Quand le web ridiculise Berlusconi

45 000 euros d’amendes pour les éditeurs italiens qui publient des écoutes téléphoniques. Mais la mobilisation d’Internautes en Italie et à l’étranger ridiculise la nouvelle loi « bâillon ».

« Ce qui se passe en Italie concerne le monde entier », alerte Concita de Gregorio, directrice du quotidien l’Unità (28/05). Reporter sans frontières (RSF) est du même avis. Le 10 juin, la loi dite « bâillon » par ses opposants, a été adoptée par le Sénat italien. Elle doit encore être présentée à la chambre des députés. Le texte limite drastiquement l’utilisation des écoutes téléphoniques par les juges qui s’en servent beaucoup, notamment dans la lutte contre la mafia. Et elle interdit la publication de ces informations par la presse. Peine encourue par les éditeurs récalcitrants : 45 000 euros d’amende.

Mais, à l’heure de l’Internet, cela ressemble fort à une ligne Maginot. RSF a promis, si la loi devait être votée définitivement, « d’ouvrir sa propre plateforme blog (basée en France) à la publication de ces documents et de ces écoutes téléphoniques qui seront considérés hors la loi en Italie », explique Domenico Affinito, vice président de RSF Italie. Autre refuge possible : le site Wikileaks, qui s’est fait une spécialité de diffuser des documents sensibles, comme des fuites du Pentagone.

Emigration italienne sur la toile

Les opposants à la loi utilisent Internet pour préserver des espaces de liberté d’expression. Italia dei Valori, parti politique fondé par l’ex juge Antonio di Pietro, a déposé plusieurs noms de domaines à l’étranger. Et Aliberti, un éditeur spécialisé dans les enquêtes, a également annoncé l’ouverture prochaine d’un blog, projet « imposé (…) par les exigences proprement italiennes (les menaces de la loi bâillon) ». Car pour l’instant, rien n’empêche les sites internet italiens de faire des liens vers des sites hébergés à l’étranger par des éditeurs ou des individus non soumis au droit italien , rappelle le quotidien Il Fatto Quotidiano (01/06), qui a fait plancher des juristes. Seule parade pour les censeurs : rendre impossible l’accès aux sites concernés. Mais cette mesure ne peut être théoriquement prise que pour les contenus pédopornographiques ou les jeux de hasard.

Bâillons virtuels

Pour l’instant. Car le gouvernement italien a déjà, tenté à plusieurs reprises, de brider la liberté d’expression sur le Net. En 2009, surfant sur l’agression du chef de l’Etat par un déséquilibré, à Milan, le gouvernement a tenté d’imposer un amendement qui obligerait les fournisseurs d’accès à filtrer et repérer les éventuels appels ou apologie de la violence. Cette année, un autre projet de décret prévoyait d’obliger les sites de diffusion de vidéos à obtenir une licence officielle. Et le dernier texte voté par le sénat n’oublie pas les sites internet : il leur impose l‘obligation de publier des « rectificatifs », des informations publiées, en cas de réclamation (comme pour la presse). Autrement, c’est 12 500 euros d’amendes. De quoi faire taire les bloggeurs irrévérencieux.

Rendez vous avec un million de manifestants ?

Ces derniers se mobilisent sur Internet, mais l’opposition qui se manifeste et s’organise sur la toile dépasse très largement le milieu technophile. La pétition contre la loi « bâillon », mise en ligne par le journal La Repubblica, a été signée par plus de 200 000 personnes. On ne compte plus le nombre de pages Facebook consacrées au sujet. Et une manifestation s’organise pour protester contre le projet de loi, le 1er juillet prochain, à Rome. A la base : la fédération nationale de la presse, et divers mouvements parmi lesquels le « popolo viola », un réseau né dans la société civile, qui se coordonne sur la toile. En décembre dernier, ce mouvement avait réuni un million de personnes, à Rome, pour exiger les démissions du chef de l’Etat. Reste que si l’Internet permettra de contourner le « bâillon » imposé aux médias par la loi, les limitations qu’elle impose aux juges attente au fonctionnement de la justice, ont clairement démontré les opposants à la loi.

Youtube en première ligne Sur le site de vidéo Youtube, on trouve de nombreuses écoutes téléphoniques interceptées par les juges, mais également les roucoulements échangés en 2009 par Silvio Berlusconi, président du conseil, et sa prostituée de haut vol favorite du moment, Patrizia D’Allario, enregistrés par cette dernière. La nouvelle loi votée par le Sénat interdit également ce type d’enregistrements effectués par un particulier, à l’insu des personnes concernées, ainsi que leur diffusion.