Les primes de l’opération Sentinelle prises en otage par le multi-récidiviste Louvois

Le Président Hollande a promis une prime spécifique aux 10 000 militaires de l’opération Sentinelle. Mais le calculateur de la solde, Louvois, n’est pas encore parvenu à verser le moindre centime…

Source Solde et vite. C’est en somme le message qui émane des débats de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, lors de l’examen de la loi de finances 2017. Rappelons que Source Solde, l’outil censé gérer la solde de 180 000 militaires (soit une masse salariale de plus de 11 Md€ à l’année), doit venir remplacer le calamiteux Louvois, progiciel mis en place en 2011 et qui n’a cessé depuis de générer de multiples erreurs.

Et ça urge, comme l’avait souligné un rapport de la Cour des comptes en début d’année, rapport qui montrait que l’incapacité à réparer Louvois avait conduit la Défense à pérenniser les coûteux dispositifs d’urgence destinés à vérifier et corriger la solde. Mais Louvois fait aussi peser des risques sur l’application de toute modification législative ou sur toute opération menée par l’armée française. Exemple avec Sentinelle, l’opération décidée après les attentats de janvier 2015 et impliquant la protection des points sensibles du territoire par 10 000 hommes.

Louvois prêt… « à la rentrée 2017 » !

Un dispositif pour lequel les personnels impliqués sont censés recevoir des indemnités. Sauf qu’évidemment Louvois est passé par là. « Le retard pris dans le paiement de la prime Sentinelle, promise à 10 000 militaires par le Président de la République en janvier 2016, est préoccupant. Cette prime doit être versée rétroactivement depuis le 1er janvier 2015, or elle vient seulement d’être intégrée dans le logiciel Louvois, dont on connaît les dysfonctionnements. Les intéressés recevront le montant à la rentrée 2017. Cela représente tout de même quelques dizaines de millions d’euros », résume le sénateur LR Jacques Gautier.

Gilbert Roger, un sénateur PS, confirme que cette prime (entre 1 000 et 2 000 euros par mois selon les estimations officielles) n’a pas encore été versée. « Lors de ma visite au centre de recrutement des armées à Vincennes la semaine dernière, on m’a dit que la prime des soldats de l’opération Sentinelle serait distribuée manuellement, tant le retard est important », précise ce sénateur vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

Source Solde : fin des déploiements en 2019 ?

A ces difficultés, s’ajoute la perspective du prélèvement de l’impôt à la source, qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2018 selon le calendrier actuel. Un timing qui a franchement de quoi faire tousser au ministère de la Défense puisque la réforme devra être à la fois digérée par Louvois – ce qui s’annonce des plus complexes quand on voit la difficulté de ce calculateur de paie à intégrer une simple prime – et prise en compte par le projet Source Solde. Faisant peser un risque supplémentaire sur ce projet, qui vient de connaître un premier dérapage calendaire de 8 mois (la durée totale passant de 60 à 68 mois). « Or chaque mois compte : il n’est pas acceptable que les militaires ne perçoivent les indemnités liées à leur participation aux opérations extérieures (OPEX) ou à Sentinelle avec plusieurs mois, voire plus d’une année de retard », s’énerve Dominique de Legge, sénateur LR et rapporteur spécial de la mission Défense. Qui signale par ailleurs que Louvois devra aussi encaisser en 2017 la mise en œuvre du protocole Parcours professionnels, carrières et rémunérations (ou PPCR, relatif à la modernisation des parcours dans la fonction publique) et la création d’une nouvelle indemnité.

Le calendrier de Source Solde prévoit des déploiements étalés entre 2017 (avec la marine pour éclaireur) et décembre 2019 (sachant que Louvois ne serait débranché qu’en 2021 pour assurer les régularisations issues de ses erreurs passées). Un calendrier qu’en début d’année, la Cour des comptes jugeait très ambitieux, compte tenu du contexte difficile de ce projet, un contexte qui a coulé Louvois. Dans le viseur de la rue Cambon notamment, la complexité des règles de gestion en raison de la multiplicité des primes. Or, comme le confirme l’amiral Christophe Prazuck entendu au Sénat, en la matière, rien n’a changé. « Il existe plus de cent soixante-dix primes. Cela n’a pas été simplifié. C’est un chantier sur lequel on n’a pour l’instant pas réussi à converger. Je pense qu’il s’agira d’un chantier important qui, de fait, ne sera conduit qu’après Source Solde », dit l’officier. Qui, au passage, ne se privé pas de chambrer un peu les informaticiens et prestataires impliqués sur Louvois et Source Solde : « le précédent logiciel de paye de la marine, Solde 68, qui a été inventé en 1968, comme son nom l’indique, fonctionnait très bien. Pourtant, le nombre de primes était alors identique ». Le tout sur la base de… cartes mécanographiques.

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Photo credit: Serge klk via VisualHunt / CC BY-NC-ND