USA: la Cour suprême autorise à poursuivre les réseaux P2P

La plus haute juridiction américaine estime que les sites P2P peuvent être tenus responsables de piratage des droits d’auteur par les internautes. Pour la première fois, on pourra attaquer les créateurs d’une technologie pour l’usage qui en est fait!

La Cour suprême des Etats-Unis vient de porter un méchant coup aux exploitants (éditeurs, distributeurs) des sites d’échange en mode Peer-to-peer. Les neuf juges de la plus haute juridiction américaine ont estimé à l’unanimité que

« les développeurs de ces logiciels (P2P) violent la loi fédérale sur le copyright quand ils fournissent aux usagers d’ordinateurs les moyens d’échanger les fichiers de musique et de films téléchargés sur internet », selon le texte de la décision. En clair, les propriétaires de ces plates-formes, désormais illégales, pourront être attaqués juridiquement par les Industriels du divertissement. La répression pourra ainsi se porter sur ces exploitants et non plus seulement sur les internautes. Ce qui n’est pas une bonne nouvelle: pour la première fois, il sera possible d’attaquer les créateurs d’une technologie pour l’usage qui en est fait par des tiers! La plus haute juridiction du pays a considéré que l’usage de ces plate-formes étaient avant-tout illégales et que les éditeurs favorisaient et faisaient la promotion du piratage. Dans ses attendus, la Cour souligne par exemple que « Grokster envoyait à ses utilisateurs une newsletter faisant la promotion de sa capacité à fournir des contenus populaires bien spécifiques, sous copyright. » La victoire est donc totale pour la RIAA et la MPAA, les deux organismes qui regroupent les différentes Majors de la musique et du cinéma. Une averse de procès peut donc commencer car la décision de la Cour est définitive. « La décision unanime de ce jour constitue une victoire historique pour la propriété intellectuelle à l’ère du numérique, et est bonne pour les consommateurs, les artistes, l’innovation et le commerce légal sur internet », a indiqué la MPAA, dans un communiqué signé de son président-directeur général, Dan Glickman. Un an de procès L’affaire opposait 28 maisons de disques et studios de cinéma aux exploitants de Grokster et Morpheus, deux sites d’échanges de fichiers en P2P. L’examen du dossier a débuté en mars dernier. Si l’Industrie américaine du disque et du cinéma préfère depuis de longs mois s’en prendre directement aux adeptes du ‘peer-to-peer’, elle n’avait pas abandonné l’idée de condamner directement les éditeurs de ces plates-formes. Après plusieurs échecs judiciaires, les Majors misaient donc sur la Cour Suprême pour faire tomber ces propriétaires. Une cinquantaine d’argumentaires avait été déposée à la Cour par les groupes Intel, Yahoo!, Apple, des lobbys professionnels, associations de consommateurs, musiciens (Elvis Costello, Avril Lavigne), ou encore par le gouvernement américain lui-même qui soutient les plaignants. Pour l’industrie du divertissement, déboutée en 2003 puis 2004 par les tribunaux, les technologies déployées par Grokster et Morpheus sont néfastes dans la mesure où elles permettent la circulation d’oeuvres sans contrôle: leurs exploitants sont donc responsables si elles laissent passer des chansons ou films piratés. Pour rétorquer à l’industrie du disque et à Hollywood, Grokster et Morpheus avait reçu le soutien d’une bonne partie de la Silicon Valley. Le monde de la high-tech estime que juger les créateurs d’une technologie responsables de l’usage qui en est fait créerait un grave précédent. A contre courant du jugement Betamax La justice canadienne est allée dans ce sens en refusant de condamner les éditeurs de P2P. La Cour fédérale de l’Ontario avait jugé que le téléchargement de musique sur Internet n’était en fait guère différent d’un simple photocopiage de livres dans une bibliothèque. En clair, inutile d’attaquer les fabricants de photocopieuses pour régler le problème de « photocopillage », on ne peut attaquer les créateurs d’une technologie pour l’usage qui en est fait. « Permettre aux entreprises de divertissement de poursuivre en justice les innovateurs pour chaque violation de la loi va refroidir l’innovation et retarder le secteur dans son ensemble », souligne Fred von Lohmann, de la Fondation Electronic Frontier (EFF). « Le jugement Betamax a été de notre côté depuis 21 ans, et les industries de la technologie et du divertissement ont prospéré pendant ce temps ». Ce « jugement Betamax », rendu par la Cour Suprême en 1984, était le principal argument sur lequel Grokster et Morpheus fondaient leurs espoirs. Il s’agit d’une jurisprudence qui fait qu’on ne peut pas juger les créateurs d’une technologie responsables de l’usage qui en est fait. Alors que les studios Universal fustigeaient la technologie du magnétoscope Sony comme la porte ouverte à une vaste entreprise de piratage de K7 vidéo, il avait été décidé que la responsabilité du fabricant n’était pas engagée. La Cour Suprême avait expliqué à l’époque que le magnétoscope Betamax permettait aussi des usages totalement légaux, comme les enregistrements à des fins privées ou la copie d’oeuvres tombées dans le domaine public. Exactement comme pour le ‘peer-to-peer’. Mais la Cour suprême n’a pas retenu ces arguments. Et sa décision risque d’assombrir considérablement l’avenir de ces réseaux d’échange qui, rappelons-le, ne servent pas seulement à pirater des fichiers. C’est même tout l’univers du divertissement sur Internet qui risque d’être pénalisé. Jubilation des producteurs français

Cette décision

« donne un signal positif aux producteurs et créateurs de musique du monde entier », a estimé dans un communiqué le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), qui regroupe les quatre « majors » (multinationales) et des indépendants. Le SNEP a appelé les pouvoirs publics en France à prendre « rapidement les mesures qui s’imposent contre les logiciels concernés qui incitent à la contrefaçon ». De son côté, l’Union des producteurs français indépendants (UPFI) a souhaité que la France « donne l’exemple en la matière en proposant un amendement qui responsabilise les éditeurs de logiciels peer to peer, dès lors que leur utilisation vise uniquement ou principalement à enfreindre les droits de propriété intellectuelle ».