Pourquoi la voiture 100 % autonome n’est pas près de rouler

Si on se fie au marketing des constructeurs, les voitures autonomes seront demain chez nos concessionnaires. Pure fiction, selon un spécialiste de l’Inria, qui pointe les limites techniques actuelles en matière de détection de l’environnement et d’IA.

En se fiant aux vidéos de démonstration qui circulent sur Internet ou aux discours marketing des constructeurs, on pourrait penser que des voitures 100 % autonomes circuleront d’ici quelques années dans les rues de nos villes, au milieu du trafic urbain. Sauf que, selon un chercheur spécialiste de ce sujet, ce scénario n’a aucune chance de se réaliser. « Cela ne veut pas dire que les démonstrations que l’on peut voir sur Internet sont truquées, mais l’on omet de dire qu’elles requièrent des conditions idéales », explique Raoul de Charette, chercheur en vision par ordinateur qui travaille au sein de l’équipe RITS (Robotic and Intelligent Transportation Systems) de l’Inria.

Selon ce chercheur, les limites touchent tant à la perception qu’à l’intelligence artificielle. Avec des conséquences pratiques tout ce qu’il y a de concret : comme l’impossibilité pour les véhicules autonomes de se déplacer s’il pleut ou même d’avancer dans une circulation chargée, comme celle qu’on trouve aujourd’hui dans toutes les grandes villes !

Pré-câblage de l’environnement

Et ce n’est pas tout. Selon Raoul de Charette, pour faire fonctionner leurs prototypes, les industriels emploient tous des cartes sémantiques, permettant de ‘pré-charger’ les algorithmes avec une connaissance de l’environnement. Schématiquement, grâce à un premier passage permettant de localiser les points d’intérêt (les feux, les panneaux, les passages piétons…), on construit une carte répertoriant tous ces éléments influant sur la conduite. Ensuite, le véhicule emploie ses capteurs de positionnement (capteur inertiel et GPS) pour se situer dans l’espace et chercher les points d’intérêt dans l’environnement. La prise en compte des éléments de l’environnement situés hors de ces zones pré-fléchées étant sous-pondérée par l’algorithme. « Si un feu tricolore ne figure pas dans la base de données, l’algorithme ne pourra pas le détecter, illustre le chercheur. Cela limite la voiture à ne pouvoir conduire que dans des environnements connus et cartographiés. »

En termes techniques, l’algorithme ne réalise pas une tâche de détection, mais de classification. Si les constructeurs en passent par cette simplification de l’environnement – ‘détail’ qu’ils omettent bien de préciser -, c’est qu’ils sont contraints d’en passer par là. « Même si on obtient 99 % de détection en environnement ouvert – ce qui est excellent -, c’est insuffisant pour un véhicule autonome. On aurait besoin de 100%. L’utilisation d’une cartographie précise (ou ‘base de donnée’) permet donc de palier ce manque de fiabilité », reprend Raoul de Charette.

S’il pleut, tout s’arrête

Raoul de Charette, ingénieur expert de l'équipe-projet RITS
Raoul de Charette, ingénieur expert de l’équipe-projet RITS.

Et encore ne parle-t-on là que de taux de reconnaissance par temps clair. Car, dès qu’il pleut, ceux-ci chutent drastiquement. Comme ne le sait que trop bien le chercheur de l’Inria dont c’est là le thème central de recherche : « Lorsque l’atmosphère n’est pas parfaitement transparente, les rayons lumineux ne parviennent pas directement aux capteurs de vision. Dans ce cas, les rayons sont alors principalement réfractés, en cas de pluie, ou diffractés, en cas de brouillard. Ce qui produit des traînées de pluie (c’est-à-dire des hautes fréquences lumineuses), ou un voile lumineux (atténuation), qui altère l’apparence de la scène. » Si un humain sait s’accommoder de ces perturbations – comme il sait interpréter un reflet dans une vitre -, un algorithme perd les pédales. Et les taux de reconnaissance des objets chutent alors drastiquement. En particulier en cas de forte pluie ou de neige. La situation est identique avec les objets visibles seulement en partie : « or il faut être capable de détecter un piéton même si on n’en perçoit qu’une petite partie, telle qu’un pied ou une main », remarque le chercheur. Naturel pour un humain. Bien moins pour un algorithme. Pour Raoul de Charette, ces différents constats font aujourd’hui consensus parmi la communauté des chercheurs, y compris chez ceux travaillant pour des constructeurs.

Ces limites expliquent d’ailleurs l’accident d’une Tesla S sur une autoroute américaine en mai dernier. En mode Autopilot, la voiture s’était encastrée dans un camion tuant son chauffeur. Rien que de très prévisible selon le chercheur, la caméra étant éblouie par le soleil de face et les ondes émises par les sonars de la Tesla étant passées sous le camion. Autrement dit, pour le système, il n’y avait aucun obstacle en face du véhicule ! Certes, Tesla ne revendique pas de proposer un système 100 % autonome et le rapport d’enquête de l’administration américaine montre que le conducteur a ignoré plusieurs alertes de sécurité lui demandant de reprendre le contrôle. Il n’empêche, pour Raoul de Charette, « voir de tels produits déjà commercialisés semble assez dingue pour certains chercheurs ! ». D’autant que, selon lui, la question du transfert de contrôle entre l’automatisme et le conducteur est elle-même problématique. En raison tant de la détection des événements qui imposent de repasser en ‘manuel’ que du temps dont a besoin un conducteur moyen pour se reconcentrer sur la route (estimé à 15 secondes).

A Paris, la voiture autonome n’ose pas bouger

Bref, une liste d’obstacles déjà bien longue. Et encore n’a-t-on parlé ici que des difficultés résidant dans la détection ! Même, en admettant qu’on parvienne à un taux de détection de 100 % de l’environnement quelles que soient les conditions – et on en est loin ! -, encore faut-il ensuite que le véhicule prenne la bonne décision. Y compris dans des environnements denses. « Dans une ville comme Paris, où la conduite est un peu agressive et où les conducteurs ne respectent pas toutes les règles, le plus probable, c’est qu’un véhicule 100 % autonome ne serait pas capable de bouger », s’amuse Raoul de Charette.

Bref, pour le spécialiste de l’Inria, si on devrait voir assez rapidement des véhicules autonomes dans des environnements contrôlés et préalablement cartographiés (ce qui simplifie la détection de l’environnement), il faudra attendre bien des années avant qu’un véhicule personnel totalement robotisé ne circule dans les rues de nos villes, au milieu de la circulation standard. « Je ne serais pas étonné si on n’y parvient pas dans les 25 ans qui viennent. En tout cas, on ne parle pas ici d’un horizon proche », résume le chercheur. Pour qui ce constat ne doit toutefois pas freiner les expérimentations en environnements ouverts. « Pour apprendre à se comporter dans un environnement aussi complexe, on a besoin de s’y immerger. »

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Crédit photo R. de Charette : ® Inria G. Scagnelli