VoIP : les offensives des géants du Web menacent-elles l’industrie télécoms ?

L’Arcep, le gendarme français des télécoms a confié à l’Idate une étude sur
cette angoissante question

On le sait, la téléphonie fixe n’est plus la chasse gardée des grands opérateurs télécoms. L’essor rapide de la VoIP (téléphonie sur Internet) a permis à de nombreux acteurs de prendre d’importantes parts de marché. Il y a bien sûr Skype et ses millions d’utilisateurs, mais aussi Yahoo, Google et Microsoft qui ont tous lancé leurs outils maison.

Cette percée des géants du Web met-elle en danger la pérennité de l’industrie ‘traditionnelle’ des télécoms ? Car une chose est sûre : les revenus issus de la téléphonie fixe des grands opérateurs historiques fondent comme neige au soleil depuis quelques années.

L’Arcep, le régulateur français des télécoms a confié une étude à l’Idate afin d’évaluer leur impact potentiel sur le marché des communications électroniques en France.

L’étude observe tout d’abord que si quelques acteurs adressent des marchés nationaux spécifiques, la plupart développent des stratégies globales avec plusieurs services assez différents, regroupés le plus souvent autour d’un seul et même client logiciel, utilisable depuis différents terminaux (mais le plus souvent depuis un PC).

Par ailleurs, le modèle économique de certains de ces nouveaux acteurs se positionne en concurrence directe avec les opérateurs traditionnels en adoptant un modèle de revenus de type télécom. Le client paye pour l’usage du service télécom en fonction du temps de communication et du type d’appel (national, international, mobile). Le service de PC à PC sert alors de produit d’appel vers les produits payants de PC à téléphone et téléphone à PC.

Ce modèle est rendu possible par les faibles dépenses en marketing et le principe de la VoIP qui permet de réduire très significativement les coûts de collecte et de transport par rapport à une communication sur un réseau commuté.

Toutefois, le modèle télécom semble potentiellement peu attractif pour les acteurs du logiciel. Les niveaux de prix de détail, en raison de la guerre des prix que se livrent certains acteurs, ne permettent pas de dégager des marges brutes importantes (10 à 30%), sauf pour les acteurs disposant d’une infrastructure locale capillaire.

Par ailleurs, les volumes de trafic payant restent globalement faibles. C’est donc pour l’instant un marché de faible volume en terme de chiffre d’affaires (le revenu mondial mensuel de Skype pour le trafic payant est inférieur à 13 millions d’euros en 2006 ; l’ARPU de Skype est inférieur à 4.5 euros/mois sur une base très réduite) et de faible marge, souligne l’Idate.

La plupart des nouveaux entrants adoptent donc d’autres modèles économiques reposant sur les modèles phares de l’Internet que sont la publicité ou l’intermédiation.

Pour l’Idate, ces modèles issus du monde du Web permettent des marges brutes supérieures (près de 80%) sur des marchés qui offrent encore souvent des perspectives de croissance. Plusieurs acteurs majeurs ont d’ailleurs opéré un tel recentrage de leur stratégie. Sous l’impulsion d’eBay, Skype se tourne de plus en plus vers le click-to-call (mise en relation gratuite avec un marchand). Wengo cherche de son côté à développer le modèle de plate-forme relationnelle avec la sortie de Wdeal.

Ces modèles favorisent les plus gros et les premiers entrants. Ce sont d’ailleurs autour de ces modèles que se sont construits les principaux succès de l’Internet (Google, Yahoo! ou MSN/Windows Live pour la publicité, eBay pour l’intermédiation).

La combinaison de ces éléments : stratégie globale, modèle économique juteux constituent donc une menace pour l’Industrie. Ils sont considérés comme des concurrents majeurs, en raison de leur forte base d’utilisateurs, de leurs revenus en croissance et de leurs ressources financières (peu de dettes, beaucoup de réserves de trésorerie), souligne l’Idate.

Mais cette menace serait avant tout théorique. Les acteurs du logiciel ne ch erchent en effet pas à concurrencer directement les opérateurs télécoms en proposant uniquement des services de voix, mais à générer des revenus grâce à des modèles faisant surtout appel à la publicité et à l’intermédiation entre usagers (cf click-to-call).

Par ailleurs, les nouveaux entrants n’ont réellement pris des positions fortes que sur le trafic international (40% du trafic de Skype, équivalent à 7% du trafic mondial), que ce soit autour de trafic gratuit ou payant. C’est en effet sur le trafic international que s’affirme le plus la compétitivité des tarifs des acteurs du logiciel (alors qu’elle est quasi-inexistante à ce jour sur les mobiles).

Selon l’étude, les acteurs du logiciel n’ont pour l’instant su attirer qu’une partie restreinte de la population, technophile, et généralement peu disposée à payer, et les personnes recherchant des tarifs avantageux pour l’international, sans réellement réussir à atteindre le marché de masse des internautes. Ainsi, les fonctionnalités vocales des messageries instantanées sont utilisées par moins de 10% des internautes. La croissance de solutions comme Skype est, par ailleurs, en ralentissement net.

Pour l’Idate, il n’y a donc pas le feu au lac pour les opérateurs traditionnels. Les scénarios les plus probables, développés dans le cadre de cette étude, représentent des pertes de revenus de 3 à 10% pour les opérateurs télécoms, essentiellement dues au trafic gratuit de PC à PC. Les acteurs logiciels ne généreraient alors directement au mieux qu’un peu moins de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires pour plus de 5 milliards de minutes, tiré par l’international (qui pèse d’ailleurs aujourd’hui près de 85% des revenus de Skype).

Par ailleurs, la force de frappe des opérateurs réduit encore un peu plus la menace. Le succès des offres triple-play l’alignement des tarifs entre l’international et le national, les appels illimités et l’ajout de nouveaux services gratuits renforcent l’attractivité de ces offres groupées.

Mais, selon l’Idate, les acteurs du Web et des logiciels pourraient se démarquer grâce à leurs capacités d’innovation. La convergence fixe-mobile pourrait leur donner une seconde opportunité, sous réserve toutefois de disponibilité de réseaux sans-fil ouverts (la plupart des réseaux 3G empêchent par exemple l’utilisation de logiciels de VoIP en bloquant le trafic correspondant).

C’est en tout cas le marché que ciblent désormais les derniers entrants logiciels. Mais ils devront faire face aux stratégies de substitution (offre d’abondance, home zoning) et de convergence fixe-mobile (terminaux bi-modes) des opérateurs. Bref, les historiques des télécoms peuvent encore voir venir…