Projet fusion Alcatel – Lucent : une logique industrielle globale

Le fait est que ce projet de fusion, s’il n’est pas bloqué ou rogné par les autorités de la libre-concurrence ou les petits actionnaires, n’a rien d’une aberration économique. Après la crise des télécoms du début du siècle, les deux groupes ont été forcés de se réorganiser et de réajuster leur stratégie en évitant de trop s’affronter sur le terrain face à… Cisco et LM Ericsson

Entre ces deux mastodontes de l’industrie des télécoms, les rivalités se sont un peu émoussées notamment depuis l’éclatement de la bulle Internet et la mise en difficulté financière de tous les opérateurs télécoms ou presque, au tournant des années 2000-2002. En juin 2001, des discussions en vue d’un rapprochement avaient déjà été menées, mais sans lendemain. L’affrontement n’est plus frontal comme il a pu l’être dans les années 1980 et 1990.

Alcatel reste , par exemple, le champion mondial inconstesté des accès ADSL, après avoir renoncé aux routeurs de réseaux de data (le domaine privilégié de Cisco Systems). Mais le groupe a continué de marqué des points dans les infrastructures de convergence fixe/mobiles, les réseaux de fibre optique, etc. « La force d’Alcatel, nous expliquait récemment Serge Dujardin, patron d’Alcatel Solutions Entreprise en France, c’est d’être resté un équipementier avant tout, qui travaille à 100% avec des partenaires, que ce soit des intégrateurs, installateurs ou -plus nouveau, et stratégique – des partenaires « applications » (cf. messagerie unifiée, ou le fonctions convergentes SIP entre fixe et mobiles, etc.). Pendant ce temps, Lucent Technologies s’est également réorienté stratégiquement vers les plates-formes de convergence des futurs réseaux, incluant la mobilité de 3è génération, et en visant d’abord les nouveaux services que commencent à offrir les opérateurs. Le géant américain avait sorti de son périmètre l’activité Entreprise pour donner naissance à Avaya. « Le groupe Lucent a fondamentalement changé. Depuis la crise 2001-2002, nous avons opéré une rupture dans notre stratégie, c’est vrai« , nous déclarait l’an passé, Pat Russo, président, au salon CeBIT de Hanovre. « Nous nous sommes recentrés sur le marché des services. C’est une décision que nous avons pleinement assumée, et qui nous a conduit à investir, par exemple, dans les métiers d’ingénierie« . Une complémentarité plausible se dessine donc entre les deux géants depuis moins de deux ans, avec une zone de recouvrement concurrentiel de leurs activités qui n’a cessé de diminuer. En face, c’est la position dominante de Cisco, loin devant Nokia ou Ericsson, qui les a tenus en haleine. Mathématiquement par addition de leur chiffre d’affaires, leur fusion ferait passer le nouveau groupe ainsi constitué au deuxième rang mondial des équipementiers réseaux avec 25,7 milliards d’euros (source: IDATE), devant Ericsson-Marconi à 20,8 milliards, mais derrière Cisco qui atteint 28,5 milliards avec Scientific Atlanta. « C’est une initiative plutôt positive, car elle répond à l’évolution du marché qui pousse les opérateurs à certaines consolidations. Il est logique que cela ait une répercussion chez les équipementiers« , nous a commenté Julien Salanave, responsable des études Equipements télécoms à l’IDATE. « Jusqu’ici, explique-t-il,on a vu, chez les fournisseurs d’équipements télécoms des acquisitions ciblées, visant à compléter leur offre: cas d’Ericsson et Marconi ou Cisco et Scientific Atlanta (pour son expertise en IPTV). Et nous avions prédit que le deuxième round verrait l’émergence de rapprochements d’égal à égal. Mais honnêtement, on n’imaginait pas que des discussions aussi avancées pourraient rapprocher si vite Alcatel et Lucent… Il est de notoriété publique que Siemens cherche aussi une issue pour sa division Equipements. » « Fondamentalement, cette possible fusion est également poussée par des perspectives de croissance ralentie du marché des équipements télécoms situées mondialement entre +3 et +5%, pas plus« . _ _ _ _ IDATE: Top dix des équipementiers télécoms dans le monde Chiffre d’affaires infrastructure en 2005 (pro-forma) (en milliards de dollars) Cisco Systems/ Scientific Atlanta* 28.5 Alcatel/Lucent 25.7 Ericsson/Marconi* 20.8 Siemens 15.5 Nortel* 10.9 NEC* 8.1 Motorola 8.1 Nokia 7.9 Huawei* 5.7 Fujitsu* 3.9 * évaluation IDATE (04/2006) —- NB:Lire par ailleurs l’article Bourse: accueil favorable (vendr. 24 mars 2006) _ _ _ _ Qui en prendrait la présidence: Pat Russo ou Mike Quigley ?

Du côté des Etats-Unis, on soutient que le dirigeant de la future entité à naître dans les prochains mois serait Patricia Russo soi-même. De ce côté-ci de l’Atlantique, où l’on sait que le départ de Serge Tchuruk est, depuis plus d’un an, programmé pour 2008, on cite Mike Quigley nommé en avril 2005, au poste de directeur général adjoint du groupe, « president & COO ». Celui-ci n’est pas illégitime: il a débuté sa carrière en 1971 chez ITT Australia , au moment où il achevait sa formation. Ce n’est pas un homme d’appareil, mais un homme de terrain, industriel -un australien de souche britannique. Il a consacré 10 ans de sa carrière à la recherche et au développement. Dans les années 80, il a évolué vers des postes de direction du marketing et des ventes. Au moment où ITT Australia a été racheté par Alcatel, il a été impliqué dans le développement ou la commercialisation de tous les produits ou presque d’Alcatel, depuis les terminaux, les réseaux jusqu’aux systèmes optiques des câblages sous-marins. En 1996, il avait été nommé directeur général d’Alcatel en Australie et Nouvelle Zélande, puis CEO d’Alcatel Etats-Unis, puis président d’Alcatel Amérique du Nord. Cette question épineuse de la présidence pourrait être élégamment résolue ultérieurement par une co-présidence ou une présidente et un vice-président exécutif…ou l’inverse -en attendant 2008? Car Pat Russo cumule les fonctions de président du conseil d’administration (‘chairman’) et de directeur général exécutif de Lucent. —- A lire par ailleurs Serge Tchuruk en poste jusqu’en 2008 (20 mai 2005)