6 questions sur la fusion Orange-Bouygues Telecom

Quel impact aura l’absorption de Bouygues Telecom par Orange sur le marché des télécoms français s’il aboutit ?Silicon.fr vous propose son analyse.

Près de six semaines après l’officialisation des discussions pour la reprise de Bouygues Telecom par Orange le 5 janvier, les négociations se poursuivent avec les différents protagonistes du dossier, Free et SFR ainsi que le gouvernement, autour de ce qui s’apparente plus à un dépeçage de Bouygues Telecom plus qu’une véritable fusion. En cas de succès de l’opération, quel serait le paysage des télécoms français ? Nous proposons notre analyse.

Un retour à 3 opérateurs, pour quoi faire ?

Si Orange rachète Bouygues Telecom, 2016 sera marquée l’année du retour d’un marché mobile (et du fixe par la même occasion) français à trois opérateurs en France. Quatre ans après l’arrivée sismographique de Free début 2012. Autrement dit, un marché moins concurrentiel qu’aujourd’hui et la possibilité pour les opérateurs de regonfler la marge perdue ces dernières années pour certains. Stéphane Richard ne s’en cache pas. Militant de longue date pour une consolidation du marché, y compris à l’échelle européenne, un retour à trois acteurs constituerait une aubaine. Pour le PDG, « il y a un intérêt propre à Orange de se rapprocher de Bouygues, qui est de conforter notre position sur le marché fixe et mobile en récupérant des clients et des fréquences », déclarait-il aux Echos en janvier.

C’est d’ailleurs probablement le seul intérêt de l’opération pour le numéro un du marché qui, le jour même de l’officialisation des discussions avec Bouygues reconnaissait être « dans une position assez forte sur le marché [et n’avoir] pas besoin de consolidation ». L’intérêt pour Bouygues est en revanche déjà plus évident puisqu’il s’allègerait d’une filiale qui peine désormais à prouver sa rentabilité tout en conservant un rôle sur le marché des télécoms en s’octroyant une part significative au capital d’Orange.

Comment ?

Les deux principaux protagonistes du dossier ne seraient pas les seuls à profiter de la concentration. Pour s’accorder les faveurs de l’Autorité de la concurrence, il leur faudra se délester de plusieurs actifs afin d’éviter une position dominante (autour de 36 millions de clients, 55% du marché mobile en l’état). Rien n’est encore défini à ce jour mais le plus évident serait qu’une partie des clients soit revendue à Free et SFR afin qu’Orange reste cantonné à 40% de présence. Selon les scénarios en cours, Free hériterait des abonnés « classiques » de Bouygues Telecom et SFR des clients B&You. Se posera également la question des abonnés fixes. Free pourrait également étoffer son infrastructure mobile en récupérant tout ou partie des fréquences 800 MHz de Bouygues Telecom, qu’il ne possède pas aujourd’hui. Et compléter son infrastructure commerciale en héritant du réseau de boutiques de Bouygues Telecom.

Quelle conséquence pour les abonnés ?

Aucune dans un premier temps. Au-delà d’un potentiel changement de qualité de service, le transfert des contrats ne ferait que changer, pour les clients, le nom de leur prestataire. L’utilisateur n’aurait à priori aucune possibilité de rompre son contrat en cours s’il est engagé pour une période donnée. Sauf si le nouveau fournisseur modifie le contenu de son abonnement. Selon l’article L121-84 du code de consommation, l’opérateur est tenu d’informer son abonné de toute modification au contrat 1 mois avant. Et l’utilisateur dispose de quatre mois pour résilier, sans frais associés. Les opérateurs auront donc tout intérêt à maintenir tels quels les contrats des clients rachetés sauf à vouloir les faire fuir. Mais à condition que leurs systèmes d’informations soient capables d’absorber cette double comptabilité. Toutefois, la généralisation des contrats sans engagement (qui atteint les 60% du parc mobile aujourd’hui) facilitera les mouvements pour les utilisateurs qui ne seraient pas satisfaits de leur nouvel opérateur. De plus, entre la signature d’un accord global et son application, plusieurs mois vont s’écouler, notamment le temps que le dossier passe devant les autorités de régulation. Une période suffisamment longue pour permettre aux concernés d’atteindre éventuellement le terme de leurs engagements.

Reste que si la consolidation met fin à la guerre des prix, elle pourrait tout aussi bien les remonter. Stéphane Richard jure que c’est inconcevable aujourd’hui. « Ce qui s’est produit avec l’arrivée de Free est irréversible », déclarait-il début janvier sur RTL. Faut-il le croire ? Les associations de consommateurs en doutent. Pour elles, trois opérateurs signeraient le retour à « une configuration qui faisait de la France le pays où les prix des abonnements étaient 25 % plus élevés que la moyenne européenne ». Sans forcément être un exemple représentatif, soulignons que lorsque l’Autriche était passée de quatre à trois opérateurs en 2013, les prix des forfaits ont connu une hausse de plus de 18% en moyenne dans l’année qui a suivi la consolidation. En France, le risque pourrait être conditionné par les garde-fous qu’imposeront éventuellement les autorités de régulation, notamment en mettant des mécanismes de stimulation du marché pour les opérateurs virtuels. A moins que Free ne décide de relancer la guerre des prix.

Quelles conséquences sur l’emploi ?

Aucune si l’on en croit Stéphane Richard, toujours lui, qui veut une opération « socialement irréprochable ». Autrement dit, l’opérateur historique s’engage à reprendre l’ensemble des 7 500 salariés de Bouygues Telecom dont une partie, environ 3000, reviendrait à Free si ce dernier rachète le réseau de boutiques. Une intégration réaliste, estime-t-on du côté de la CFE-CGC chez Orange. « Plus jeunes que nous (40 ans en moyenne / 49 chez Orange), connaissant le métier d’opérateur, et implantés dans toute la France, leur accueil dans nos équipes nous paraît même tout à fait souhaitable », écrit le syndicat dans une récente lettre cosignée avec l’Adeas (Association pour la défense de l’épargne et de l’actionnariat des salariés).

L’opération de rapprochement serait même plus que souhaitable pour les salariés de Bouygues Telecom selon le PDG d’Orange. « S’il n’y a pas de consolidation, oui, je considère en effet qu’il y a des risques pour l’ensemble de la filière, et notamment sur le plan social, déclarait le dirigeant à l’antenne d’Europe 1 à l’occasion de la présentation des résultats 2015 du groupe. Depuis deux ans, on a quand même eu pas mal de réductions d’effectifs, notamment chez Bouygues Telecom. Qui peut certifier qu’il n’y en aura pas d’autres à l’avenir ? »

Quels risques sur les investissements ?

Le retour à trois opérateurs, et des marges supposément à la hausse, relanceront-t-il les investissements dans les infrastructures ? Encore une fois, l’opération ne pourra être que bénéfique dans ce sens aux yeux de Stéphane Richard. « Quand on a à investir aussi lourdement dans des infrastructures, on est plus efficaces à trois qu’à quatre », a-t-il récemment confirmé aux Echos. Et pourtant, selon les résultats 2015, les investissements dans les réseaux fixes et mobiles du groupe n’ont jamais été aussi élevés à près de 6,5 milliards d’euros avec une hausse de 10% et plus de 16% du chiffre d’affaires. Sous le giron d’Altice, SFR a également annoncé, en octobre 2015, sa volonté d’accélérer dans la construction de son infrastructure fixe et mobile. Ce que l’on peut constater sur le déploiement de ses antennes 4G depuis nombre dernier. Et cela, sur un marché à quatre opérateurs.

Rien ne dit, donc, qu’un retour à trois acteurs qui vivraient sur le partage des abonnés dans un marché relativement figé les inciterait à maintenir leurs efforts d’investissements. C’est d’ailleurs pour ces raisons que la directrice générale du régulateur britannique (l’Ofcom), Sharon White, justifie, dans une tribune adressée au Finantial Times le 1er février, son opposition à la fusion entre les opérateurs Three et O2. Selon elle c’est « la concurrence, pas la consolidation, qui a conduit les investissements ». Du côté français, l’Arcep craint même « une régression » concurrentielle avec le risque de voir Orange renforcer ses positions. Notamment sur le marché des entreprises.

En cas d’échec ?

Depuis le début des discussions, Stéphane Richard estime que l’opération a une chance sur deux d’aboutir favorablement. Mais si, en cas d’échec, la situation ne changera pas significativement pour Orange, elle pourrait assombrir un peu plus l’avenir de Bouygues Telecom. Qui pourrait alors être tenté de se vendre à Free (peu probable vu l’inimitié des deux dirigeants) ou à SFR malgré un précédent refus de Martin Bouygues à Patrick Drahi. Mais Bouygues pourra difficilement continuer à demander le prix alors proposé par le dirigeant d’Altice de 10 milliards d’euros. Le groupe de BTP pourrait éventuellement se tourner vers un opérateur étranger. Comme Deutsche Telekom (qui profiterait de cette acquisition pour répondre à la présence de Orange Business Services en Allemagne) ou l’espagnol Telefónica, partenaire de longue date de Bouygues Telecom sur l’activité entreprise (également concurrencé par Orange en Espagne). A moins que Bouygues ne décide de poursuive seul son aventure sur le marché français des télécoms. Ce qui finalement reviendrait à maintenir 4 opérateurs sur le marché français. Beaucoup de bruit pour rien ?


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