SFR et Bouygues Telecom auditionnés par les parlementaires
Olivier Roussat, PDG de Bouygues Telecom, et Patrick Drahi, dirigeant de la holding Altice propriétaire de SFR en France, ont répondu aux questions des députés et sénateurs membres de la commission des affaires économiques, respectivement mardi et mercredi. Il y a évidement beaucoup été question d'avenir et de la stratégie des deux entreprises, après l'échec du rachat de Bouygues Telecom par Orange.
Pour Olivier Roussat, l'opération manquée, qui aurait permis de réduire à trois acteurs le marché français des télécoms, ne remet pas en question l'avenir de Bouygues Telecom. « La situation est durable à quatre », avance le dirigeant. S'il reconnaît que Bouygues Telecom a été mis en difficultés par l'arrivée de Free sur le marché mobile en 2012, la restructuration (suppression de 2000 emplois directs) « nous a permis de repartir en croissance et de fêter nos 20 ans en bonne santé » le 26 mai dernier. Olivier Roussat en veut pour preuve un résultat en hausse de 6,4% au premier trimestre et la progression de 240?000 nouveaux clients sur le mobile et de 75?000 sur le fixe. « Bouygues Telecom a été très fragilisé, mais les résultats montrent que nous sommes guéris, notre chiffre d'affaires est revenu au niveau de 2010 », veut convaincre le dirigeant.
Bouygues Telecom serait donc armé pour poursuivre sa croissance et se maintenir sur un marché à quatre. Ce n'est pas nécessairement l'avis de Patrick Drahi pour qui « la consolidation est plus indispensable pour ceux dont la France représente 100% du chiffre dans le métier ». Autrement dit, les opérateurs qui n'ont pas d'activité à l'international, au premier rang desquels Bouygues Telecom et, dans une moindre mesure, Free (qui cherche néanmoins à se déployer en dehors des frontières hexagonales).
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L'Amérique, un vivier de croissance pour Altice
Le nouveau Tycoon des télécoms n'a pas ce souci, lui qui, après avoir développé l'activité câble en France avec Numericable et Completel, a lancé ses filets en République dominicaine, en Israël, au Portugal et, plus récemment, aux Etats-Unis où il a effectué deux acquisitions en quelques mois (Suddenlink et Cablevision). « On m'a beaucoup critiqué avec le rachat du câble à New York, relate le patron d'Altice aux sénateurs sur un ton enjôleur, ça me laisse de marbre. » Et pour cause, selon lui, le marché américain est un vivier de croissance. S'il y génère presque autant de chiffre d'affaires qu'en France (9 milliards d'euros contre 11), il ne détient que 2% du marché du câble aux Etats-Unis contre environ 30% du marché français (11 milliards sur 38). Selon lui, il lui sera plus facile de gagner des points et du revenu outre Atlantique qu'en France. « Il sera plus facile de passer de 2 à 10% aux Etats-Unis que de 30 à 50% en France. » Et alors, « quand on aura montré ce qu'on sait faire aux US dans un an ou deux (avec un potentiel de 40 milliards d'euros de chiffre d'affaires, soit la taille du marché français, NDLR), ce sera plus facile de nous développer ».
Un développement qu'il entend notamment assurer sur le marché de l'entreprise, en France. « La division entreprise représente 25% du chiffre d'affaires chez SFR. Et notre part de marché est petite, 20%. Nous souhaitons l'accroitre », a-t-il confirmé.
Il n'en reste pas moins qu'Altice assure sa croissance à coup d'emprunts gigantesques et se retrouve aujourd'hui surendetté. Pour les seuls Etats-Unis, les investissements s'élèvent à 24 milliards d'euros. « C'est le plus gros investissement jamais fait par un groupe français aux Etats-Unis, devant Sanofi avec 17 milliards, et j'en suis fier », s'est félicité Patrick Drahi. Ce qui élève l'endettement total de son groupe à 51 milliards d'euros. Une question que le dirigeant feint de minimiser. « Je dors beaucoup plus facilement avec mes 50 milliards de dettes qu'avec mes premiers 50?000 francs de dettes que j'ai contractés quand j'ai créé mon entreprise. Car je n'avais pas de clients, pas d'infrastructure, pas de collaborateurs et pas de chiffre d'affaires. Aujourd'hui, j'ai 60 millions de clients dans le monde et nous ferons 24-25 milliards de chiffre d'affaires cette année. Donc on a une dette qui est égale à deux fois notre chiffre d'affaires, alors que mes 50?000 francs, c'était l'infini par rapport à mon chiffre d'affaires de l'époque, qui était nul. » Pas sûr toutefois que la petite leçon de mathématiques ait suffi à convaincre les parlementaires.
Générer du cash pour assurer les investissements
De son côté, c'est bien en France que Bouygues Telecom veut assurer son avenir. En « apportant l'Internet, fixe et mobile, au plus grand nombre et au meilleur prix », indique Olivier Roussat selon qui « l'internationalisation n'apporte pas de poids supérieur pour baisser le prix de l'infrastructure, et n'apporte pas d'exclusivité mobile, pas de gain particulier [et] y compris sur le territoire national. Le nerf de la guerre est de générer du cash pour payer les investissements et les impôts ».
Les investissements vont donc se poursuivre. « Sur un marché durablement à 4 opérateurs, notre priorité est de continuer à investir », insiste le dirigeant. Dans le mobile, d'abord, à travers l'accord de mutualisation du réseau avec SFR qui permettra de couvrir 82% de la population en 4G à la fin de l'année et 99% en 2018. « Bien au-delà de nos obligations de licence », a tenu à signaler Olivier Roussat. Même stratégie sur le fixe avec la poursuite du dégroupage du réseau dans l'ADSL et les co-investissements dans la fibre avec SFR et Orange. Et en propre. « Nous commercialiserons les réseaux d'initiative publique couverts par Axione (filiale de Bouygues Energie et Services, NDLR) avant nos concurrents », précise le dirigeant. Opérateur d'infrastructure, Axione est déployé dans une quinzaine de délégations de service public (DSP) et de partenariats publics-privés. L'exploitation des données du Big Data et le développement de l'Internet des objets (IoT), avec la filiale Objenious, constituent autant d'autres vecteurs de croissance pour Bouygues Telecom.
L'investissement est aussi clairement la stratégie de SFR, selon Patrick Drahi. « Vous le constaterez, nous sommes l'opérateur probablement qui a le plus grand ratio d'investissement sur le chiffre d'affaires, a affirmé Patrick Drahi avec aplomb aux sénateurs. Quand j'ai repris SFR il y a 1 an et demi, l'opérateur avait un ratio de l'ordre 13% d'investissement sur le chiffre d'affaires, il est aujourd'hui de plus de 20%, très loin devant la plupart de nos concurrents. » Des chiffres qu'il conviendra de vérifier pour 2016.
A entendre les deux hommes, tout va donc pour le mieux dans le meilleur des monde. Pourtant, SFR a accusé au premier trimestre sa première perte depuis son rachat par Numericable et peine à contenir la fuite de ses abonnés. Et Bouygues Telecom n'est pas sorti d'affaire et doit encore prouver sa capacité à se maintenir sur le marché. Jusqu'à la prochaine opération de consolidation du moins.
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