Les carnets de campagne de Guy Mamou-Mani : Nicolas Dupont-Aignan, le prisonnier du souverainisme
En exclusivité pour Silicon.fr, l'ex-président du Syntec Numérique décortique les enjeux numériques de la présidentielle. Pour Guy Mamou-Mani, malgré quelques ouvertures intéressantes, Nicolas Dupont-Aignan reste prisonnier de son prisme souverainiste.
Crédité le 7 mars 2017 de 559 parrainages d'élus suivant le décompte du Conseil constitutionnel, Nicolas Dupont-Aignan, député de l'Essonne et candidat à la magistrature suprême de Debout la France, un parti qui cherche sa voie entre Les Républicains et le Front National, a gagné son pari.
Après François Fillon qui avait recueilli 1789 parrainages dés le 1er mars, il est avec Emmanuel Macron, Benoît Hamon et Nathalie Arthaud le quatrième à avoir franchi le cap des 500 signatures nécessaires pour que sa candidature à l'élection présidentielle soit dûment enregistrée.
Nicolas Dupont-Aignan qui avait recueilli 1,79 % des suffrages exprimés lors de la présidentielle de 2012 s'est déclaré cette fois très tôt pour celle de 2017. S'il a attendu le 1er février pour dévoiler son programme, il fait campagne depuis déjà plus d'un an.
Seul maire en lice pour cette présidentielle, il déroule un projet structuré autour de « 700 propositions » qui se veut un projet « de redressement national patriotique et humaniste sans les excès du Front national
Repli sur soi : pas une option pour le numérique
J'ai eu personnellement l'occasion de rencontrer le leader souverainiste à plusieurs reprises. La première, il y a 3 ans, lors d'un débat au cours duquel Nicolas Dupont-Aignan s'évertuait à me démontrer que l'Euro était le principal handicap dont souffrait notre pays, que la monnaie unique était responsable de tous nos maux, ferait perdre aux Etats européens leur souveraineté monétaire, rendrait la vie plus chère et empêcherait les entreprises d'être compétitives.
J'ai volontiers concédé que des problèmes structurels existaient qui appelaient sans aucun doute des réformes. Pour autant, j'objectais à celui qui se présentait face à moi comme le défenseur d'une économie française moribonde qu'il se trompait de cible en prônant un retour au « chacun pour soi », autrement dit à cette logique d'enfermement qu'il partage avec Marine Le Pen.
Je me souviens très bien que les arguments que je lui opposais à l'époque l'avaient laissé pantois alors que je lui faisais simplement observer que les entreprises du numérique que j'avais l'honneur de représenter avaient d'autres préoccupations que celle de l'Euro: elles souffraient, d'abord et avant tout, de problèmes d'emploi et de ressources. Le repli sur soi n'était en tout cas pas pour elles une option : le numérique, c'est l'ouverture, pas la fermeture.
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4 priorités dans le programme numérique
J'ai eu l'occasion d'échanger une nouvelle fois avec Nicolas Dupont-Aignan lors de SITL 2016, la semaine du transport international et de la chaîne logistique. Sur les sujets de transformation de la société dont la logistique fait partie, nous avons trouvé, à son grand étonnement, un véritable terrain d'entente, voire même des points de convergence que nous avions été incapables d'imaginer deux ans plus tôt sur l'Euro.
Cela dit et en dépit du mal qu'il se donne pour offrir de lui une image d'homme moderne, en phase avec son temps comme il s'y est essayé le 3 mars dernier lors d'une conférence dans laquelle il a détaillé les 4 grandes priorités de son programme numérique, le candidat à la présidentielle 2017 reste malgré tout prisonnier du prisme souverainiste qui est le sien.
Nicolas Dupont-Aignan peut bien présenter urbi et orbi le déploiement du très haut débit comme une « priorité absolue », expliquer pourquoi la souveraineté numérique devrait être la composante fondamentale d'une stratégie publique et qu'une telle stratégie fait cruellement défaut à la France, plaider en faveur de la création d'un écosystème favorable[1] au développement de l'économie numérique en France ou encore souhaiter que, par des formations adaptées, on transforme les ouvriers d'aujourd'hui en « opérateurs de robots », on voit bien qu'il n'arrive pas à se hisser au niveau des véritables enjeux du numérique.
Résister au 'data deluge' : vraiment ?
Comme tous les candidats souverainistes, Nicolas Dupont-Aignan a du mal à comprendre que, le numérique ne peut pas être circonscrit à l'intérieur de frontières nationales. Au mieux, ils l'assimilent à un secteur, à tort d'ailleurs tous les secteurs ayant vocation à être transformés à terme par le numérique.
L'économie numérique se déploie dans un contexte global, « mondialisé » où la compétition tient lieu de règle du jeu. C'est donc en vain qu'ils prétendent résister à la déferlante numérique, au « data deluge ». Non seulement elle n'a pas de frontières mais il ne faudrait surtout pas inventer de nouvelles barrières, fussent-elles des pare-feux, pour tenter de s'en prémunir.
A l'inverse, je pense que le numérique est un puissant outil de paix et concorde entre les peuples, un formidable vecteur d'échange, à condition toutefois qu'on accepte les règles du jeu, soit une certaine forme de régulation. Pas question, en effet, de (laisser) faire n'importe quoi. Pour que tout un chacun puisse ressentir les bienfaits du numérique et ne pas se sentir spolié, il faudra, par exemple, accompagner le déploiement massif qu'il est appelé à connaître en France par des mesures d'accompagnement fiscales et sociales appropriées.
Pas un retour en arrière ?
Les GAFA devront, par exemple, accepter que leur soit appliquée une forme de fiscalité numérique neutre et équitable et donc consentir à payer des impôts en France - alors qu'aujourd'hui ils font de l'optimisation fiscale à tout va. Les sites de locations d'unités d'hébergement en ligne du type Airbnb devront être soumis à la taxe de séjour, etc.
C'est d'ailleurs ce que préconise d'une certaine manière Nicolas Dupont-Aignan, qui était l'invité du Grand oral des Grandes gueules de RMC et qui s'est notamment exprimé sur la question sensible de la réglementation des taxis : « Il faut qu'il y ait une concurrence loyale entre les acteurs, de nouvelles règles pour organiser les relations entre chauffeurs de VTC et les plateformes de réservation comme Uber. Contrairement à des villes comme New York ou Londres qui ont su le faire, en France on n'ose pas réglementer. »
Laissons-lui le mot de la fin : « Je n'ai pas dit qu'il fallait refuser les nouveaux métiers, revenir en arrière; j'ai seulement dit qu'il fallait un cadre, un ordre. On doit saisir la révolution numérique qui est une chance inouïe mais elle n'est pas le prétexte à l'esclavagisation du monde. »
Tout un programme !
[1] On retiendra de son allocution cette image saisissante : « en France, Steve Jobs ne serait jamais sorti de son garage »
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