Viktor Arvidsson, Ericsson :« La rupture technologique de la 5G se fera par les usages »

Directeur de la stratégie chez Ericsson France, Viktor Arvidsson fait un point sur les travaux en cours de la 5G, ses applications futures et les programmes de recherche associés.

Silicon.fr – Où en sont les travaux sur la 5G aujourd’hui ?

Victor Arvidsson – La 5G est une technologie qui occupe beaucoup les esprits en R&D, car c’est maintenant que les premières briques se mettent en place. Il faut rappeler que l’élément fondateur remonte à 2012 avec la création de Metis (Mobile and wireless communications systems Enablers for the Twenty-twenty Information Society), le programme de R&D sur la 5G à l’initiative de l’Europe. Metis regroupe des équipementiers (Ericsson, Nokia/NSN, Alcatel-Lucent) et opérateurs (Orange, Deutsche Telekom, Telecom Italia, Telefonica) européens et un constructeur automobile (BMW), mais aussi le chinois Huawei et le japonais NTT Docomo, car il est important d’avoir une harmonisation technologique mondiale afin d’éviter de répéter les erreurs de la 2G ou chaque zone de la planète avait sa solution.

Viktor Arvidsson, directeur stratégie Ericsson France : «Les premières briques de la 5G se mettent en place».
Viktor Arvidsson, directeur stratégie Ericsson France : « Les premières briques de la 5G se mettent en place. »

La 5G s’inscrit-elle comme une rupture technologique ? Qu’apportera-t-elle au-delà de débits multipliés par 1 000 ou 10 000 ?

Jusqu’à présent chaque nouvelle génération mobile (GSM, WCDMA, LTE) a généré une nouvelle solution technique. Avec la 5G, on imagine que ce sera une évolution incrémentale de la 4G avec l’agrégation de fréquences et des briques technologiques spécifiques, mais pas une rupture technologique comme par le passé. En revanche, la rupture se fera sur les usages. Alors que les 1er et 2e générations mobiles ont porté sur la voix, la 3G et la 4G sur le haut et très haut débit mobile, la 5G alimentera les réseaux dans une logique de connectivité la plus complète possible.

La 5G répondra notamment aux contraintes du M2M (Ericsson prévoit 50 milliards d’objets connectés en 2020, NDLR), comme la durée de vie de la batterie de certains objets installés dans des endroits peu accessibles et qui enverront peu de données. Il faudra donc définir un protocole réseau peu énergivore pour garantir des durées de vie longues des batteries.

La 5G devra également répondre aux contraintes de temps de latence et de fiabilité nécessaires aux applications en temps réel comme les solutions d’alerte anti-collision pour automobiles, ou bien la voiture sans conducteur. On parle aussi de communication directe entre terminaux sur des zones concentrées (comme dans les cas de catastrophe de type incendie, etc.) plutôt que de faire transiter les communications par le cœur de réseau de l’opérateur. Autant de contraintes qui auront un impact sur le protocole réseau et son architecture. Aujourd’hui, on en est encore à l’étude des cas d’usages.

Le calendrier fixe aux alentour de 2020 l’émergence des premières solutions 5G. Quelles en seront les grandes étapes ?

Metis a défini 3 périodes de 3 ans : l’exploration des usages ; l’utilisation de nouvelles bandes de fréquences ; et la standardisation des technologies. On est aujourd’hui à la première étape. Concernant les nouvelles bandes de fréquences, elles seront fixées par les conférences mondiales de la radiocommunication dont une est prévue en novembre 2015 sur le 700 MHz pour le LTE-Advanced et la suivante pourrait être en 2018 ou 2019 pour la 5G. L’identification des bandes sera une étape clé et donnera une idée un peu plus claire sur ce que l’on pourra faire de la 5G.

Peut-on avoir une idée des fréquences qui seront attribuées à la 5G ?

Les besoins de capacité, de l’ordre de 1 000 fois plus importantes qu’aujourd’hui, nécessiteront plus de bande de fréquence, autour de 100 MHz ou plus, sur des fréquences hautes car les fréquences basses sont déjà occupées. Mais il faudra aussi des fréquences plus basses pour assurer les usages comme ceux de la voiture connectée. D’où l’intérêt d’avoir de la 5G dans les bandes sous les 1 GHz, qui viendront peut-être des bandes de la 2G ou 3G actuelles.

On parle aussi du shared access ou accès partagé qui consiste à utiliser les bandes de fréquences peu ou pas utilisées en temps normal, comme celles de la Défense, et de pouvoir les libérer quasiment instantanément en cas de besoin. On réfléchit également à faire cohabiter des applications télécom et TV.

Huawei affiche des ambitions claires de se positionner comme leader sur la 5G (via un investissement de 600 millions d’euros) et la Corée entend ouvrir la 5G dès 2020. N’y a-t-il pas un risque que les technologies de la future génération du réseau mobile soient sous emprise asiatique ?

Nous n’avons pas l’habitude de commenter la stratégie de nos concurrents. Mais même s’il y a une norme commune, Ericsson a l’intention d’être à la pointe de la technologie pour produire les équipements compatibles le plus en amont et le plus efficacement possible. Car si les standards disent quoi faire, ils ne disent pas comment le faire face à la complexité de conception. L’idée est d’investir beaucoup, et détenir des brevets qui représentent des sources de revenus notables, sans aller à l’encontre de la standardisation du marché.

Quel budget Ericsson va-t-il consacrer à la 5G ?

On ne communique pas spécifiquement sur les budgets de recherche alloués à la 5G, mais notre R&D annuelle tourne autour de 14 à 15% du chiffre d’affaire, soit 3,6 milliards d’euros, dont la moitié environ est consacrée à la recherche sur des technologies radio.

Ericsson fait également parti de la 5G PPP Association de l’Union européenne. Comment s’articule ce programme cadre par rapport à Metis ?

La 5G PPP vise à apporter un cadre européen pour coordonner la recherche public-privée à travers un mécanisme de soutien public au privé afin de donner une impulsion au programme de R&D. C’est un programme assez ambitieux en termes de budget, avec 700 millions d’euros de fonds public et autant apporté par les acteurs privés (dont les membres fondateurs sont Alcatel-Lucent, Ericsson, Nokia Solutions and Networks, Orange et SES, NDLR). Aux côtés d’autres initiatives, la 5G PPP veut fédérer les acteurs autour de la R&D. Il est utile de mettre de l’argent sur la table pour stimuler la recherche public-privée en Europe. Cela constitue une émulation commune positive face aux annonces de la Corée, par exemple. Sachant que, si un standard global se met en place, il faut que chacun avance de son côté.


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