L’ouverture ou la leçon d’innovation donnée par le monde du libre (tribune)

A quelques jours de l’ouverture du premier Paris Open Source Summit, Jean-Luc Beylat, président du pôle de compétitivité Systematic, se penche sur les enseignements du logiciel libre en matière d’innovation ouverte. Pour lui, une culture nouvelle qui colle bien à la réalité du monde d’aujourd’hui, où la vitesse prime sur tout le reste.

Mise à jour le 5 à 23h (version longue de la tribune)

Depuis près de 20 ans, le logiciel libre (l’Open Source) n’en finit pas de nous surprendre et de se développer. Il représentait en 2013 en France, une activité avec un chiffre d’affaires de près de 4 milliards d’euros, une croissance de plus de 50%, et pèse en Europe plus d’un quart du marché du logiciel. Ce développement spectaculaire, cette capacité à pénétrer tous les marchés, toutes les entreprises et même les secteurs historiquement fermés – tels que l’automobile ou l’aéronautique – méritent toutes les attentions. Ce résultat repose sur une leçon d’innovation ; l’usage sans complexe et dans toutes ces dimensions de l’innovation ouverte.

L’innovation ouverte, on y vient ! Le concept a été embarqué dans toutes les présentations corporate sans que l’on voit parfois de changements réels dans les pratiques. Pourtant ceux qui la pratiquent surperforment dans leurs marchés, créent des ruptures dans d’autres marchés, et parfois changent la hiérarchie des acteurs dans des secteurs établis.

L’innovation ouverte, c’est être connecté à un grand nombre de cerveaux, qui auront forcément analysé une partie de vos problèmes et les auront résolus. L’innovation ouverte, c’est travailler en réseau, partager, ne pas cacher sa copie, aller plus vite. Vous gagnez alors en agilité mais aussi en pertinence.

Mobile : le retour gagnant de Google

Le monde du logiciel libre explose parce qu’il a intégré tous les rouages de l’innovation ouverte, qu’il évolue plus vite que les modèles propriétaires : il est très vite adopté, il a très vite plus d’audience, de pertinence. C’est ainsi que l’on a vu les acteurs du logiciel libre envahir le monde du Cloud, offrant très rapidement des solutions de services avancés et dynamiques. Les exemples sont nombreux ! Google, absent dans un premier temps de la recherche sur mobile, a en lançant Android, complètement transformé le monde du mobile. Il a puisé sa force dans le monde du libre. La route continue pour lui avec les tablettes et, aujourd’hui, l’Internet des objets.

L’informatique d’entreprise, elle, commence sa mutation avec les conteneurs (Docker et son écosystème) et les outils pour le DevOps, bouleversement amplifié par les outils d’orchestration dans le Cloud (Mesos, Kubernetes…). Les architectures logicielles distribuées deviennent la norme et on parle de « Software defined everything » un peu partout maintenant et pas seulement au sein du monde de l’informatique et des télécommunications, toujours porté par les acteurs du logiciel libre.

La mainmise sur le Big Data

Cette effervescence est amplifiée par un regain d’attention pour les langages de programmation « Open Source » (Ruts, Go, Clojure, D, Nim, Scala…) et une nouvelle curiosité pour les plus anciens (OCaml, Python, Ruby…) afin d’aborder les challenges de la programmation fonctionnelle ou distribuée. C’est aussi le cas pour les technologies pures Web aussi bien dans le monde mobile que fixe (React Native, Javascript..). Enfin, et c’est là que les choses prennent une ampleur irréversible, l’Open Source est archi-dominant dans le Big Data et le Machine Learning (Hadoop, Spark, Scikit-Learn…).

En moins de 10 ans, le monde du logiciel libre a démontré toute la force de l’innovation ouverte. Il ne faut pas regarder l’innovation ouverte avec condescendance ou amusement, en pensant qu’il s’agit d’une mode, que l’on reviendra vite sur des pratiques de R&D plus conventionnelles. La transformation est radicale parce que l’époque l’est.

Quel est notre monde aujourd’hui ? Un monde en métamorphose. Tout change très vite ; la démographie, l’accès au savoir, la gestion des ressources, le climat, la ville, l’urbanisation, la durée des cycles technologiques, l’espérance de vie croissante de l’homme, l’impact des mondes virtuels, la transformation des pouvoirs, la démocratie ascendante, les métiers, le lien au savoir, l’éducation, la santé, les énergies, les entreprises, les hiérarchies dans les entreprises.

L’innovation ouverte, une culture

Cette métamorphose, on ne sait pas encore la lire, la comprendre. Mais elle est redoutable, elle change tous nos repères. Elle accompagne l’émergence d’une grande classe moyenne mondiale à un moment où la planète montre ses limites et dit stop.

Dans cette métamorphose, il n’y a pas de statu quo, pas de position de repli. Celui qui n’accompagne pas ces transformations, qui n’innove pas, disparaitra. C’est pourquoi, l’innovation doit être au cœur de toutes les entreprises, de toutes les politiques publiques de développement économique. Et c’est aussi pourquoi, l’innovation ouverte n’est pas une mode mais une culture, un état d’esprit qui enrichit ceux qui changent le monde, ceux qui ont compris l’ampleur de cette métamorphose.

S’ouvrir à la communauté du logiciel libre, c’est participer à cette effervescence de l’accélération des savoirs et des compétences qui redéfinissent les métiers, les outils et les pratiques utiles à l’innovation. Cette innovation qui façonne le XXI siècle.

BeylatPar Jean-Luc Beylat, président d’Alcatel-Lucent Bell Labs France et président du pôle de compétitivité Systematic Paris–Region (plus de 2,5 Mds€ investis en recherche et développement). Jean-Luc Beylat a été élu le 16 décembre 2013, président d’Association Française des Pôles de Compétitivité. Il a co-présidé, avec Pierre Tambourin, le rapport intitulé « L’innovation : un enjeu majeur pour la France », rendu au gouvernement en avril 2013.

Jean-Luc Beylat préside également le Paris Open Source Summit, premier grand événement consacré au numérique ouvert organisé par le pôle Systematic Paris-Region. Rendez-vous les 18 et 19 novembre aux Docks de Pullman.

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