Plan Très Haut Débit : 15 milliards d’euros de plus et pas avant 2030

Dans un rapport, la Cour des comptes pointe le retard de la France en matière de déploiement du très haut débit dont les coûts pourraient exploser à 35 milliards d’euros.

Voilà un rapport qui pourrait conforter le régulateur dans sa volonté d’accélérer les investissements dans le déploiement de la fibre en France. La Cour des comptes vient de livrer son « premier bilan » (de 196 pages au format PDF) sur l’état des réseaux fixes de haut et très haut débit en France. Et, plus de trois ans après le lancement du plan France Très haut débit qui vise à connecter 100% des 35 millions de foyers et locaux professionnels en THD, dont 80% en fibre optique à domicile (FTTH), le bilan n’est guère réjouissant. Voire même inquiétant.

15 milliards de plus que prévus

Sur la question de la couverture d’abord. Si le gouvernement s’est récemment félicité d’avoir respecté son calendrier de couverture du territoire avec 50% de la population couverte début 2017, « l’insuffisance du co-investissement privé compromet l’atteinte de l’objectif de 100 % en 2022 » estiment les sages de la rue Cambon à Paris. En regard de la situation, ils misent plutôt sur 2030. Ensuite, le coût total du plan aurait été largement sous-estimé. Initialement évalué à 20 milliards d’euros, les juridictions financières consultées ont recalculé les besoins à 34,9 milliards le coût total. Un sacré écart qui s’explique par la réalisation en premier des opérations les plus faciles et le manque de co-investissement privé dans les zones d’initiatives publiques (faute de rentabilité immédiate des réseaux publics).

Les orientations stratégiques des politiques gouvernementales successives expliquent en partie la situation qui place aujourd’hui la France au 26e rang des 28 pays de l’Union européenne en matière d’accès au très haut débit. Fort d’une infrastructure cuivre de bonne qualité, le pays a tardé à prendre le virage du très haut débit (THD). Par ailleurs, de fortes disparités demeurent dans la qualité des lignes. Si 13,2% des foyers bénéficient en France d’un débit supérieur à 20 Mbit/s, 20% surfent à moins de 2 Mbit/s. De plus, le choix de privilégier la fibre optique au détriment d’autres technologies plus rapides à déployer, comme la montée en débit cuivre, retarde d’autant sa disponibilité. « La France accuse un retard important dans le déploiement du très haut débit en raison de ses caractéristiques géographiques et d’une moindre réutilisation des infrastructures existantes », résume le rapport. Même si ses auteurs reconnaissent en la fibre « la technologie la plus performante ». Mais son déploiement sur les derniers mètres (entre le réseau de l’opérateur dans la rue et le point d’arrivée de l’immeuble ou du pavillon) « constitue une question majeure en raison des coûts d’établissement dans les zones à habitat dispersé ». Coût qui peut s’élever jusqu’à 50 euros par mètre de câble selon les différents travaux de génie civil à réaliser.

La fibre victime d’une usine à gaz

Mais au-delà des choix technologiques, la structure même de l’organisation n’est pas de nature à faciliter le déploiement du réseau fixe de communication de nouvelle génération. « Le pilotage du programme au niveau national présente des déficiences et [il] existe des lacunes manifestes dans l’organisation de la construction et de l’exploitation des infrastructures de réseaux, martèle la Cour des comptes. Les procédures d’attribution des subventions de l’État sont lourdes et complexes, alors même que les équipes des administrations centrales sont éparpillées et faiblement dotées. » Bref, l’arrivée du THD est victime d’une usine à gaz. Rappelons que le financement du plan France THD se répartit entre les opérateurs privés à hauteur de 6 à 7 milliards d’euros et les collectivités locales pour 13 milliards, soutenues par l’Etat pour 3 milliards. Un autre plan câble en perspective ?

Pour tenter de corriger cette situation, la Cour émet 11 recommandations. La première d’entre elle est, à l’image des autres pays européens, d’amplifier l’usage des technologies alternatives à la fibre, à travers le câble et la montée en débit cuivre, ou encore la couverture mobile à usage fixe comme le propose Bouygues Telecom avec sa 4G box (tandis que la « 4G Home » d’Orange se fait attendre). Notons néanmoins que si le satellite très haut débit « ne sera disponible qu’à horizon 2020 » des opérateurs proposent aujourd’hui des offres triple play jusqu’à 22 Mbit/s en réception pour des tarifs proches de ceux de l’ADSL. Pour les sages, un « bon » haut débit (de l’ordre de 10 Mbit/s) répond largement à l’essentiel des besoins résidentiels que sont la télévision haute définition par Internet et les démarches administratives en ligne qui « n’exigent pas de connexion à très haut débit à domicile ».

10 Mbit/s pour les particulier, du symétrique garanti pour les entreprises

On n’en prend pourtant pas le chemin. En début d’année, l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) a évoqué des mesures pour mieux encadrer la fibre d’Orange afin de stimuler l’investissement dans le très haut débit. L’Autorité propose même de suspendre le levier tarifaire d’accès à la boucle locale cuivre visant à pousser au basculement sur la fibre selon les efforts de les opérateurs montreront pour accélérer le déploiement du THD.

Concernant le cas des entreprises, la Cour note que « situation est différente car elles ont besoin du débit symétrique ». Caractéristique que la fibre est en mesure d’apporter, à condition de garantir une continuité de service. « Or, les réseaux de fibre optique jusqu’à l’abonné n’ont pas été conçus pour répondre à l’ensemble de ces besoins, considère le rapport. Il est donc nécessaire que le Gouvernement et le régulateur engagent des actions destinées à faciliter l’accès des petites et moyennes entreprises à des offres plus compétitives revues dans leur contenu et leur tarification. » Un point sur lequel l’Arcep travaille aussi.


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crédit photo : Cour des comptes