les premières réserves émises à Washington. Il reste qu’une complémentarité plausible se dessine entre Alcatel et Lucent depuis moins de deux ans, avec une zone de recouvrement concurrentiel de leurs activités qui n’a cessé de diminuer. En face, c’est la position dominante de Cisco, loin devant Nokia ou Ericsson, qui les a tenus en haleine. Mathématiquement par addition de leur chiffre d’affaires, leur fusion ferait passer le nouveau groupe ainsi constitué au deuxième rang mondial des équipementiers réseaux avec 25,7 milliards d’euros (source: IDATE), devant Ericsson-Marconi à 20,8 milliards, mais derrière Cisco qui atteint 28,5 milliards avec Scientific Atlanta. « C’est une initiative plutôt positive, car elle répond à l’évolution du marché qui pousse les opérateurs à certaines consolidations. Il est logique que cela ait une répercussion chez les équipementiers« , nous a commenté Julien Salanave, responsable des études Equipements télécoms à l’IDATE. « Jusqu’ici, explique-t-il,on a vu, chez les fournisseurs d’équipements télécoms des acquisitions ciblées, visant à compléter leur offre: cas d’Ericsson et Marconi ou Cisco et Scientific Atlanta (pour son expertise en IPTV). Et nous avions prédit que le deuxième round verrait l’émergence de rapprochements d’égal à égal. Mais honnêtement, on n’imaginait pas que des discussions aussi avancées pourraient rapprocher si vite Alcatel et Lucent… Il est de notoriété publique que Siemens cherche aussi une issue pour sa division Equipements. » « Fondamentalement, cette possible fusion est également poussée par des perspectives de croissance ralentie du marché des équipements télécoms situées mondialement entre +3 et +5%, pas plus« .