Technolopoles pour start-up : les Etats-Unis oublient trop souvent Paris

Lorsque les Américains regardent les technopoles qui comptent dans le monde des start-up IT, l’Europe occupe une bonne place. Mais pas Paris. Au moins pour l’instant.

Lorsque l’on évoque les start-up IT, tous les regards se portent logiquement vers la Silicon Valley, la ‘Valley‘, lieu mythique sis au sud de la péninsule de San Francisco, en Californie. Une habitude si ancrée que l’expression ‘Silicon Valley‘ est désormais synonyme d’entreprises technologiques, alors que de nombreux domaines non IT y sont représentés (comme la santé ou le militaire).

La Valley est également une sorte d’étalon, une référence qui inspire de nombreux projets de technopoles. Aux États-Unis, où plusieurs états rêvent d’attirer à eux une partie des projets, des investisseurs, ainsi que des cerveaux qui circulent de San Francisco à Santa Clara (où sont concentrées une bonne part des entreprises technologiques de la Valley). Et cela vaut également pour de nombreux pays dans le monde, qui multiplient initiatives et infrastructures pour faire venir des investissements créateurs d’emplois à forte valeur ajoutée. En Europe notamment, Berlin, Londres, Stockholm, l’Ile-de-France et le Software Cluster allemand (partagé entre Darmstadt et Karlsruhe notamment) se tirent la bourre (Lire Les clusters européens du logiciel face à la Silicon Valley : si loin, si proches)

Mais, vu des Etats-Unis, où réside une bonne part du capital risque et d’où émane de nombreuses technologies qui structurent le marché IT, la perspective est relativement différente. Sur la base de nos contacts dans la Silicon Valley, voici les technopoles qui reviennent le plus souvent dans les conversations avec investisseurs, entrepreneurs ou analystes :

– Silicon Valley

Sans surprise, la Valley se place largement en tête des réponses. Rappelons, pour l’anecdote, que c’est dans les années 30 qu’un professeur d’ingénierie électrique de l’université de Stanford (située de l’autre coté de la baie de San Francisco), Frederick Terman, a persuadé deux étudiants en phase de création d’entreprise, de demeurer en Californie plutôt que de migrer sur la cote Est. Ils s’appelaient William Hewlett et David Packard. Un coup de pouce du gouvernement fédéral avec les budgets militaires durant la seconde guerre mondiale, et la Silicon Valley, une expression née en 1971, s’est imposée en Californie.

Selon la base de données CrunchBase, en 2013, 4 320 start-up de la San Francisco Bay Area ont reçu un total de 13,8 Md$ d’investissement. Tout simplement sans équivalent partout ailleurs dans le monde.

– New York, Boston, Detroit

Plus que trois places, nous évoquons une sorte de triangle d’or de la côte Est des États-Unis. Avec New York, dont les start-up sont plutôt orientées vers le logiciel et la finance, Boston, qui bénéficie de la présence du MIT et de ses travaux de R&D, et Detroit, qui profite d’un regain d’intérêt une fois passé l’épisode douloureux de la restructuration brutale de l’industrie automobile américaine. Ces trois places bénéficient également de la présence historique d’acteurs emblématiques de l’informatique, IBM en tête, et d’une volonté politique de ré-équilibrer la balance entre les côtes Est et Ouest.

– Tel Aviv

La Silicon Wadi (vallée en hébreux), nom que donnent les start-up israéliennes à Tel Aviv, est considérée depuis 2012 comme le second écosystème pour jeunes pousses dans le monde, derrière la Valley et devant New York ! La diversité des projets y est importante, portée par un historique complexe qui favorise la R&D. Tel Aviv est certainement la ville au monde qui affiche la plus forte de densité de start-up.

– Zhongguancun

Souvenez-vous de ce nom : ce district de Pékin est la place IT qui monte et pourrait atteindre des sommets. Alors que le gouvernement chinois demeure dirigiste dans ses stratégies, et que l’ouverture du pays aux entreprises mondiales reste soumise à des contraintes complexes, cette zone bénéficie d’un certain libéralisme entrepreneurial et de règles assouplies, en particulier en matière d’investissements. Ce qui lui confère ce statut de Silicon Valley de l’Asie.

– Londres

C’est la première place européenne citée par les américains parmi les start-up hubs européens. Pas réellement une surprise. D’ailleurs la capitale britannique a converti ces dernières années nombre de ses entrepôts en espaces d’accueil pour le business, ce qui lui a permis de quadrupler le nombre de ses entreprises technologiques en l’espace de quatre ans. La particularité de ces start-up est de proposer des projets dont la typologie est proche de celle de leurs homologues de New York et de la cote Est, avec une prédilection pour la finance, proximité de la City oblige.

– Barcelone

Les Américains reconnaissent bien volontiers à Barcelone une ‘culture start-up’ particulière, car très orientée vers l’open source, les communautés et les projets non lucratifs, fruits à la fois d’une population universitaire forte et diversifiée, et d’une situation économique difficile en Espagne, qui font de cette technopole à la fois la plus riche en projets, mais la plus pauvre en investisseurs. Le modèle non lucratif interpelle tout particulièrement la communauté IT de la Valley…

– Amsterdam

Une longue histoire libérale, une culture naturellement tolérante, un esprit entrepreneurial prononcé, une pratique de l’anglais imposée par une langue complexe et peu répandue, et, cerise sur le gâteau, une fiscalité favorable, Amsterdam attire l’attention. Et les datacenters, ce qui facilite bien des choses !

– Stockholm

La capital suédoise flirte depuis bien longtemps avec les start-up, en particulier avec le quartier de Krista, aussi appelé la Wireless Valley. Skype et Spotify, start-up emblématiques des jeunes pousses de l’Internet, sont d’origine suédoise. Leur succès participe à l’image de Stockholm comme technopole reconnue.

– Moscou

La capitale de la Russie ne cesse d’attirer l’attention de l’écosystème des start-up. Encouragés par la présence et les investissements en R&D de grands acteurs, comme Cisco, Facebook ou Samsung, ainsi que par quelques succès locaux, comme Kaspersky, sans oublier une volonté politique affirmée, Moscou se peuple de start-up. Plus de 1000 sont venues rejoindre la fondation Skolkovo qui les héberge et qui bénéficie d’un partenariat avec le MIT. La technopole pourrait faire mieux, elle souffre d’un environnement politique et sécuritaire peu favorable. Le durcissement de la législation sur les brevets, copyright, etc. pourrait en revanche favoriser son explosion.

Et Paris ?

Paris est la grande perdante de cette vision américaine des start-up hubs. Même si elle n’est pas la seule… L’Inde et le Japon sont aussi absents, on y évoque plus les travaux des grands groupes que l’esprit des jeunes pousses. L’Afrique du Sud également, tout comme l’Amérique latine, où le monde des start-up se montre… émergent.

Si l’absence de Paris nous semble sévère, elle est probablement justifiée. D’abord parce que notre écosystème est encore relativement nombriliste, moins aidé que d’autres par une langue qui incite au régionalisme. Mais surtout parce que quelques très beaux projets, dans les télécoms et la sécurité par exemple, ne suffisent pas à créer une image. Tandis que notre force sur les développements web nous éloigne quelque peu des projets orientés infrastructure et applicatifs, qui ont la cote de l’autre côté de l’Atlantique. La présence en masse des start-up françaises et des représentants de la French Tech (avec, pour ambassadrice, la ministre Fleur Pellerin), lors du récent CES 2014 vont toutefois dans le bon sens


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