Triple-play: Forrester prévoit un ‘suicide financier’ pour les opérateurs historiques

L’explosion du nombre d’abonnés n’est pas suffisant pour compenser les investissements colossaux des opérateurs historiques notamment liés à l’IPTV. L’institut d’études lance une alerte

Forrester vient de jeter un pavé dans la marre tranquille du haut débit français. Tout avait l’air de se passer dans le meilleur des mondes: plus de 10 millions d’abonnés haut-débit, des taux de croissance à deux chiffres, des offres triple-play (ADSL, TV, VoIP) qui séduisent en masse…

Mais ce succès serait en fait l’arbre qui cache la forêt. Une forêt bien sombre qui à terme risque d’engloutir les finances des acteurs du secteur, notamment les opérateurs historiques, trop occupés à conquérir de nouveaux clients et à lancer de nouveaux services (le quadri-play ne se profile-t-il pas à l’horizon ?). Forrester ne mâche pas ses mots et parle de « suicide financier ». Et de s’expliquer: la faiblesse des perspectives de revenus et l’ampleur des investissements nécessaires au triple play pourraient entraîner des pertes significatives pour les opérateurs télécoms historiques. L’institut d’études évalue même le gouffre financier à 3.700 euros par abonné (moyenne européenne) au bout de 10 ans ! La somme atteindrait 4.311 euros en France. Pour Forrester, les opérateurs historiques sont allés trop vite et certains nouveaux services comme l’IPTV ne susciteraient pas l’engouement espéré (une conclusion qui ne se vérifie pourtant pas partout). « Confrontés à des pressions concurrentielles associées à un important battage médiatique des fournisseurs, plusieurs opérateurs ont déjà commencé à proposer la télévision basée sur le protocole Internet (IPTV), en accompagnement de leurs services téléphoniques et Internet. Toutefois, l’étude Forrester montre que les opérateurs historiques ont besoin de faire une pause avant de continuer sur le chemin de l’IPTV, car tout semble jouer pour que le lancement de leurs services de télévision soit un échec. Les opérateurs historiques se sentent obligés d’entrer dans le triple pay alors même qu’ils s’en méfient ». Et de poursuivre: « Le potentiel médiocre de recettes discrédite ce battage médiatique et la question cruciale reste : Les opérateurs pourront-ils tirer gagner de l’argent en entrant dans l’IPTV ? » s’interroge Lars Godell, analyste principal, Réseaux et Télécoms pour Forrester Research qui répond non, en tout cas pour le moment. En fait, Forrester estime que le public est déjà sollicité par les offres de TV gratuites comme la TNT et hésite à dépenser plus pour l’IPTV. Les opérateurs de leur côté doivent investir massivement en infrastructures pour proposer ce service. Dans le même temps, harcelés par la concurrence, les opérateurs historiques sont forcés de baisser ou de faire stagner le prix de leurs offres triple-play. D’où le développement de pertes financières à terme. Les opérateurs historiques britanniques, français, italiens et espagnols seraient dans la situation la plus délicate, tandis que Deutsche Telekom connaîtrait les pertes les plus faibles, ajoute Forrester. Ces pertes seront encore plus alimentées avec la fibre optique qui exige encore des investissements colossaux (40 milliards d’euros en France selon l’Idate). Il sera donc nécessaire de proposer des offres assez chères (France Télécom prévoit un pack à 70 euros par mois) et de séduire un grand nombre d’abonnés (avec des services vraiment innovants) pour éviter que la perte par abonné ne se creuse un peu plus. « Il est surprenant de voir l’empressement avec lequel des opérateurs historiques comme Deutsche Telekom et France Télécom s’apprêtent à déployer des réseaux de fibre optique très onéreux pour acheminer l’IPTV. En effet, cette mise à niveau est la raison principale pour laquelle notre modèle de résultats aboutit à des pertes colossales », souligne Lars Godell. Pourquoi en effet payer pour de l’IPTV alors qu’une offre de TV gratuite est pléthorique en Europe, notamment en Allemagne ? Encore une fois, se pose la question de la pertinence ou de l’exclusivité des contenus pour l’IPTV. Pour autant, en France, 75% des foyers ne reçoivent que six chaînes malgré le lancement de la TNT. L’IPTV pourrait donc remplir un bel espace malgré les craintes de Forrster. Forrester estime au contraire que les opérateurs historiques devraient pour le moment abandonner leurs rêves de grandeur dans la fibre pour se concentrer dans un premier temps dans la convergence fixe-mobile « pour faire baisser leur taux de rotation de clients jusqu’à ce que leur stratégie triple play et leur capacité de réaction opérationnelle soient en place. »