Loi sur le renseignement : des hébergeurs français menacent de s’exiler

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OVH, Gandi, Online, Ikoula, Lomaco, IDS, NBS System et l’Afhads dénoncent un texte qui n’atteindra pas son objectif, mettra les Français sous surveillance et détruira un pan de l’activité économique du pays.

Après de nombreuses associations de défense des libertés individuelles et organisations professionnelles, des hébergeurs français viennent gonfler les rangs des opposants au projet de loi relatif au renseignement. Une première car ce marché n’est pas structuré en syndicat, comme le rappelait Jules-Henri Gavetti PDG d’Ikoula dans une vidéo. Vivement décrié, ce texte défendu par le Premier ministre étend les interceptions administratives et prévoit l’installation de boîtiers de détection (les « boîtes noires ») sur les réseaux des opérateurs, FAI et fournisseurs de services.

OVH, Gandi, Online, Ikoula, Lomaco, IDS, NBS System et l’Association française des hébergeurs agréés de données de santé à caractère personnel (Afhads) s’opposent à l’adoption de ce texte jugé « liberticide, anti-économique, et pour l’essentiel, inefficace par rapport à son objectif », soit la lutte contre le terrorisme. Le projet, qui fait l’objet d’une procédure accélérée, « les contraindrait à l’exil », alertent-ils.

Non aux « boîtes noires » d’interception

« Il faut doter la France des moyens de renseignent nécessaires pour lutter contre le terrorisme. Il n’y a aucun débat là-dessus », déclare le groupement d’hébergeurs dans un communiqué daté du 9 avril. Mais « imposer aux hébergeurs français d’accepter une captation en temps réel des données de connexion et la mise en place de ‘boîtes noires’ aux contours flous dans leurs infrastructures, c’est donner aux services de renseignement français un accès et une visibilité sur toutes les données transitant sur les réseaux », préviennent-ils. Or, « cet accès illimité insinuera le doute auprès des clients des hébergeurs sur l’utilisation de ces ‘boîtes noires’ et la protection de leurs données personnelles. »

En outre, ces mesures « feraient entrer la France dans une surveillance de masse telle que nous ne l’avons jamais connue. Nous ne voyons pas comment une commission consultative de 9 membres [ndlr : la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ou CNCTR prévue par le texte de loi] pouvant décider avec la présence de quatre d’entre eux, peut nous rassurer sur ce point. »

Une « pêche au chalut », faute de harpons

Les hébergeurs doutent aussi de l’efficacité des « boîtes noires ». Selon eux, les organisations terroristes structurées sauront y échapper et les « loups solitaires » seront noyés dans la masse des informations collectées. Surtout, « les moyens techniques et financiers des services français ne sont pas proportionnés pour traiter la masse totale des données » résultant de cette « pêche au chalut ».

« Nous ne sommes pas les États-Unis, nous n’avons pas de NSA, dont les activités de surveillance opaques ont poussé nombre d’entreprises et de particuliers du monde entier à devenir clients de la France », poursuivent-ils, oubliant au passage la plainte déposée fin décembre à Paris par deux ONG à l’encontre de responsables français des services de renseignement

Pas de French Tech sans hébergeurs

OVH, Gandi, Online et consorts rappellent, enfin, qu’ils sont des acteurs majeurs de l’économie numérique du pays. Ils déclarent créer des milliers d’emplois directs et indirects, induits par le Cloud Computing, le Big Data, les objets connectés ou la ville intelligente, et investir des millions d’euros chaque année en France. Forts d’une  croissance annuelle affichée de 30%, ils réalisent 30 à 40% de leur chiffre d’affaires auprès d’une clientèle internationale.

« Ces clients viennent parce qu’il n’y a pas de Patriot Act en France, que la protection des données des entreprises et des personnes est considérée comme importante. Si cela n’est plus le cas demain en raison de ces fameuses ‘boîtes noires’, il leur faudra entre 10 minutes et quelques jours pour quitter leur hébergeur français. Pour nous le résultat est sans appel : nous devrons déménager nos infrastructures, nos investissements et nos salariés là où nos clients voudront travailler avec nous », menacent les hébergeurs.

Ils demandent donc au Premier ministre, Manuel Valls, et aux parlementaires appelés à examiner le projet de loi sur le renseignement, d’abandonner le texte en l’état.

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