Redressement de SIRHEN : La Cour des comptes a comme un doute

Le ministère de l’Education nationale s’est lancé dans une tentative de redressement de SIRHEN, son projet de rénovation des SIRH à 500 M€. Dans un référé adressé à la rue de Grenelle, la Cour des comptes ne semble pas convaincue que cela suffira à réanimer le projet.

La Cour des comptes vient de publier la lettre que Didier Migaud, le premier président de la Cour des comptes, a adressée en décembre dernier à la ministre de l’Education nationale sur SIRHEN, le projet de refonte des applications de ressources humaines. Le projet, lancé en 2007, reste le principal point noir de l’informatique de l’Etat à ce jour. Pour donner la mesure des dérapages à l’œuvre, SIRHEN avait à l’origine été estimé à 60 millions d’euros et devait s’achever à 2012. Au dernier pointage, et après plusieurs réévaluations à la hausse, le coût approche les 500 millions d’euros selon la méthode définie par la Dinsic (la DSI de l’Etat) et qui intègre les coûts de personnel et deux années de maintenance. Dans ce total, 323 millions seront dépensés dans des contrats avec des prestataires (Capgemini notamment) pour la construction de la solution. Une enveloppe colossale que le ministère s’est engagé à tenir coûte que coûte, via une réorientation du projet Sirhen, basée sur des conclusions formalisées en août 2016.

Malgré ces garanties, et l’avis favorable de la Dinsic en décembre dernier, Didier Migaud s’inquiète des risques qui pèsent encore sur le projet. Il faut dire qu’aujourd’hui, dix ans après son lancement, SIRHEN n’est toujours pas parvenu à assurer l’objectif central qui avait présidé à sa naissance : la prise en charge RH des enseignants (850 000 personnes) et la préparation de la rentrée scolaire ainsi que la répartition des moyens. A ce jour, malgré les sommes engagées, SIRHEN ne gère que les personnels d’inspection (4 000) et les personnels de direction (14 000).

Même surveillé comme le lait sur le feu par la Dinsic – qui a placé un de ses anciens à la tête du programme -, le projet continue à susciter des interrogations au sein de l’Education nationale. Récemment, une source nous indiquait que la bascule des enseignants restait hypothétique à ce stade. En interne, SIRHEN crée pas mal de remous : dans un tract datant de janvier, FO Spaseen (qui représente les personnels administratifs) pointe des conditions de travail dégradées et une surcharge de travail pour les utilisateurs des nouvelles applications. Le syndicat appelle purement et simplement à « l’abandon immédiat » de SIRHEN et à la ré-internalisation de toutes les missions confiées aux prestataires.

Gérer les enseignants : l’épreuve de vérité

Or, si les enseignants ne pouvaient pas être basculés dans l’outil, l’échec serait patent. Et aussi retentissant que ceux, récents, de l’opérateur national de paie (ONP) ou de Louvois. Dans sa lettre à Najat Vallaud-Belkacem, Didier Migaud rappelle d’ailleurs que ces expériences malheureuses (avec à chaque fois des centaines de millions gaspillés) montrent le poids que peuvent avoir une « appréciation insuffisante des risques et des réactions trop tardives ». D’où les recommandations formulées par la Cour qui visent essentiellement à renforcer le contrôle sur SIRHEN, par exemple en systématisant les études coûts/délais en amont des décisions du comité de pilotage, en renforçant la traçabilité des décisions ou en responsabilisant les maîtrises d’ouvrage stratégiques.

Les sages de la rue Cambon n’hésitent pas non plus à recommander un recentrage de Sirhen sur ses fonctions cœur (gestion des moyens, gestion RH, paie et décisionnel associé). Déjà, notons que la reprise en main de 2016 s’est traduite par une focalisation sur les seuls enseignants du 1er degré (soit 340 000 personnes). Les près de 400 000 professeurs du second degré étant renvoyés à une seconde étape, encore plus hypothétique que la première.

Le coût total encore alourdi ?

Enfin, la Cour des comptes réclame un renforcement du suivi financier du programme, via un budget consolidé intégrant les contrats passés avec des prestataires, les dépenses internes mais aussi la maintenance des anciennes applications que SIRHEN est censée remplacer et dont les retards prolongent la durée de vie. Si les deux premiers postes de dépenses sont bien consolidés dans l’enveloppe de près de 500 millions d’euros, le troisième, lui, n’y figure pas. Même si cela contribuera à alourdir une barque déjà bien plombée, Najat Vallaud-Belkacem s’engage, dans sa réponse à la Cour des comptes datée du 17 février dernier, à consolider l’ensemble des coûts. Indiquant au passage que cette opération est en cours de réalisation. Une clarification d’autant plus souhaitable que la nouvelle trajectoire de SIRHEN s’appuie sur une transition plus douce entre l’existant et les nouvelles applications, donc sur une réutilisation plus poussée du patrimoine applicatif.

Plus globalement, la ministre fait valoir que l’essentiel des recommandations de la Cour des comptes figure déjà dans le plan d’actions validé à l’été dernier, lors de la refondation du programme SIRHEN. Bref, que les inquiétudes de la rue Cambon ont déjà été prises en compte. Et justifie l’importance de ce programme pour l’Education nationale et les investissements associés, expliquant que les enjeux auxquels cette organisation fait face l’obligent « à poursuivre l’amélioration et la sécurisation du pilotage de ce grand projet ». En réalité, SIRHEN vise désormais à remplacer à iso-fonctionnalités des applications existantes développées en interne et offrant un haut niveau d’automatisation. Mais des applications aujourd’hui techniquement obsolètes. Selon les derniers calendriers officiels de la Dinsic, le projet doit être achevé en 2021, mais, dans sa lettre, Didier Migaud parle, lui, d’un projet s’étalant jusqu’en 2023.

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