Raz-de-marée en Asie: pouvait-on donner l’alerte?

Les scientifiques feront-ils mieux la prochaine fois?
Les sismologues à l’écoute des pulsations de la planète ont tous enregistré la forte amplitude du tremblement de terre sous l’Océan Indien. L’alerte pouvait-elle être transmise à temps?

Faut-il mettre en cause l’inertie des administrations et la lenteur des relations diplomatiques, agravées par des lacunes en télécommunications? Le fait est qu’il n’a pas été possible d’alerter les populations… Le terrible raz-de-marée ou « tsunami », qui a frappé une dizaine d’Etats de l’Océan indien, soulève maintes questions sur les possibilités de prévention et d’alerte. Il en sera question lors d’une conférence internationale sur les catastrophes naturelles, qui se tiendra du 18 au 22 janvier à Kobé (Japon) à l’occasion du neuvième anniversaire du tremblement de terre qui a dévasté cette ville, il y a quelques années.  »

Il faut aider ces pays à constituer un réseau d’alerte aux séismes et aux raz-de-marée comme celui qui existe déjà dans le Pacifique« , affirme le directeur « Climat » de Greenpeace International, Steve Sawyer. Mais il faut aussi « réglementer la construction dans les régions côtières » où alternent souvent aujourd’hui « baraquements des villageois locaux et hôtels » pour le tourisme. « Des centaines de millions d’euros vont être investis pour reconstruire du tourisme de masse« , observait Yves Contassot, élu parisien et porte-parole des Verts. « Sur cette somme on peut se demander quelle partie va être strictement réservée à la prévention, aux systèmes d’alerte et systèmes d’information de la population« . Un ‘tac, tac, tac’ très sonore… Bayu Pranata, sismologue à l’Agence de météorologie et de géophysique de Sumatra Ouest, venait de prendre son poste à 7 heures du matin, quand il perçut un « tac, tac, tac » très sonore – rapporte le Wall Street Journal. Au point qu’il crut d’abord à un moteur qui démarrait dans le local à côté, avant de réaliser que c’était le stylet de son sismographe qui donnait l’alarme. Il se précipita pour appeler le centre national des tremblements de terre à Jakarta mais il essaya durant une heure d’entrer en contact avec cette administration. En vain. Au même moment, à Nagano, au Japon, un ‘bip’ alertait Masashi Kobayashi, au sein du principal observatoire des séismes au Japon, qu’un gigantesque tremblement de terre venait de se produire quelque part en Asie. En quelques minutes, il a contacté les autorités compétentes. Le système d’alerte japonais s’est mis en branle aussitôt: un logiciel, comparant les données recueillies à 100.000 autres déjà stockées en « patterns » (modèles) a alors conclu qu’il n’y avait pas de danger immédiat de ‘tsunami’ pour le Japon. Et on en est resté là… En Australie, le fonctionnaire de service à l’agence ‘Geoscience’ de Canberra est revenu à son bureau après avoir reçu une alerte d’un ordinateur sur un fort séisme sous-marin. Il détermina qu’il allait vraisemblablement provoquer un ‘tsunami’ et, dans la demi-heure, il envoya une alerte au système national des secours d’Australie et au ministère des Affaires étrangères, qui en fit part à quelques ambassades. Aucun message n’a été délivré aux gouvernements étrangers en direct, par crainte de court-circuiter les instances diplomatiques, semble-t-il. Alors, tandis que ces informations transitaient péniblement à travers l’Océan Indien, deux vagues gigantesques sont venues déferler et tuer des populations totalement prises au dépourvu. Le bilan, à ce jour, a déjà dépassé les 80.000 victimes. ( A suivre ) La technologie est-elle prise en défaut?

Les sismographes ont bien donné l’alerte. Ceux qui ont lu et décrypté les données n’ont pas pu ou pas su lire que l’intensité était phénoménale: plus de 9 sur l’échelle de Richter, soit 500 fois plus forte que celle des précédents tremblements de terre au cours des deux ou trois décennies écoulées. Or, constate Le Monde, une première alerte aurait pu être lancée le 23 décembre, soit 4 jours auparavant: l’US Geological Survey (USGS, qui dispose d’un centre d’alerte aux ‘tsunamis’ à Hawaï) avait détecté un séisme de magnitude 8,1 au Nord de l’île Macquarie (Australie) à l’extrémité Sud de la plaque indo-australienne. Or, il n’a pas provoqué de tsunami visible. Les relevés sont très précis: le séisme sous-marin de Sumatra a été enregistré à 0h58 minutes et 50 secondes (temps universel, soit 7h58 heure locale). Puis ont suivi, dans les 24 heures, une trentaine de séismes tous supérieurs à 5 dans l’échelle de Richter. Le problème est qu’à la différence de l’océan Pacifique, l’océan Indien est dépourvu de systèmes de surveillance des ‘tsunamis’. Le dispositif d’alerte des raz-de-marée s’appuie sur des capteurs posés sur les fonds marins, mesurant les changements de pression, et reliés à des bouées dotées d’émetteurs, et balisées par GPS. Les japonais ont, les premiers, réagi et annoncé qu’ils allaient installer dès mars 2005 un centre d’alerte aux ‘tsunamis’, baptisé provisoirement Northwest Pacific Tsunami Information Center, et destiné à alerter en priorité l’Indonésie, la Chine, la Papouasie-Nouvelle Guinée, les Philippines et la Corée du Sud. En clair: pas encore l’Océan Indien… Le dispositif américain DART (

Deep ocean assessment and reporting of tsunamis) a été mis en place en octobre 2003: via satellite, il transmet en temps réel les données fournies par 3 stations au large des îles Aléoutiennes en Alaska, deux au large de l’Etat de Washington et une en plein Pacifique. Il était justement prévu d’ajouter 4 nouvelles bouées. Mais là encore, l’objectif reste l’océan Pacifique. Une note d’espoir, toutefois: Harley Benz, un responsable de l’agence USGS a estimé qu’il faudra deux ans tout au plus pour installer de telles bouées dans l’océan Indien: : « La pose des capteurs n’est pas un problème. La difficulté réside dans la coordination des agences d’alerte dans la région. »